Plus belle l’highlife

- temps de lecture approximatif de 18 minutes 18 min - Modifié le 17/01/2023 par La COGIP

Rencontre du folklore ouest-africain et du jazz, du rhythm'n'blues ou du rock, le highlife fait danser l'Afrique depuis au moins les années 1920-1930. Le Ghana et le Nigeria en constituent l'épicentre, et nous pouvons situer son âge d'or dans les années 1960 et 1970. Hors de ses frontières le highlife fascine aussi, et de plus en plus. En témoignent les innombrables compilations et rééditions célébrant la formidable explosion artistique post-indépendance en Afrique de l'Ouest.


Chronologie, histoires parallèles

Le Ghana devient indépendant le 6 mars 1957. Son président Kwane Nkrumah encourage alors le panafricanisme. Dans le même élan c’est au tour du Nigéria d’acquérir l’indépendance le 1 octobre 1960 et d’intégrer le Commonwealth. Les deux pays vont connaître un parcours parallèle et une révolution culturelle comparable, avec pour bande son la musique highlife.

Né de fusions entre musiques locales et influences d’outre-atlantique, le highlife a depuis son apparition dans les années 1920 pris diverses formes au fil du 20è siècle. Comme la plupart des musiques urbaines africaines, c’est une histoire de dialogues qui prennent souvent leur source dans les ports, lieu privilégié de tous les échanges.

« Trouvant ses racines dès les années 20 dans un mélange de fanfares militaires, de jazz, de chorales religieuses, de chansons de marins et de rythmes traditionnels, le highlife est l’une des formes musicales les plus importantes du continent africain (…). »
(extrait de “L’épopée de la musique africaine : rythmes d’Afrique atlantique / Florent Mazzoleni, Hors-Collection, 2008).

La bourgeoisie locale des pays côtiers que sont le Ghana et le Nigéria était en relation constante avec les anglais. Séduits par ce modèle occidental, ils en adoptèrent quelques codes, et notamment un certain goût pour l’élégance et pour les soirées mondaines (et dansantes).

« Les ballrooms et leur public huppé, on peut l’imaginer, exerçaient une vraie fascination sur la population misérable des ghettos de l’époque coloniale. Leur entrée le samedi soir devait ressembler un peu à l’escalier du festival de Cannes : la foule s’y agglutinait pour admirer ces privilégiés qui composaient la high society. C’est ainsi qu’est née l’expression highlife. »
(Extrait de ‘Musiques de toutes les Afriques’ par Gérald Arnaud et Henri Lecomte / Fayard, 2006)

Le terme a finalement désigné la musique jouée dans ces soirées de la haute.

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Au Ghana :

On distingue deux types de highlife :
Tout d’abord le dance-band highlife, encouragé par l’élite et joué par des orchestres à grands renforts de cordes et de cuivres aux accents occidentaux. E.T. Mensah et son Tempos Band en est l’exemple le plus flamboyant, ainsi que King Bruce (leader des Black Beats), et plus tard le Ramblers International Dance Band de Jerry Hansen (que voici dans une étonnante incursion soul) :

https://youtu.be/Bf2-D1Nqqps

Et d’autre part le guitar-band highlife, plus pauvre et dans un style néo-traditionnel. Le guitariste EK Nyame a contribué à developper le style durant les années 1950 en y intégrant jazz et percussions latines… Et plus tard Nana Ampadu & his African Brothers International Band, puis Alex Konadu…

Le palm-wine highlife est la déclinaison la plus répandue du guitar-band highlife, c’est la musique des populations rurales plus en défiance vis-à-vis des dominateurs et par conséquent moins sous influence occidentale. Associé au vin de plame, boisson faiblement alcoolisée. Celle-ci participe d’une certaine convivialité et ouvre plus naturellement aux amateurs la voie de la créativité : chacun peut improviser son rôle, autour du chanteur-guitariste. Kwaa Mensah en est le roi incontesté, avec ses centaines de 78 tours enregistrés dans les années 1950.


Vintage Palmwine

La compilation ‘Vintage palmwine’ est écoutable sur Deezer. Elle rassemble Koo Nimo, Kwaa Mensah et T.O. Jazz, le tout enregistré par le musicien et musicologue britannique John Collins.

Au Nigeria :

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Venus du Ghana d’abord, ces orchestres ont incorporé au gré de leurs tournées et en particulier au Nigéria les traditions musicales locales, et ont propagé le genre dans un large périmètre et surtout au Nigeria. C’est cette hybridation opérée dès les années 1930 qui dit le mieux ce qu’est le highlife. Une musique mouvante, vivante, fruit des infinies combinaisons entre la polyrythmie et les chants de cette région d’Afrique, et l’influence occidentale : swing, puis jazz à partir de la deuxième guerre mondiale, et funk et rock ensuite. Une révolution aidée par l’arrivée des phonographes, pour beaucoup dans la diffusion du blues et du Rhythm’n’blues en provenance des Etats-Unis.
La guerre civile qui va toucher le pays (1967-1970) va entraîner le déclin de cette branche nigérianne du highlife, les discriminations poussant les musiciens igbo tel Rex Lawson à quitter Lagos laissant le champ libre aux styles juju puis fuji. Peu de musiciens ont résisté à ce changement forcé de cap, et parmi eux Dr Victor Olaiya et Stephen Osita Osadebe, restés fidèles aux racines highlife malgré la guerre.

Une musique hybride et unique :


« Pourtant à l’écoute des disques de highlife des années 1940-1970, il est presque impossible en général de reconnaître un modèle, une mélodie venue d’ailleurs. Tout est passé à la moulinette de musiciens aguerris, ambitieux, qui ‘piquent’ un rythme par ci, un son par là, mais ne copient jamais un morceau ni même une simple phrase. »
(Extrait de ‘Musiques de toutes les Afriques’ par Gérald Arnaud et Henri Lecomte / Fayard, 2006)

Fusions et dérivés

La guerre civile au Nigeria (1967-1970) aura des répercussions sur la manière d’envisager la musique et entraînera comme réaction au highlife un retour à plus d’ethnocentrisme avec les musiques fuji (popularisée par Alhaji Sikiru Ayinde Barrister) et juju. La juju se nourrit des percussions Yoruba traditionnelles et utilise notamment le talking drum et la guitare. King Sunny Ade, Ebenezer Obey et I.K. Dairo en sont les fers de lance.

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Visitez donc la chaîne youtube du bloggeur Groovemonzter et sa playlist Juju music.

La génération née après la seconde guerre mondiale intègre d’autre part les guitares du rock et du funk, à l’image de Marijata au Ghana, et au Nigeria de Segun Bucknor, des Funkees, et de l’illustre Fela Kuti à qui l’on doit l’afrobeat.

Fela Kuti & his Koola Lobitos, mi 1960s (Ololufe mi)

Marijata “no condition is permanent” (1977)

Changeons d’espace-temps. 2012, le beatmaker français Débruit s’est inspiré pour son premier album des rythmes et sonorités Ouest-africaines et highlife, les mélangeant allègrement aux rythmes déstructurés du jour.

Quelques grandes figures :

E.T. Mensah, le pionnier (1919-1996) :

day by day

E. T. Mensah (Emmanuel Tettey Mensah 1919, Accra – Ghana, 1996) est reconnu comme le roi du highlife. En 1948 il forme les Tempos, et commence à enregistrer des 78 tours en 1952. Maîtrisant le saxophone et la trompette, il a traversé plusieurs décennies au sommet, le voyant parcourir l’Afrique de l’Ouest. Il joua aussi en 1956 avec Louis Armstrong, et avec le trompettiste nigérian Victor Olaiya. Voici un extrait de cette collaboration :

https://www.youtube.com/watch?v=N8je5UjCTjk

Et les classiques “All for you” et “Day by day” (1950s, 1960s)

https://www.youtube.com/watch?v=SeDsr3Bzxck


Day by day : classic highlife of the 1950s and 1960s (RetroAfric, 2003)


Ebo Taylor (1936-….)

Ebo

Guitariste et arrangeur, leader des Stargazers et du Broadway Dance Band, son rôle est charnière dans le passage du highlife à l’afrobeat. Il s’installe à Londres en 1962 pour étudier la musique, aux côtés notamment d’un certain Fela Kuti. A son retour il électrifie sa musique, qui prend un tour plus jazzy et plus funky. Il produit et tourne encore, et vient de sortir un nouvel album “Love and death“, dont voici le morceau titre, dans sa version d’origine (années 1970) :

Love and death (Strut, 2010)
Appia kwa bridge (Strut, 2012)
Life stories : highlife and afrobeat classics 1973-1980 (Strut, 2011)

Chief Stephen Osita Osadebe (1936-2007)

osadebe

Chief Stephen Osita Osadebe, front[1]

Souvent surnommé le roi du highlife nigérian (oui il y a plusieurs rois dans le highlife…) mais aussi le Doctor of hypertension, pour l’effet apaisant de ses longs instrumentaux.
Né en 1936 à Atani, il fait ses débuts discographiques à la fin des années 1950. Plus chef d’orchestre, compositeur et arrangeur que musicien, il a dirigé dès 1964 de nombreuses formations, et posé sa voix envoûtante sur près de 200 albums, selon ses dires.

Voici un de ses plus grands succès, il date de 1984 : Osondi Owendi

Cette tentative de discographie vous donne une bonne idée de l’étendue de son oeuvre. Et en dit long sur les trésors qui restent à sauver de l’oubli et rééditer tant ses productions connues sont qualitativement consistantes.

Retrouvez le dans les compilations :
Nigeria Special 02 : modern highlife, afro sounds & nigerian blues 1970-1976 (Soundway, 2010)
The rough guide to highlife (World Music Networks, 2003)
Highlife time : nigerian and ghanaian sound from the 60’s and early 70’s (Differ-Ant, 2008)

Prince Nico Mbarga (1950-1997)


Né en 1950 de mère nigériane et de père camerounais, il fonde au début des années 1970 l’orchestre Rocafil Jazz, et connaît un grand succès en Afrique avec son titre ‘Sweet mother’ (1976), censément le record de vente jamais réalisé sur le continent. Chanteur et guitariste, sa musique est un mélange très positif de guitare d’influence congolaise et igbo (une des 3 ethnies du Nigeria), ses paroles optimistes tournent autour des valeurs de la famille, et sont sans doute une des raisons de son succès. En écoute, le fameux ‘Sweet mother’ aux 13 millions d’exemplaires vendus :

lucky_marriage_1_-ea96f.jpgPrince_Nico_Mbarga_1_.jpg

Dans les compilations :
Africa, 50 years of music (Wagram, 2010)
L’Afrique enchantée (Sony, 2011)

Sir Victor Uwaifo (1941-….)



Guitariste nigérian assez fantasque. Ancien catcheur professionnel, il est aussi le premier africain à obtenir un disque d’or (il a en aujourd’hui 12), il reste pourtant peu connu hors du continent. Soundway a rectifié le tir en éditant la compilation “Guitar-Boy Superstar 1970-1976”. Son plus grand succès date de 1966, il s’agit de “Guitar Boy and Mamiwater”, racontant sa rencontre avec une sirène. Il est diplômé en arts graphiques, arts appliqués et sculpture et s’est essayé au métier d’inventeur. Vous pouvez découvrir sur son site l’indispensable guitare à rotation infinie.

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Guitar-Boy Superstar 1970-1976 (Soundway, 2009)

Alhaji K. Frimpong (19 ??-2005)

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Encore un guitariste, mais du Ghana cette fois. Alhaji K. Frimpong (souvent seulement K. Frimpong) est connu pour son titre “Kyenkyen Bi Adi Mawu”, bijou de funk africain tendu et habité. Il joua dans les années 70 avec deux groupes : Vis-A-Vis et les Cubano Fiestas. Le label Secret Stash a eu la bonne idée de rééditer quelques unes de ses productions, et l’auteur de ces lignes vous les recommande chaudement. A la fois touchante et ultra efficace, sa musique a tout pour convaincre les fans de James Brown curieux de laisser sa chance au Ghana.

https://www.youtube.com/watch?v=tR3_Q8KOdd0

Une vidéo intéressante sur le travail de remastering qui a précédé les récentes rééditions :

Retrouvez le dans les compilations :
Afro-beat airways : west african shock waves : Ghana & Togo 1972-1978 (Analog Africa, 2010)
Ghana soundz : afro-beat, funk and fusion in 70’s Ghana (Soundway, 2002)
Ghana soundz 2 : afro-beat, funk and fusion in 70’s Ghana (Soundway, 2004)

William Onyeabor



Onyeabor Atomic

Explorer la musique Ouest-africaine des années 1970 réserve souvent de bonnes surprises. Bien qu’assez loin du highlife, la musique de William Onyeabor mérite d’être présentée ici, comme preuve de l’esprit d’aventure des musiciens d’alors. Après des études de cinéma en Russie, William Onyeabor revient au Nigéria, monte un studio de cinéma et de musique et y produit une poignée d’albums dont “Atomic Bomb” (1978), son plus grand succès.

https://www.youtube.com/watch?v=x-gP-H6fJvc&list=PLeCLOaKQ6hbcccik4JcIebHDsqw90j3Ms

Dans la compilation :
Nigeria 70 : the definitive story of 70’s funky Lagos (Strut, 2001)

Labels de rééditions, compilations et blogosphère

De très nombreuses compilations consacrent aujourd’hui cette musique fraîche et inventive, se concentrant le plus souvent sur les années 1960 et 1970 particulièrement explosives car baignées de funk et de rock. Soundway, Strut, et d’autres, rééditent régulièrement des trésors oubliés du highlife, dont les disques ont assez peu traversé les frontières. Les crate diggers extrêmes continuent d’y faire des voyages. Et leur quête s’apparente plus à des fouilles qu’à un petit tour des brocantes. On peut suivre avec délectation sur internet les récits de voyage et les découvertes musicales de bon nombre de généreux bloggeurs, dont par exemple le légendaire Frank Gossner, aux commandes du blog Voodoo Funk.


frank voodoofunk

LABELS

Strut Records : abrite les productions actuelles d’Ebo Taylor, et quelques pépites du passé. Le label a aussi dans son catalogue les compilations Nigeria 70 (3 volumes) et Afro-rock.
Interview de Quinton Scott (Strut)

Soundway Records : Un label indispensable, responsable des séries de compilations Nigeria Special, Ghana Special, Ghana Soundz, et des rééditions de Sweet Talks, Hezoleh, ROB, The Funkees, Sir Victor Uwaifo…


Interview de Miles Cleret (Soundway)

Analog Africa : a réédité l’album de ROB Funky ROB way (1977). On trouve également au catalogue la compilation Afro-beat airways et African scream contest
Article sur Analog Africa (sur le site Forced Exposure)




Secret Stash Records : ont réédité en vinyle K. Frimpong, Vis-A-Vis, George Danquah…

Discographie :


GHANA

Compilations :
-Afro-beat airways : west african shock waves : Ghana & Togo 1972-1978 (Analog Africa, 2010)
-Ghana special : modern highlife, afro-sounds & ghanaian blues : 1968-81 (Soundway, 2009)
-Ghana soundz : afro-beat, funk and fusion in 70’s Ghana (Soundway, 2002)
-Ghana soundz : vol.2 : afro beat, funk and fusion in 70’s Ghana (Soundway, 2004)
-Highlife time : nigerian and ghanaian sound from the 60’s and early 70’s (Differ-Ant, 2008)
-The rough guide to Highlife : upfront and upbeat : West African guitars dance (World Music Network, 2003)
-Ghana 1931-1957 : popular music from palm wine music to dance band highlife (Arion, 2001)
-Beginner’s guide to african funk (Nascente, 2009)
-Sankofa : the highlife allstars :some of the greatest of all highlife artists recalling the golden era of Ghana’s “guitar highlife” and palmwine music (Network, 2001)
-Highlife High up’s la musique du gold coast des années 60 (Night & Day, 1996)

Albums ou compilations d’un artiste :

-Ghana : musique de vin de palme / Kwabena Nyama (Buda, 2000)
-Love and death / Ebo Taylor (Strut, 2010)
-Life stories : highlife and afrobeat classics 1973-1980 / Ebo Taylor (Strut, 2011)
-The Kusum beat / Sweet Talks (Soundway, 2010)
-Hedzoleh / Hedzoleh Soundz (Soundway, 2010)
-Acoustic Ghanaian highlife / Aaron Bebe Sukura (Arion, 2003)
-Day by day : Classic highlife of the 1950s and 1960s / E.T. Mensah (RetroAfric, 2003)
-Funky Rob way / Rob (Analog Africa, 2011)

NIGERIA

Compilations :
-Nigeria 70 : the definitive story of 1970’s funky lagos (Strut, 2001)
-Nigeria 70 : sweet times : afro-funk, highlife & juju from 1970’s Lagos (Strut, 2011)
-Nigeria special : modern highlife, afro sounds & nigerian blues 1970-1976 (Soundway, 2007)
-Nigeria special. 02 : modern highlife, afro sounds & nigerian blues 1970-1976 (Soundway, 2010)
-Nigeria rock special : psychedelic afro-rock & fuzz funk in 1970’s Nigeria (Soundway, 2008)
-Nigeria afrobeat special : the new explosive sound in 1970’s Nigeria (Soundway, 2010)

Albums ou compilations d’un artiste :
-Guitar-boy superstar : 1970-1976 / Sir Victor Uwaifo (Soundway, 2009)
-Try and love / Ofege (Academy LPS, 2008)




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