50 ans

“You say you want a revolution”…

Révolte, musique et hit parades en 1968

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 09/05/2018 par Luke Warm

Mai 68 a servi, a posteriori, d’inspiration pour de nombreux artistes et notamment pour les musiciens. Mais quelle était vraiment la bande-son qui accompagnait sur les ondes le plus grand mouvement social français du XXème siècle ?

La musique en 1968
La musique en 1968

1967 avait été une année assez exceptionnelle pour la pop et le rock avec les sorties d’albums aussi importants que “Sgt Pepper’s lonely hearts club band” des Beatles, “Between the buttons” des Rolling Stones, “The Velvet Underground & Nico” du Velvet Underground, “The who sell out” des Who, “Are You Experienced” de Jimi Hendrix, “Forever Changes” de Love, “The Piper at the Gates of Dawn” de Pink Floyd, “The Doors” et “Strange days” des Doors, “Disraeli Gears” de Cream, “Younger than yesterday” des Byrds,… alors que la France restait en pleine période yé-yé même si les « Élucubrations » d’Antoine revendique déjà un souhait de liberté.

L’année 68 sera donc contestataire et pas seulement en mai 68 et en France, tout au long de l’année, des mouvements émergeront contre la guerre du Vietnam, pour les droits civiques, pour plus de libertés. Mais si la révolution couve, dans les charts, c’est le conformisme qui règne (pour la chanson contestataire, c’est par ici)

 

Petit éphéméride musicale de l’année 1968

  • Janvier :

Guerre du Vietnam : 500 000 américains sont déployés et fin janvier, c’est l’offensive du Têt qui marque un tournant et les esprits aux Etats-Unis sur fond du mélancolique « Sitting on the dock of the bay », le seul n°1 de Otis Redding qui sort quelques jours après sa mort en décembre 1967.

 

  • Février

En Allemagne, principalement à Berlin et Francfort, des manifestations commencées depuis la visite du Shah d’Iran en juin 1967 (et la mort d’un manifestant) se propagent à toute l’Allemagne les 17 et 18 février 1968 contre la réforme universitaire et la guerre du Vietnam… sur le son de « World » des Bee Gees.

 

  • Mars :

Le 1er mars, en Italie, la révolte étudiante connaît un apogée sanglant lors de la bataille de Valle Giulia qui oppose étudiants et forces de police mais aussi militants d’extrême gauche et d’extrême droite. Bilan : plus de 600 blessés alors que sur les ondes s’amuse notre Antoine national avec sa version en italien de « La Tramontane ». Le contraste est saisissant…

 

En France, quand le mouvement du 22 mars, qui annonce les manifestations des semaines suivantes, émerge en revendiquant plus de libertés et la fin de la guerre du Vietnam (que Colette Magny chantait l’année précédente sur Le Chant du Monde, label proche du PC qui accueillait aussi Léo Ferré) les français dansaient le slow sur la bluette « Nights in white satin » des Moody Blues qui sera détrôné par la reprise de “Riquita”, chanson des années 20, par Georgette Plana que les étudiants s’approprieront pendant les manifestations de Mai.

 

Un autre titre qui deviendra la bande-son de ce joli mois de mai et qui sort en mars : “Il est 5 heures Paris s’éveille” de Jacques Dutronc qui deviendra sur les barricades « Les 403 sont renversées, la grève sauvage est générale. Les Ford finissent de brûler, les enragés ouvrent le bal. Il est cinq heures… Paris s’éveille, Paris s’éveille ».

 

  • Avril :

Dix mille personnes se réunissent à Trafalgar Square à Londres pour protester contre l’action nord américaine au Vietnam. Alors qu’ils avancent vers l’ambassade des Etats-Unis à Grosvernor Square, protégés par des centaines de policiers, l’ambiance se dégrade. 86 personnes sont blessées dont au moins 25 policiers, 200 manifestants sont arrêtés.

Parmi les manifestants, se trouvait un certain Mick Jagger qui s’en inspirera pour écrire « Street fighting man », la chanson la plus engagée des Rolling Stones, influencée aussi par les révoltes étudiantes françaises, les manifestations anti-guerre américaines et la figure de Tariq Ali (c’est lui le « street fighting man »).

 

En Allemagne, le 11 avril, l’attentat contre le leader étudiant Rudi Dutschke (qui en réchappera avec de graves séquelles), met le feu aux poudres : c’est le “Osterunruhen“, les émeutes de Pâques entre étudiants et forces de police. Le célèbre poète-chanteur-dissident Wolf Biermann (et accessoirement beau-père de Nina Hagen) rendra hommage à Rudi Dutschke dans sa chanson « Drei Kugeln auf Rudi Dutschke ».

 

 

  • Mai

Le 7 mai, voit se produire à l’Olympia, Aretha Franklin, reine soul que le titre « Respect » de 1967 intronise figure de la défense des droits civiques, ce que viendra confirmer les « freedom, freedom » de “Think (1968). Ce concert fera d’ailleurs l’objet d’un enregistrement et d’une sortie discographique, “Aretha in Paris“.

pochette du disque d'Aretha franklin "Aretha in Paris"

 

Pourtant, alors que la rue est envahie, dans les salons français, c’est l’inoffensive « Delilah » de Tom Jones ou le lacrymal « Rain and tears » des Aphrodite’s Child qui s’imposent (sans parler de Sheila et de son titre « Petite fille de français moyen » ou des bien mal nommés Les Irrésistibles et « My year is a day »).

Histoire de Revolution

Le 30 mai, les Beatles commencent les sessions d’enregistrement de ce qui deviendra le “White album” (ou double blanc). Le premier titre enregistré est “Revolution“, morceau à l’histoire mouvementée. En effet, écrite par John Lennon, la première version de cette chanson sort en face b du single “Hey Jude” le 26 août, 5 jours avant le « Street fighting man » des Rolling Stones déjà évoqué et souffre de la comparaison dans son évocation des événements qui secouent la planète.

Quand Mick Jagger chante « Partout j’entends le bruit d’armées en ordre de marche, de pieds qui montent à la charge, mon gars / Car l’été est là et c’est une bonne époque pour se battre dans la rue mon gars », Lennon rejette la ligne dure (et les demandes de soutiens financiers que recevaient régulièrement les Fab Four) : « Tu dis que tu veux une révolution / Bien, tu sais que nous voulons tous changer le monde / Tu me dis que c’est l’évolution /  Bien, tu sais que nous voulons tous changer le monde / Mais quand tu parles de destruction / Ne sais-tu pas que tu ne peux pas compter sur moi ».

Accusés de petits bourgeois et de traîtres, la version de l’album, intitulée “Revolution 1” (“Revolution 9 étant plus une démarche expérimentale de John Lennon et Yoko Ono) voit la phrase polémique légèrement changée en « Ne sais-tu pas que tu ne peux pas compter sur moi… Tu peux ». Les Beatles ont toujours affirmé que cette version avait été enregistrée avant celle parue sur le single.

 

 

  • Juin

Au Brésil, le mouvement contestataire, commencé quelques mois plus tôt, atteint son apogée partout dans le pays, avec la généralisation des manifestations, des grèves, des occupations d’universités. La Manifestation des Cent Mille (Passeata dos 100 mil), le 26 juin, regroupe dans les rues de Rio des étudiants, des intellectuels, des artistes, des religieux… pour protester contre la dictature et la répression policière alors qu’une grève frappe les usines en juillet. La contestation sera réprimée violemment par la dictature alors qu’émerge le mouvement tropicaliste incarné en musique par Os Mutantes, ou Gilberto Gil et Caetano Veloso qui sortent le manifeste musical « Tropicalia ou Panis et Circensis ».

 

  • Juillet

Alors que l’année 68 est rythmée partout dans le monde de manifestations contre la guerre du Vietnam, aux Etats-Unis mais aussi en RFA, en Italie, au Pays-Bas, au Japon, en Belgique, en Suisse,… les Doors sortent le 12 juillet, leur troisième album « Waiting for the sun » comprenant notamment  « The unknwown soldier », dénonciation de l’engagement américain et du traitement de la guerre par les médias.

 

 

  • Octobre :

Au Mexique, le 2 octobre, les trois mois d’agitation étudiante sont réprimés dans le sang faisant, selon les estimations, 300 victimes (le gouvernement mexicain en concèdera seulement 20). C’est le massacre Tlatelolco qui n’empêchera pas l’ouverture 10 jours plus tard de Jeux olympiques marqués par l’image des poings levés de Tommie Smith et John Carlos sur le podium du 200m et le port du béret noir des Black Panthers par les coureurs américains de 400m. Une dénonciation de la ségrégation et une fierté noire qu’avaient affirmé James Brown avec le titre « Say it loud (I’m black and I’m proud) » sorti en août.

 

 

  • Décembre :

Véritable événement, après 7 ans d’absence, le comeback d’Elvis Presley sur scène est l’occasion pour le King de chanter notamment « If I can dream » en référence à Martin Luther King assassiné le 4 avril.

 

 

L’année se clôt sur une forme d’insouciance avec l’album d’une Françoise Hardy très éloignée de révoltes dont elle ne partage ni la cause ni la forme et la sortie de « Sympathy for the devil » des Rolling Stones qui annonce une année 69, qui si elle se veut érotique, sera aussi celle de la fin de l’utopie hippie, enterrée dans le désastre d’Altamont.

 

 

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