Quand le cinéma influence la musique

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Ce que l'on demande à une musique de film est de sublimer l'œuvre, de souligner l'action, l'émotion. Elle a une fonction précise et doit servir le film. Mais le dialogue Cinéma / Musique peut aussi s'opérer dans l'autre sens.

© Pixabay
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Le cinéma est en effet le point de départ de diverses aventures musicales que nous allons parcourir en quelques disques, liés directement ou indirectement au 7ème art : il peut s’agir de musiques composées ‘après coup’ pour un film, de bandes sons pour films imaginaires, ou encore de compositions convoquant des sons du cinéma (citations, sampling…)

Artistes qui ont (re)créé la musique de films existants

Dziga Vertov n’a pas demandé en 1929 au Cinematic Orchestra de composer la musique de son film « Man with a movie camera », pas plus que Philip Glass n’a rencontré Tod Browning en 1927 pour discuter violons et intensité dramatique en vue de peaufiner sa partition de « Dracula ». Voici quelques exemples de B.O.F. anachroniques, hommages rendus d’un compositeur à un réalisateur (à un film).

The Cinematic OrchestraThe Cinematic Orchestra : Man with a movie camera
C’est d’abord le film réalisé en 1929 par le cinéaste soviétique Dziga Vertov. C’est en 2003 que le groupe britannique The Cinematic Orchestra, mené par le dj anglais Jason Swinscoe, va mettre en musique ce documentaire russe muet en écrivant une nouvelle bande son. C’est l’occasion pour le groupe d’associer ses influences jazz à sa passion pour la musique cinématographique. Les instruments fondamentaux et traditionnels du groupe sont réunis (contrebasse, batterie, percussions, saxophone soprano, clavier et piano), peu d’arrangements synthétiques, absence quasi totale de platines et de scratchs. Une B.O de pure tradition electro-jazz.

Le norvégien Geir Jenssen alias Biosphere en a lui aussi proposé une version pour le festival international du film de Tromso, dans laquelle figurent des samples déjà utilisés sur Substrata.

Bardi Johannsson Bardi Johannsson : Haxan (La sorcière) sous-titrée la sorcellerie à travers les âges.
Un film documentaire scandinave de 1922 de Benjamin Christensen, en version muette, accompagné de morceaux classiques, à l’époque censuré pour son adoration au diable et sa nudité, qui survole le monde de la sorcellerie, entre sabbats, tortures, pratiques magiques, possession…
Bardi Johannsson alias Bang Gang également connu pour sa collaboration avec Keren Ann (Lady And Bird) se lance dans la mise en sons de ce film accompagné de l’orchestre symphonique bulgare.
On se trouve dans un univers soigné de cordes, de bois et de cuivres, qui n’est pas sans évoquer les oeuvres de Michael Nyman, les compositions de Clint Mansell avec le Kronos Quartet pour “Requiem for A Dream”, voire certaines aventures de John Williams…
La bande-son procure un sentiment de mélancolie et de désespoir plutôt que d’angoisse.

Un entretien avec Bardi Johannsson

Robert Hood Robert Hood : Omega
Robert Hood, producteur de musiques électroniques, co-fondateur du label Underground Resistance et créateur en 1994 de son label M-Plant nous propose une variation acoustique de l’obscur long métrage The Omega man (Le survivant), un film de science-fiction réalisé en 1971 par Boris Sagal.
Omega est un album froid mais troublant, de la pure techno.

 Jeff Mills : Metropoplis
Jeff Mills, un grand nom de la culture techno, co-fondateur du label Underground Resistance est un passionné de cinéma. Son grand intérêt pour les images, l’incite en 2000 à travailler sur le projet d’une nouvelle bande sonore inspirée du film muet de Fritz Lang réalisé en 1927.
Art Zoyd l’a également ré-interprétée.

les trois ages

The three ages (Les trois âges)
film américain de Edward F. Cline et Buster Keaton produit en 1923 dont la musique a été revue par Jeff Mills à la demande de MK2 Edition en vue d’une sortie DVD (elle l’a aussi été par RadioMentale).

Dracula Philip Glass : Dracula
Philip Glass a écrit une bande originale en 1998 pour illustrer ce film réalisé en 1931 par Tod Browning, en collaboration avec le Kronos Quartet, il l’a jouée à plusieurs reprises à Lyon (Auditorium, Nuits de Fourvière).

Le début des années 2000 voit naître le concept de ciné-concert et de ciné-mix. Il s’agit donc de donner à des films (muets ou non à l’origine) une nouvelle bande son.
Dans le cas du ciné-concert, des musiciens accompagnent en temps réel la projection du film, cachés dans un coin, voire dans la pénombre derrière l’écran. Cette expérience est d’ailleurs comparable à celle d’un spectateur de cinéma au temps du cinéma muet. Musicalement il peut s’agir d’une composition originale, mais aussi par exemple d’un mix par un DJ de morceaux divers (on parlera ici d’un ciné-mix).
Le cinémix désigne aussi la traduction sur disque de ces rencontres, et c’est le nom d’une collection initiée par Radiomentale, duo français pionnier du genre. Jeff Mills, légendaire DJ et producteur techno américain est lui aussi devenu spécialiste de cet exercice avec déjà à son actif des re-créations pour Metropolis de Fritz Lang, Forfaiture de Cecile B. De Mille, Three Ages de Buster Keaton, et bientôt Le voyage fantastique de Richard Fleischer (une présentation sur le site de la Cité de la Musique)

RadioMentale : L’aurore (Sunrise)
Un autre film muet sorti en 1927, signé par l’allemand Friedrich-Wilhelm Murnau, revisité par le duo RadioMentale qui respecte profondément l’œuvre originale (drame et comédie) en lui apportant relief sonore et modernité musicale.
La bande-son jongle ici en effet entre les références jazz (Michel Petrucciani rémixé par Matthew Herbert, Jazzanova), le collage sonore (Ergo Phizmiz et People Like Us), quelques audaces électroniques (Dopplereffekt, Aphex Twin, Amon Tobin, Autechre) une certaine forme de romantisme pop (Final Fantasy, Flim) ainsi que quelques compositions néo-classiques (Tijuana Mon Amour Broadcasting Inc, Nico Muhly, Deaf Center, Maxence Cyrin).
Cette variété de styles et d’influences permet de suivre et de souligner les émotions, nombreuses et complexes, éprouvées par les personnages.

Les « fausses » bandes originales de films : musique d’un film imaginaire

…Créées par une bande de musiciens originaux. Leurs créations, affranchies de tout lien avec un film existant, n’en sont pas moins cinématiques. Un choix esthétique ambitieux, qui permet au compositeur d’exprimer toute la variété de ses humeurs.

Snooze : The man in the shadow

Snooze

Snooze alias Dominique Dalcan est né en 1964 à Beyrouth. En 1997, il sort un album entièrement instrumental et électronique : beats chaleureux, sons évocateurs, voix de vieux films américains… l’ambiance est résolument cinématographique.


Quiet village
Quiet Village : Silent movie
Premier album pour Joel Martin et Matt Edwards alias Radio Slave réunis sous le pseudo Quiet Village. Les deux acolytes sont influencés par les bandes originales de film et nous font naviguer dans diverses ambiances : en passant des violons au cor, à la guitare, la basse et la flûte, sans compter les divers bruits (cris, rires, clochettes, vagues, sirènes de pompier) et les voix continues, tout vient souligner et mettre en scène les mélodies.

barry adamson Barry Adamson : Moss side story
Ancien bassiste des groupes Magazine, Visage et Nick Cave & the Bad Seeds, il a écrit et composé plusieurs bandes originales mais aussi des albums construits comme de véritables B.O pour des films imaginaires. Il a interprété son premier album solo en 1988 pour une bande son virtuelle. Avec Moss side story, il mettait en sons des images qui n’existaient pas, sinon dans sa tête, et revendiquait l’exercice, officialisant ainsi la naissance des musiques de films imaginaires.

Troublemakers : Stereo pictures vol.2
Originaires de Marseille, c’est à la fin des années 90 que Lionel Corsini (Dj Oil), Arnaud Taillefer et Fred Berthet donnent naissance au Troublemakers.
En 2003, les marseillais réalisent la compilation Stereopictures Vol.2, sous le label distributeur de musiques de films MK2. Ces artistes vont réaliser une bande originale de film imaginaire. Pour ce volume 2, les Troublemakers retravaillent de vieilles bandes sonores en piochant dans leurs palettes de sons. Au final, Stéreo Pictures Vol. 2 nous fait replonger dans l’ambiance des films des années 70, entre soul, jazz, funk et rythm’n’blues.

Arling & Cameron : Music for imaginary films
Gerry Arling et Richard Cameron.
Cet album semble être fait pour la bande sonore d’un film : notes de samba brésilienne…

Rio Cinéma Orchestra développe aussi des musiques instrumentales aux ambiances cinématographiques.

Les artistes utilisant des dialogues de films sur un ou plusieurs titres de leurs albums

Quel rappeur n’a jamais fait rimer tracas avec Tony Montana ? Les références au cinéma dans la musique sont très fréquentes, certains gimmicks, dialogues ou tirades s’invitent dans les morceaux sous forme de citations voire de samples.
Ces extraits sonores sont même pour les deux derniers artistes de notre sélection la matière première de leurs compositions.

Microfilm Microfilm : A Journey To The 75th
Ce groupe originaire de Poitiers aux musiciens d’horizons divers (Seven Hate, Gum…) a conçu en 2004 un disque de rock instrumental parsemé de dialogues de films des années 50-60. Il n’y a pas de chant mais des répliques du film de R. Brooks “La chatte sur un toit brûlant” (1958), notamment sur le titre Margaret on the rocks.


Divine Comedy
Divine Comedy : Promenade
On peut trouver des références au cinéma français de la Nouvelle Vague sur deux des chansons : “The Lights Go Out All Over Europe” fait allusion à Jules et Jim de François Truffaut et contient des extraits de dialogue d’À bout de souffle de Jean-Luc Godard (…). “The Booklovers” contient le vers : “Tu connais William Faulkner ?”, une autre citation d’À bout de souffle (Wikipedia).

3Diabologum : 3
Sur cet album de 1996 conçu par le groupe toulousain (Arnaud Michniak et Michel Cloup), on entend le monologue de Françoise Lebrun tiré du film du même nom de Jean Eustache en 1973 sur le titre “La maman et la putain”.


Fun lovin criminals
Fun Lovin Criminals : Come find yourself
Ce groupe New Yorkais des années 90 a repris des samples de dialogues de Pulp Fiction et Reservoir Dogs de Quentin Tarantino sur le single Scooby Snacks.

eRikm : Lux payllettes
Sur cette piste unique de 32 minutes, Erikm a travaillé avec la matière sonore du cinéma occidental, d’après ses multiples supports, pellicule-son optique, K7 VHS, DVD numérique, ainsi qu’avec des sons enregistrés dans des salles de cinéma lors de projections.

untitled Radiomentale : Traumavision
C’est une collaboration entre l’artiste et dessinateur Pierre La Police, qui a sélectionné tous les dialogues de films, et le duo de DJs et d’artistes sonores, Radiomentale (Jean-Yves Leloup & Eric Pajot), connu pour travailler à partir du matériau cinématographique, sous la forme de créations radiophoniques, de performances réalisées dans les salles de cinéma, ou plus récemment d’installations vidéos, qui s’est chargé du montage et de la mise en forme.
Un collage sonore inédit (cinématographique) qui rend hommage au cinéma bis, composé d’une série de dialogues extraits de nombreux films de série B ou Z et de classiques du cinéma qui se mélangent et dialoguent entre eux, créant une bande-son irréelle et absurde.

Une interview sur le site Digital MCD

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