Krautrock

- temps de lecture approximatif de 16 minutes 16 min - Modifié le 25/06/2016 par Luke Warm

Chaque année le festival Nuits Sonores met l'accent sur une ville invitée dans le cadre de la carte blanche. Après Marseille, Barcelone, Manchester, Paris ou New-York, ce sera cette année la ville de Berlin qui sera à l'honneur. Réputée pour sa scène électronique florissante, la contribution berlinoise à l'histoire des musiques actuelles remonte évidemment bien au-delà. A cette occasion, la biblliothèque municipale de Lyon invitera Eric Deshayes, auteur du livre "Au-delà du rock : la vague planante, électronique et expérimentale allemande des années 70" , pour évoquer le dynamisme de la scène allemande des 70's notamment à travers le krautrock.

Plus qu’un genre musical bien défini, le krautrock désigne un mouvement englobant une scène musicale allemande en pleine effervescence à la fin des 60’s et au début des 70’s mais aussi ouverte aux autres formes artistiques (peintures, cinéma…). Baptisée ainsi et a posteriori par une presse anglo-saxonne étonnée de voir ces groupes allemands signés sur de gros labels tel que Virgin, le terme péjoratif de « krautrock » (qui signifie rock choucroute) sera d’ailleurs rejeté par ses acteurs même si Faust s’en inspire pour un long morceau, instrumental expérimental et ironique peu représentatif de ce que l’on appelle aussi Kosmiche Musik.

Le krautrock est à la croisée du rock psychédélique de Pink Floyd, du rock progressif, des expérimentations bruitistes du Velvet Underground et de l’improvisation. Ses influences sont multiples : le free-jazz, le funk (il suffit d’écouter l’incroyable Vitamin C de Can), la musique contemporaine (notamment Stockhausen) mais aussi la contre-culture américaine importée en Allemagne via les nombreuses bases américaines implantées outre-Rhin (un groupe de soldats américains, les Monks, y enregistra d’ailleurs un disque primordial pour le mouvement) et se caractérise par l’utilisation de l’électronique, des nouvelles techniques d’enregistrement et des effets de studio. Ces multiples caractéristiques et influences sont d’ailleurs plus ou moins présentes selon les artistes donnant ainsi à cette scène des productions bien différentes mais néanmoins spirituellement proches.

QUELQUES DISQUES PHARES

Can Tago mago

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Véritable chef d’œuvre du groupe de Cologne, deuxième véritable album studio et premier avec leur nouveau chanteur, Damo Suzuki, influence majeure sur des groupes aussi importants que Joy Division, Wire, Cabaret Voltaire ou Jesus & Mary Chain qui reprendront d’ailleurs “Mushroom” et Primal Scream qui sampleront “Halleluwah” sur leur titre “Kowalski“.

 

 

Neu ! Neu ! 75

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Le duo composé de Michaël Rother et Klaus Dinger (un ancien Kraftwerk, décédé le 21 mars dernier) revient en 1975 pour un troisième album après un lp inaugural, véritable pierre angulaire du rock métronomique tel que pratiqué plus tard par Stereolab ou Tortoise, et un deuxième effort bâclé (faute d’argent, la face b correspond à des versions en 16 ou 78 tours de titres de la face a !).

 

 

Kraftwerk Autobahn

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Kraftwerk a été rattaché au mouvement krautrock du fait de son origine. Ce quatrième album est alors l’album charnière dans la carrière du groupe de Düsseldorf, celui où l’utilisation des synthétiseurs devient centrale et dans lequel Kraftwerk pose les bases de la techno : un rythme électronique répétitif censé illustré le monde industriel occidental (ici à travers l’image de l’autoroute), thématique reprise par les premiers producteurs de techno d’une autre ville industrielle, Detroit.

 

 

Faust Faust IV

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Considéré tantôt comme le meilleur, tantôt comme le plus faible, ce quatrième album de Faust divise le public d’un groupe à la fois exigeant (leur musique mêle collages sonores, improvisation, musique concrète, rock minimaliste et dérives bruitistes) et populaire (leur pourtant expérimental Faust tapes s’est vendu à 50 000 exemplaires). Collectif dadaïste, anarchiste, le groupe de Wümme sera l’une des influences majeures du rock industriel de Throbbing Gristle ou du rock noise de Sonic Youth.

 

 

Tangerine Dream Phaedra

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4 ans après un premier album, Electronic meditation, oeuvre minimaliste et expérimentale, Tangerine Dream publie son premier chef d’oeuvre, “Phaedra“, composé de 4 morceaux qui sont autant de paysages sonores composés au synthétiseur et qui préfigureront l’ambient (pour le meilleur) et le new age (pour le pire).

 

 

 

Amon Düül II “Yeti

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Issu d’une communauté munichoise d’inspiration libertaire et hippie (qui donnera aussi Amon Düül tout court, groupe beaucoup moins intéressant), Amon Düül II représente le versant le plus rock et psychédélique du krautrock. Mais un rock psychédélique d’une grande inventivité et assez sombre, plus proche du Pink Floyd de Syd Barrett que du flower power de San Francisco.

 

 

Ash Ra Tempel “Ash ra tempel

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Autre groupe à l’origine de l’ambient et du new age (il fût d’ailleurs le premier à utiliser ce terme en baptisant un album “New age of earth” en 1976) mais aussi du rock planant et progressif, Ash Ra Tempel est alors composé de Manuel Göttsching, Klaus Schulze (ancien de Tangerine Dream et qui après cet album s’essayera à une carrière solo fructueuse) et Hartmut Enke et propose de longues plages méditatives basées sur de longues digressions à la guitare et des nappes de synthétiseur.

 

 

Cluster Sowiesoso

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Après 2 brillants albums en compagnie de Michael Rother de Neu ! sous le nom de Harmonia (“Musik Von Harmonia” en 1974 et “De luxe” en 1975), le duo composé de Hans-Joachim Roedelius et Dieter Moebius, aidé par le fidèle Conny Plank (producteur de Kraftwerk, Ash Ra Tempel, Neu ! puis de Brian Eno, Devo , D.A.F. ou du premier album des Rita Mitsouko), publie “Sowiesoso“, parfait aboutissement de leurs travaux antérieurs, mêlant créations électroniques expérimentales et instruments acoustiques comme le piano. Leur maîtrise des rythmiques électroniques complexes et qui évoluent lentement et par petites touches influenceront aussi bien le Bowie des années berlinoises que les seigneurs de l’electronica actuelle (Aphex Twin, Plaid ou Autechre).

 

LES HÉRITIERS

Mouvement des années 60 et 70, exclusivement allemand, le krautrock influencera un nombre important de formations au niveau international depuis les années 80 jusqu’à nos jours. Encore aujourd’hui, à la suite d’artistes comme Stereolab, Broadcast, Bowery Electric, Labradford… de nouveaux venus s’inspirent et rendent hommage (chacun à leur façon) aux pionniers du rock planant, expérimental, électronique et métronomique d’outre-Rhin. Tour du monde rapide et sélectif de cette descendance :

Turzi A

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Chef de file du revival français au krautrock, Turzi entraîne dans son sillage (et au sein de son label Pan European et de la compilation Voyage) bon nombre d’artistes proposant un panorama quasi exhaustif du krautrock (du psychédélisme de Aqua Neblua Oscillator à l’électronique répétitive de Musikasphaera en passant par les nappes de synthé de Turzi ou le saxo jazz de Etienne Jaumet…) tout en élargissant le spectre des influences (folk avec Wolf Rayet, musiques du monde avec MogadiShow, pop orchestrale avec Rob…).

Une vidéo de Turzi en concert

 

The Emperor Machine Aimee Tallulah is hypnotised

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Homme seul derrière le projet The Emperor Machine, l’anglais Andrew Meecham (également membre de Chicken Lips) propose une musique à la fois retro et futuriste, une electro fortement influencée par les rythmes de Neu !, les nappes de synthés de Tangerine Dream et l’énergie de Can qui aboutit à un « kraut funk » jubilatoire et hypnotique.

 

 

 

Zombie Zombie A land for renegades

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Composé de Etienne Jaumet (membre de The Married Monk) et Cosmic Neman (batteur de Herman Düne), Zombie Zombie propose un krautrock psychédélique basé sur l’improvisation du duo batterie/claviers rappelant aussi par certains moments les bandes originales composées par John Carpenter pour ses films.

 

 

 

Delia Gonzalez & Gavin Russom The days of Mars

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Sortie confidentielle du pourtant très branché label new-yorkais DFA (LCD Soundsystem, The Rapture…), « The days of Mars » est l’œuvre d’un duo reconnu dans les milieux arty new-yorkais proposant performances et installations. Versant musical de leur démarche artistique (qui allie magie, cabaret, danse…), cet album propose 4 longs morceaux instrumentaux composés et exécutés uniquement à l’aide de synthétiseurs analogiques. L’impression d’assister à une sorte de mantra électronique est renforcé par l’hypnotisme de morceaux linéaires qui évoluent lentement et par petites touches dont l’esprit rappelle Terry Riley, Cluster, Popol Vuh, Ash Ra Tempel, Tangerine Dream, Klaus Schutze, Vangelis ou Brian Eno !

 

Kling Klang The esthetik of destruction

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Programmé au festival Nuits Sonores, le groupe anglais tire son nom du mythique studio d’enregistrement de Kraftwerk. Fondé à Liverpool il y a maintenant presque 10 ans et hébergé sur le label de Mogwaï, Rock Action, le groupe propose pourtant un rock bruitiste et pyschédélique principalement basé sur l’utilisation de 4 synthés cheap et d’une batterie rappelant plus des Neu ! et Can noise-rock que les « hommes machines » de Düsseldorf.

 

 

Von Spar Xaxapoya

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Sorti en 2007, le deuxième album des allemands Von Spar constitue un véritable tournant dans leur carrière après un premier album post-punk / new-wave. Réalisé chez le toujours pertinent label de Cologne, Tomlab (Casiotone for the Painfully Alone, Final Fantasy, Deerhoof, The Books, Why ?…), cet album, composé de deux longues plages de 20 minutes chacune, est un véritable hommage à l’esprit du krautrock, soit un rock expérimental explorant un spectre musical très large mais surtout sombre et claustrophobique rappelant à la fois Drumming de Steve Reich pour l’utilisant des rythmes et percussions que le post-rock bruitiste.

 

BIBLIOGRAPHIE :

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“Au-delà du rock”
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“Krautrocksampler”
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“Cosmic dreams at play”
  • Dag Erik Asbjornsen, Cosmic dreams at play, (Borderline Productions, 1996) (en anglais)
    Ouvrage aujourd’hui épuisé mais dont on peut trouver une transposition sur le web.
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“The crack in the cosmic egg”
  • Steven & Alan Freeman, The crack in the cosmic egg : Encyclopedia of Krautrock, Kosmische Musik & other progressive, experimental & electronic musics from Germany, (Audion Publications, 1996) (en anglais)
    Elaboré par le magazine Audion, cet ouvrage de référence est également épuisé mais on peut en trouver une version abrégée librement consultable sur internet mais aussi une version cédérom enrichie (l’ouvrage d’origine avait déjà 1177 entrées de musiciens ou d’artistes et évoquait 2500 albums !).
  • Des articles dans Rock & Folk (consultable sur place à la bibliothèque de la Part-Dieu) : Paul Alessandrini, “Deustch rock” (n°73, février 1973, p.72-77) et Jean-Marc Bailleux, “Opéra cosmique” (n°101, juin 1975, p.73-85)

Mais aussi :

  • Jean-François Bizot, Underground, l’histoire, (Actuel / Denoël, 2001)
    On y trouve la reproduction de l’article de Jean-Pierre Lentin, “Le rock allemand enfin !“, paru en janvier 1973 dans le n°27 de la revue Actuel (source : bibliographie de “Au-delà du rock” de Eric Deshayes).

SITOGRAPHIE :

  • Kosmische club
    Soirées, émissions de radio et site internet dédiés à la Kosmiche Musik.
  • Krautrock Group
    La “Krautrock album database” avec critiques, notes et extraits musicaux.
  • Krautrock.com
    De nombreuses chroniques de disques, des liens vers des articles ou sites spécialisés.
  • Die Krautrockseite
    Site en allemand sur le Krautrock et le “Prae-Kraut” (les groupes Beat-Music des Sixties). Leur histoire et leurs activités actuelles.
  • Phinnweb Krautrock
    Page consacrée aux liens sur le krautrock : sites spécialisés, articles, sites d’artistes, de labels, mailing lists, blogs…
  • Faust-pages
    Absolument TOUT sur le groupe Faust (actus, histoire, discographie [par album mais aussi par titre de chansons…]…) une mine !

 

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