100 ans de B.O.F.

- temps de lecture approximatif de 15 minutes 15 min - Modifié le 01/07/2016 par La COGIP

En 1908 est montré le film « L'assassinat du duc de Guise », accompagné par une musique originale de Camille Saint Saens, composée pour le film. Il ne s'agit pas de la première rencontre de la musique et du cinéma, mais c'est la première fois qu'une œuvre musicale est composée pour un film, dans un esprit collaboratif.

Cet anniversaire est pour nous l’occasion de revenir sur les origines du mariage Cinéma / Musique, et d’en dessiner les contours en évoquant via une sélection de documents quelques grands disques, et à travers eux quelques grands noms, grandes collaborations.

- LA MUSIQUE AUX DEBUTS DU CINEMA

Outre l’opéra, la musique intervenait traditionnellement dans tous les types de spectacles (magie, sketches, théâtre). Cette tradition de la musique de scène servira naturellement d’inspiration à l’utilisation de la musique au cinéma balbutiant.
L’accompagnement musical du film muet a toujours été une pratique majoritaire. La musique est alors jouée directement par des musiciens présents dans la salle. Il s’agit en général d’une suite de morceaux existants compilés et arrangés. Des recueils de partitions étaient spécialement édités à cet effet (les « cue sheets »), illustrant chacun un climat particulier.

Le cinéma naît officiellement en 1895, soit 18 ans après l’invention par Edison du phonographe (breveté en 1877). Mais les deux procédés ne sont pas encore prêts à cohabiter car se pose encore le problème de l’amplification des sons du phonographe, dont la portée est limitée.
Le format long s’impose peu à peu (milieu des années 1910), et le cinéma évolue jusqu’à devenir un domaine homogène : du film à sketches à des productions plus ambitieuses et narratives. La musique va suivre cette évolution.
Il est intéressant de noter que c’est en partie en convoquant la musique que le cinéma va acquérir une certaine unité : une des fonctions de la musique étant de couvrir les sons générés par les projecteurs, et de « créer ainsi un lien symbolique entre le film projeté et le spectateur » (comme l’explique M. Chion dans “La musique au cinéma”).
Le cinéma offre à la musique une espace où peuvent cohabiter divers styles musicaux, populaire et savant. Cette dualité populaire / musique classique dans les films est toujours d’actualité aujourd’hui.
Les années 1920 vont voir l’apparition progressive du cinéma parlant.
Pour des besoins de synchronisation du son, la vitesse de défilement du film doit être stabilisée. La bande son devient solidaire du film, elle est désormais amplifiée électriquement et épouse étroitement le montage du film (les procédés ‘sound on disc‘ puis ‘sound on film‘)
Il y a désormais survie de la musique dans le corps du film.


- EXISTE-T-IL UNE ESTHETIQUE ‘MUSIQUE DE FILM’ ?

Musique angoissante soulignant le suspens, mouvements amples accompagnant l’émotion.
Ces codes dépassent le domaine musical et sont plus le fruit du dialogue cinéma/musique, les deux sont ils dissociables ?
Comme le rappelle Michel Chion « statistiquement parlant […], la musique au cinéma est d’abord majoritairement une musique qui peut exister, ou avoir existé, ou être destinée à exister hors écran »
Les compositeurs de musiques de films considérés comme grands sont ceux dont les musiques ont une vie propre et dont la magie opère aussi hors écran.

Alors existe-t-il une esthétique ‘Musique de film’ ?
Il semble que non. Bien sûr il existe un certain public béophile mais il apparaît que ce qui les unit est plutôt l’amour du cinéma.
La B.O.F. est dans ce cas le prolongement de l’expérience cinématographique.

Sur la forme,
On distingue le « score » (musique composée pour le film) et la compilation (titres pré-existants utilisés dans le film). La BOF peut être éditée indépendamment sous ces deux formes, ou être un mélange des deux (1cd score, 1cd compilation, ou un cd regroupant les deux).
Ce caractère hybride des BOF, rend l’analyse statistique de leur public complexe, d’autant que les BOF compilant des morceaux existants empruntent à tous les genres musicaux.
La B.O.F. n’a donc pas à priori d’identité musicale.


- QUELQUES GRANDS NOMS

2 grands compositeurs classiques :

Dimitri Chostakovitch :

JPEG - 39.9 ko
Hamlet (Grigori Kozintsev)


Compositeur russe de la période soviétique, né en 1906, il écrit en 1929 sa première musique de film « la nouvelle Babylone ». Il est l’auteur de 36 musiques de film entre 1929 et 1970.

Ses musiques de film
Un article sur altamusica.com

Serguei Prokoviev :

JPEG - 16.1 ko
Ivan le Terrible (Eisenstein)


Compositeur soviétique né en 1891 à Sontsovska (Ukraine). Il compose en 1938 à l’invitation du cinéaste Eisenstein la musique de son film Alexander Nevski. Il compose également pour le cinéaste la musique d’Ivan le Terrible (1942) Il se laisse inspirer par les images du film et Eisenstein à son tour s’inspire de la musique pour retravailler, dit-on, quelques scènes.

Ses musiques de film


Hollywood

Max Steiner :


Compositeur d’origine Autrichienne (1888-1971), élève de Gustav Mahler.
Il signe en 1933 la musique de King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack) qui lancera sa carrière de compositeur pour le cinéma. Il travaillera pour d’immenses réalisateurs comme Frank Capra, John Huston, Raoul Walsh ou Michael Curtiz.
Ses compositions pour les studios RKO puis Warner sont typiques de la musique hollywoodienne des années 1930 et 1940 : symphonique, contenant aussi bien de la musique populaire que savante, elle exalte les sentiments.

Bernard Herrmann :

Il compose en 1941 la musique de « Citizen kane » d’Orson Welles, qui est à l’image du film une œuvre majeure du genre.
Extrait d’un article de wikipédia :
« 1941 : Citizen Kane d’Orson Welles profite de la dynamique de travail forgée lors de leurs expériences radiophoniques. Welles offre en outre au compositeur le luxe de travailler sur le film dès le début de sa production, soit douze semaines. La richesse des apports (musique américaine via des pastiches ou des compositions existantes) caractérise cette œuvre de style néo-romantique où les méthodes de travail du compositeur pour la radio transpirent plus que dans aucune autre de ses réalisations suivantes (dans l’utilisation des ponts notamment). Il y impose son style non mélodique, l’usage de leitmotiv, dès l’ouverture à l’orchestration déjà singulière. Il privilégie la ponctuation là où le remplissage (fond sonore) faisait règle. Il compose pour l’occasion l’aria d’un opéra fictif. »

Il collabore à de nombreuses reprises avec Alfred Hitchcock, notamment pour Vertigo (Sueurs froides) en 1958 et North by northwest (La mort aux trousses) en 1959. La musique qu’il compose pour Psycho (psychose) en 1960 (entièrement écrite pour cordes) et son thème angoissant, indissociable du film, finira d’asseoir sa réputation de maître de la musique de supens. Cette composition est à ce jour la pièce de musique de film la plus citée et la plus reproduite…
En DVD : un documentaire sur Bernard Herrmann réalisé par Joshua Waletzky


Ennio Morricone :

Compositeur italien né le 10/11/1928 à Rome. C’est en 1964 qu’il se fait connaître en composant pour Sergio Leone la partition de « Pour une poignée de dollars ». Cette collaboration sera la première d’une longue série avec le réalisateur : « Le bon, la brute et le truand » en 1966, « Il était une fois dans l’Ouest » en 1968, « Il était une fois la révolution » en 1971, pour ne citer qu’eux. Il a composé plus de 500 musiques de film et de télévision (un chiffre étonnant : pas moins de 20 B.O.F. à son actif pour la seule année 1972) pour des réalisateurs aussi divers que Bernardo Bertolucci, Pier Paolo Pasolini, Dario Argento, Henri Verneuil, Terrence Malick, John Boorman…


Une discographie luxuriante, à laquelle la compilation « crime and dissonance » rend un bel hommage : elle contient en effet certaines des pièces les plus expérimentales et aventureuses du maître, qui malgré son étourdissante prolixité a toujours su faire preuve d’originalité. Un Morricone plus torturé, et toujours excellent.
La discographie d’Ennio Morricone sur wikipédia
Les disques d’Ennio Morricone à la BML

Lalo Shifrin :

Pianiste et compositeur d’origine Argentine, Lalo Schifrin fut un temps membre du quintet mené par le trompettiste de jazz Dizzy Gillespie.
En contrat avec les plus grands studios il a composé près de 100 musiques pour le grand et le petit écran.
On lui doit notamment à la télévision le thème de la série Mannix, le thème entêtant de « Mission:Impossible » et au cinéma les inoubliables bandes originales de « L’inspecteur Harry » et de « Bullitt » (1968) dans un style funky, à la fois intense et relâché, comme le sont Clint Eastwood et Steve McQueen à l’écran !
_
A lire : Lalo Schifrin, entretiens sur la musique, le cinéma et la musique de cinéma (par Georges Michel)

Les disques de Lalo Schifrin à la BML

Seventies’ soul brothers :
Nombreux sont les musiciens soul des années 1960 et 1970 à s’être essayés à l’exercice de la composition pour le cinéma, et notamment dans la période « blaxploitation ». L’histoire retiendra d’ailleurs plus souvent les bandes originales que les films.

En voici quelques exemples :

- Isaac Hayes : Shaft / Truck Turner / Three tough guys
- Marvin Gaye : Trouble Man
- James Brown : Slaughter’s big rip off / Black Caesar
- Curtis Mayfield : Superfly
- Willie Hutch : Foxy Brown / The Mack
- Roy Ayers : Coffy
- Edwin Starr : Hell up in Harlem

- Bobby Womack : Across 110th Street
- Une compilation : Can you dig it ? : The music and politics of black action films 1968-75


- 3 compositeurs d’aujourd’hui :

Angelo Badalamenti :

Son style colle à merveille à l’univers de son double cinématographique David Lynch. On y entend presque se lever le soleil glacial sur le trop calme ‘petit coin de nature’ qu’est Twin Peaks. Empreints d’une mélancolie suspecte, les compositions de Badalamenti se fondent dans les mystérieux tableaux de Lynch : ils collaborent notamment en 1986 sur « Blue Velvet », en 1990 sur la série « Twin Peaks », puis sur « Lost Highway » en 1997, « Mulholland Drive » en 2001…

Howard Shore :
Compositeur canadien, il signe entre autres les musiques des films de David Cronenberg, depuis Chromosome III en 1979.
Lien : un entretien avec Howard Shore réalisé par Traxzone.com

A écouter : la bande originale de « Videodrome » : motifs mélodiques minimalistes, textures synthétiques sombres, angoissantes et malsaines à souhait.

Plus récemment Howard Shore a signé la musique de la trilogie « Le seigneur des anneaux » réalisée par Peter Jackson.

Lien : une critique de la B.O. des “Promesses de l’ombre” sur cinezik.org

Joe Hisaishi :

Il a composé toutes les musiques des films de Hayao Miyazaki, maître japonais de l’animation. Il a signé également plusieurs bandes originales pour Takeshi Kitano.

Sa discographie à la BML

- N’OUBLIONS PAS LES ANONYMES :

La library music (ou production music / mood music), que l’on appellerait en français ‘musique de stock‘.
Il s’agit d’enregistrements destinés aux professionnels de l’audiovisuel : la musique est réalisée dans un cadre contractuel de type ‘work made for hire’ (oeuvre réalisée contre rémunération) par des compositeurs qui restent anonymes, vendent leurs compositions au studio ou à la ‘bibliothèque de sons’. Ces derniers la vendent à leur tour aux producteurs intéressés

Voir cet article (en anglais).
Ces disques de musique de stock destinée à illustrer, film, documentaire, reportage… sont depuis quelques années de plus en plus recherchés par les collectionneurs et les chasseurs de vinyles, notamment parmi les fans de funk instrumental, les producteurs de hip hop ou de musique électronique, toujours en quête de sons nouveaux à exploiter, sampler ou simplement… écouter.
Les musiciens et les compositeurs, protégés en quelque sorte par cet anonymat en profitaient pour expérimenter sans pression, le résultat est souvent surprenant comme en témoignent les compilations et rééditions qui fleurissent, sur des labels spécialisés (tels que Plastic Records, Trunk…) et redonnent vie aux oubliés des studios Chappell, DeWolfe, Bosworth, KPM…
A écouter :
Barry 7’s connectors : 21 rare library tracks (Lo Recordings)
Music for dancefloors : The Cream of the Bosworth library sessions
Music for dancefloors : The Cream of the Chappell music library sessions
Kaleidoscopica : Obsessive psychedelic, funk-beat 70’s italian music library

1 chiffre pour finir :

Les BOF représentent 1 à 2 % des ventes de disques en France.
suivre ce lien sur disqueenfrance.com

 


- BIBLIO/FILMO/SITO-GRAPHIE

Pour une poignée de livres :

- Musique et cinéma à la BML

- Un ouvrage théorique de référence :
La musique au cinéma, par Michel Chion

Il était une fois en DVD :

- La collection ‘Musique de Films’ propose des portraits des grands compositeurs Georges Delerue, Toru Takemitsu, Zhao Jiping, et Joseph Kosma.

Et pour quelques liens de plus :

- Une discographie sélective réalisée par l’ACIM

- Vous cherchez le tracklisting d’une B.O.F. ? Essayez
l’index alphabétique d’imdb.

- Nanarland le site des mauvais films sympathiques

- Un panorama très complet des musiques de film réalisé par la médiathèque d’Aubenas
- Les signets de la BnF : Musiques de film

- “Les dents de la mer” : analyse d’une partition incisive

- Musique de film, sur Wikipédia

- Les B.O.F. oscarisées

- Un grand dossier sur la musique au cinéma, sur le site pianoweb.free.fr
- Et leur sélection de 100 B.O.F. essentielles

- Nino Rota, Danny Elfman, John Williams, Ryuichi Sakamoto, John Carpenter, Henry Mancini, Francis Lai, Bruno Coulais, Béatrice Thiriet, Charlie Chaplin, François de Roubaix, Philip Glass, Maurice Jarre, Jerry Goldsmith, Alexandre Desplat, James Newton-Howard, John Barry (…) n’ont pas été cités, est-ce normal ?
Pas vraiment, et c’est injuste.
Consultez leurs portraits et toute l’actualité du genre sur le site français de référence en matière de musique de film : Cinezik.org


786

Partager cet article

Poster un commentaire

One thought on “100 ans de B.O.F.”

Comments are closed.