Karol SZYMANOWSKI “Le Roi Roger” (1988)

- temps de lecture approximatif de 2 minutes 2 min - Modifié le 09/02/2024 par Admin linflux

Le Roi Roger, du compositeur polonais Karol Szymanowski (1883-1937) est une oeuvre peu jouée, elle fait pourtant partie, de l'avis général, des opéras majeurs du XXème siècle.



On juge peut-être ce roi un peu désuet, mais l’intemporel se démoderait-t-il ? Quoique datée (la Sicile du XIIème siècle) l’action du Roi Roger, personnage historiquement attesté, peut se situer finalement hors du temps puisqu’il y est question d’un principe éternel : le conflit intérieur de l’être humain face à ses aspirations, ses pulsions divergentes et équartelantes. Les trois actes de cet opéra, assez statique, forment une sorte de triptyque. Le premier acte se déroule dans une église byzantine, c’est l’univers rigoureux et ascétique du christianisme, le deuxième a pour décor le palais du roi, il célèbre l’extase bachique , le troisième évoque l’Antiquité grecque .

Un étrange berger sème le trouble en répandant une hérésie nouvelle : il prône une nouvelle foi en un Dieu jeune et beau comme lui. Le berger qui a fait l’unanimité contre lui est banni, mais Roger sursoit à sa condamnation. Ebranlé par ce messager énigmatique , Roger le convoque au palais pour l’y faire subir l’ultime jugement . De retour au palais le pâtre affirme être un envoyé de Dieu, il dit venir de la ville sainte de Bénarès. Le Roi est cruellement tiraillé : il exècre ce trublion, qui pourtant l’attire vertigineusement. Tous cèdent bientôt à son charisme, se laissent entrainer dans une danse bachique . Débarrassé de ses chaines le berger emmène à sa suite une troupe de nouveaux convertis. Roger subjugué finit par abandonner ses insignes royaux pour se joindre à la foule des pélerins. Le berger révèle à Roger sa véritable nature dyonisiaque (Dyonisos/Bacchus étant le symbole des excès, des pulsions non contrôlées) face au soleil qui symbolise Apollon (mesure et harmonie). Roger illuminé, apaisé, accepte sa double nature, lot de tout être humain. C’est l’alliance – thème cher à Jung – des principes contraires et complémentaires. Un beau « Théorème » résolvant à sa manière l’équation d’une crise d’identité spirituelle et sexuelle. L’homosexualité de Szymanowski (qu’on voit affleurer dans la fascination sensuelle pour le Berger) imprègne l’opéra et le compositeur, avant même Britten, fait figure de précurseur en la matière. (On se doute bien qu’alors le sujet était tabou, il existe d’ailleurs aujourd’hui encore en Pologne une impitoyable homophobie ordinaire – ce qui lui attira en 2005 les foudres des Eurodéputés).

Le Roi Roger se veut une oeuvre de fusion luxuriante et de synthèse, à la fois au niveau de l’inspiration : l’Orient et l’Occident, le Christianisme et l’Islam – et en termes de moyens musicaux : elle embrasse toutes les innovations harmoniques du siècle naissant. L’originalité du langage musical ne se fait pas au détriment du plaisir de l’oreille. La partition, pour hardie qu’elle soit, demeure mélodieuse et n’en est que plus attachante.

A visionner : le beau DVD paru en 2010 – Wiener Philharmoniker dirigé par Mark Elder.

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