Joseph HAYDN, ou le mystère du cadavre sans tête

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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Le 31 mai 1809, Joseph Haydn décède paisiblement à Vienne, où sa gouvernante et son secrétaire Johann Elssler veillent sur lui depuis plusieurs années. Napoléon Premier, bien qu’à la tête d’une force d’occupation, marque son respect au compositeur en faisant poster une garde d’honneur à sa porte. Il est inhumé dans l’ancien cimetière du Hundsturm.

En 1820, pour manifester sa fidélité à la mémoire d’un ancien serviteur, le prince Esterhazy obtient l’autorisation de transférer les restes de Haydn dans une sépulture en l’église du Calvaire d’Eisenstadt. Lorsqu’on ouvre le cercueil pour identifier le corps, on découvre avec stupeur qu’il y a bien une perruque, mais plus de crâne dedans ! C’est ici que commence le mystère du cadavre sans tête.

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Joseph Haydn

La police secrète autrichienne découvre rapidement que le chef du compositeur a été subtilisé par C. Rosenbau et J. N. Peter, deux étudiants en phrénologie (science très à la mode à cette époque et qui avait pour but l’étude du caractère et de la personnalité à partir de la forme de l’occiput).

Le prince Esterhazy envoie la police chez Rosenbau, où elle ne trouve que son épouse alitée. Galants, les hommes fouillent l’appartement sans déranger la dame et rentrent bredouilles. – la fine mouche avait caché le crâne dans sa paillasse ! Le prince propose alors de racheter la précieuse relique. Rosenbau accepte mais c’est le crâne d’un vieillard, enterré le même jour que le musicien, qui est restitué. A sa mort, Rosenbau confie son trésor à Peter et lui fait promettre de le léguer à son tour par testament à la Gesellschaft des Musikfreunde de Vienne.

C’est dans ce musée qu’il sera exposé de 1895 à 1954.

En 1954, soit presque 150 ans après la mort du musicien, le prince Paul Esterhazy parvient enfin à réunir le crâne au reste du corps.

Une évolution constante

Haydn est né en 1732 et mort en 1809. Sa période créatrice s’étend environ sur cinquante ans. Rien d’étonnant donc, si nous constatons une évolution entre ses premières œuvres et celles de sa maturité. Le compositeur n’a cessé, en effet, d’assimiler toutes les tendances successives du dix-huitième siècle : (les styles rococo, galant, sensible et préromantique du Sturm und Drang) ; ainsi que les progrès de la facture instrumentale (l’apparition du pianoforte), et des procédés d’écriture, notamment la disparition de la basse continue.

Les symphonies :

Souvent séduisantes, ces pages orchestrales sont une bonne introduction à l’art de Joseph Haydn. Elles suivent l’évolution de l’orchestre au dix-huitième siècle. Les premières sont écrites pour cordes, hautbois et cors, puis peu à peu s’ajouteront flûtes, clarinettes, bassons pour arriver avec les dernières à un effectif qui sera celui de l’orchestre de Beethoven jusqu’à la Neuvième.

La bibliothèque de la Part-Dieu dispose d’une intégrale dirigée par Adam Fischer à la tête de l’Austro-Hungarian Haydn Orchestra. Cette version, sur instruments modernes, est plus que satisfaisante. Toutefois, pour certaines œuvres, nous avons signalé d’autres enregistrements qui nous semblent intéressants.

Voici une sélection de 44 symphonies pouvant servir de jalons dans cette énorme production orchestrale.


Les premières symphonies dites du préclassicisme :

Symphonies A à 33 composées entre 1757 à 1760

- N° 6, 7, 8 : Le matin, le midi, le soir. Ce sont quasiment des symphonies concertantes avec des solos de flûte, hautbois, violon, et même de contrebasse. (T. Pinnock et l’English Concert chez Archiv Produktion)
- N° 22 dite : « Le Philosophe » dont l’orchestre comporte deux parties de cors anglais à la place des hautbois.
- N° 30 dite : « Alléluia », teneur grégorienne aux cors qui utilisent l’alléluia grégorien de Pâques (Ces deux symphonies sont disponibles dans une jolie version de l’ensemble Cantilena dirigé par Adrian Shepherd).

Les symphonies du Sturm un Drang :
Symphonies 34 à 59 composées entre 1765 et 1768

- N° 35,
- N° 38 dite : « Echo »,
- N° 39 dite : « La mer troublée », œuvre en sol mineur, très proche dans l’esprit de la symphonie 25 de Mozart.
- N° 49 dite : « La Passion », composée pour le Vendredi Saint, elle adopte la structure en quatre mouvements (Lent, vif, modéré, vif) de l’ancienne sonate d’église.
- N° 58,
- N° 59 dite : « Le feu ou l’incendie »,

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Toutes ces symphonies sont regroupées dans un coffret de l’ensemble Estro Armonico placé sous la direction de Derek Solomons. Cette version superlative reste la référence pour les symphonies « Sturm und Drang ».

- N° 43 dite : « Mercure »,
- N° 44 dite : « Funèbre », l’adagio aurait été joué lors d’un service religieux à la mémoire du compositeur.
- N° 45 dite : « Des adieux », qui à la fin de son cinquième mouvement voit les instrumentistes, sauf deux violons solistes, s’en aller les uns après les autres. Ainsi, Haydn, se serait fait, auprès du prince Esterhazy, le porte parole des musiciens qui désiraient, après une saison beaucoup plus longue que prévue, pouvoir rentrer chez eux.

Les symphonies du classicisme viennois :
Symphonies 60 à 81 composées entre 1774 et 1784

- N° 62,
- N° 63 dite : « Roxelane », dont le second mouvement et l’un des plus beaux exemples de l’art de la variation symphonique chez Haydn.
- N° 70,
- N° 71,
- N° 73 dite : « La chasse », œuvre riche en cuivre aimablement descriptive.
- N° 74,
- N° 75,

Ces symphonies, rassemblées en un coffret, ont été enregistrées par l’Academy of Ancient Music sous la direction de Christopher Hogwood. C’est une excellente version.

Les six symphonies parisiennes :

Symphonies 82 à 87 composées entre 1785 et 1786

Cet ensemble d’œuvres a été commandé à Haydn par le Concert de la Loge Olympique,
(orchestre paramaçonnique parisien). Trois œuvres portent des titres :
- N° 82 dite : « L’ours », écoutez le final !
- N° 83 dite : « La poule », à cause du thème gloussant du premier mouvement.
- N° 85 dite : « Reine de France », la romance qui sert de sujet aux variations du second mouvement aurait été la chanson favorite de Marie-Antoinette.
Ce sont les premiers grands exemples de la symphonie classique.

Les deux symphonies Tost et les trois d’Ogny
Symphonies 88 à 92 composées entre 1787 et 1789

Ces cinq symphonies portent le nom de leurs dédicataires. Œuvres de belle envergure, elles font partie des plus célèbres du compositeur. La 92 porte le nom d’Oxford et rappelle qu’en juillet 1791, Haydn y fut reçu Docteur Honoris Causa.
Sigiswald Kuijken a enregistré en deux disques une version de référence avec la Petite Bande.

Les douze symphonies londoniennes
Symphonies 93 à 104 composées entre 1791et 1795

Avec ces symphonies, Haydn met un point final à sa production orchestrale. Modèles
d’équilibre entre l’inspiration, le traitement thématique et la science de l’orchestration,
ces œuvres sont l’aboutissement du style symphonique classique. Six portent des titres :

- N° 94 dite : « La surprise », à cause d’un coup de timbale au milieu du mouvement lent.
- N° 96 dite : « Miracle »,
- N° 100 dite : « Militaire », en raison d’un orchestre utilisant triangle, grosse caisse en plus des trompettes, timbales et cors très présents.
- N° 101 dite : « L’horloge », avec un andante construit sur un rythme de « tic-tac » omniprésent.
- N° 103 dite : « Roulement de timbale », avec une introduction fracassante des percussions à découvert.
- N° 104 dite : « Londres »,

Les symphonies 94, 96, 100 et 104, existent dans une version intéressante de C. Hogwood avec L’Academy of Ancient Music. Afin d’être complet, signalons un enregistrement de la Militaire par Nikolaus Harnoncourt avec le Concertgebouw d’Amsterdam, un must.

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manuscrit de Haydn

De nos jours la réputation de Joseph Haydn reste occultée par la gloire éclatante de certains de ces collègues ou successeurs (Mozart et Beethoven, par exemple). On lui a reproché de ne pas avoir écrit la meilleure musique dont il était capable mais la meilleure que ses contemporains étaient susceptibles de recevoir. C’est certainement à cause de cela que de grands musiciens l’ont sous-estimé. Robert Schumann écrivait : « De nos jours, il est impossible d’apprendre de Haydn quelque chose de neuf. Il est comme un ami familier de la maison que tous saluent avec plaisir et estiment, mais qui a cessé d’inspirer un intérêt ».

1809 est une date charnière dans l’histoire des arts et des idées. Cette année là verra la naissance de Louis Braille, Charles Darwin, Abraham Lincoln, Edgar Allan Poe, Félix Mendelssohn. La vieille monarchie française est définitivement morte, la religion perd de son influence au profit de la science, l’Homme est au centre de toutes les préoccupations, et l’élégante société du dix-huitième siècle est définitivement enterrée. Il est certain que dans ces conditions, la perruque poudrée de « papa Haydn » ne peut que susciter au mieux un sourire attendri, au pire méprisant.

Cependant, à la fin du dix-neuvième siècle, dans sa préface aux œuvres pour clavecin de Rameau, Camille Saint-Saëns écrivait : « …Pour goûter la musique des siècles passés, il faut, comme quand on regarde les peintures des primitifs, se défendre de chercher, dans les œuvres d’art d’un âge différent du notre, des effets et des expressions de sentiments qui ne sauraient s’y trouver ; faire table rase, autant que possible, de ses habitudes journalières et se laisser aller naïvement à l’impression produite par le contact avec des formes inusitées. A ce prix, on étendra singulièrement le champ de ses jouissances esthétiques : ce résultat vaut bien un léger effort ».En cette année anniversaire, suivons le conseil de Saint-Saëns et appliquons le à la musique de Haydn.

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Le tombeau de Haydn

SITOGRAPHIE

  • Wikipedia
    Courte biographie où l’essentiel est dit.

BIBLIOGRAPHIE

  • Marc Vignal Joseph Haydn (édition Fayard, 1988)
    Une des biographies les plus complètes à l’heure actuelle.
  • Robert Louis Stevenson
    Dans la nouvelle “Les déterreurs de cadavres”, Stevenson raconte une aventure proche de celle arrivée à la dépouille de Haydn.

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