Histoire de la Syrie

- temps de lecture approximatif de 25 minutes 25 min - Modifié le 11/10/2019 par Département Civilisation

Berceau des civilisations méditerranéennes et mésopotamiennes, cette région est depuis 5000 ans un carrefour de peuples où se sont rencontrées les influences égyptienne, perse, grecque, romaine, byzantine, arabe, croisée, turque et enfin française.

Site de Palmyre
Site de Palmyre

Elle est aussi le coeur de la Nahda, c’est-à-dire de la renaissance arabe. Les peuples araméen, assyrien, babylonien puis perse occupent ce territoire prospère jusqu’à la conquête grecque par Alexandre le Grand en 333 avant JC. Elle devient après la conquête de Pompée une province romaine brillante dont les monuments antiques, à Palmyre par exemple, sont encore les témoins. Les premières communautés chrétiennes s’installent dès 40 à Damas, où saint Paul fut baptisé. Le christianisme établit en Syrie une brillante civilisation avec les ermites et l’école théologique d’Antioche. L’Empire byzantin, mal accepté par les Syriens, ne peut contenir la poussée de l’islam. Damas tombe aux mains des Arabes en 635. Les Omeyyades deviennent gouverneurs puis califes et choisissent Damas comme capitale. Cette dynastie favorise l’expansion arabo-musulmane ainsi qu’une vie culturelle et artistique brillante, marquant le début d’un court âge d’or dont les Arabes se souviendront encore au XXe siècle.

Sommaire

I. La Syrie Ottomane (1516-1918)

 Une conquête durable
Des ingérences européennes de plus en plus fortes
Naissance d’une conscience nationale arabe

II. Mandat français et indépendance de la Syrie (1920-1946)

La première guerre mondiale et ses conséquences
Une présence française obstinée
La difficile marche vers l’indépendance

III. Une extraordinaire instabilité (1946-1963)

Le foisonnement d’idées et de partis dans l’après guerre
Israël : Un Etat créateur de troubles
la République arabe unie

IV. Le Baas au pouvoir (1963-1970)

L’idéologie baasiste
Le Baas récupéré par les militaires
La Guerre des Six-Jours

V. L’ère des Assad (1970-….)

Les principes d’Hafez el Assad
Guerres contre Israël et au Liban
Les émeutes islamiques
Un pays tenu d’une main de fer

Conclusion

 

I. La Syrie ottomane (1516-1918)

 Une conquête durable

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Mosquée des Omeyyade
à Damas

Vers l’an 1000, les Turcs font leur apparition au Moyen-Orient. Convertis à l’Islam, ils prennent le pouvoir à Bagdad, capitale de l’empire arabe, ne laissant que peu de pouvoir au calife (chef de la communauté musulmane). C’est une tribu de Turcs ottomans qui va conquérir Constantinople en 1453 et installer sur les rives de la Méditerranée un nouvel empire, l’Empire ottoman. Au début du XVIe siècle, les Ottomans envahissent la Syrie et s’emparent de Damas, Gaza et Jérusalem. La Syrie devient une province ottomane, mais jouit d’une relative autonomie. En effet, les Turcs y sont peu nombreux et n’ont pas pour mission de « turquifier » le pays, mais d’assurer le bon fonctionnement de l’administration ainsi que l’ordre public. Aux yeux de la majorité des Arabes, les Turcs ne sont pas des étrangers mais des défenseurs et propagateurs de l’islam et, à ce titre, ils considèrent qu’ils font tous partie d’un grand ensemble islamique. Cette solidarité arabo-turque, fondée sur la religion, a cependant été ébranlée à diverses reprises, notamment par le mouvement wahabite (fondamentalistes religieux) puis par la première guerre turco-égyptienne en 1831.

Des ingérences européennes de plus en plus fortes 

En 1566, après la mort du sultan Soliman le Magnifique avec

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Soliman le Magnifique

lequel François Ier avait signé le traité des Capitulations, l’Empire ottoman amorce son déclin. Les puissances européennes, et notamment la France, vont en profiter. Ces traités (Capitulations) leur octroie des tarifs douaniers préférentiels et un droit de protection consulaire sur leurs ressortissants. Ces derniers deviennent ainsi des instruments de domination des puissances européennes, entraînant la ruine des initiatives industrielles locales et une dépendance à l’importation de produits manufacturés. L’Europe parvient à étendre la protection consulaire à des pans entiers de la population ottomane (surtout chrétiens et juifs). Ces ressortissants ne sont justiciables que des tribunaux consulaires qui deviennent tout-puissants. L’autorité de l’Empire ne s’exerce donc que difficilement sur une grande partie de ses sujets, De plus, les protégés consulaires sont exempts de l’impôt ottoman diminuant ainsi les ressources de l’Empire. Cette évolution connait une accélération au 19e siècle.

Naissance d’une conscience nationale arabe

Les armées de Bonaparte, après l’Egypte, avaient pénétré en Syrie en février

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Bonaparte

1799. Si l’expédition a tourné court, elle n’en a pas moins laissé des traces dans les provinces arabes de l’Empire. L’Europe avec sa culture, sa force militaire et sa révolution industrielle devient le modèle à suivre. Les responsables ottomans ne mesurent pas l’ampleur du retard de l’Orient sur l’Occident. L’Egypte est la première à prendre l’initiative des réformes. Devenue un état puissant, l’Egypte écrase l’armée ottomane, prend Damas en 1831 et occupe bientôt tout le Bilad el cham (autre nom de la Grande Syrie). Cette occupation durera 8 ans. Méhémet Ali, le vice-roi d’Egypte qui a mené la guerre,

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Méhémet Ali

avait pour ambition de fonder un grand empire arabe. Une conscience de « l’arabité » est née. Les Turcs se heurteront aux pires difficultés lorsqu’ils tenteront de rétablir l’ancien ordre ottoman. Entre temps, en 1841, des combats éclatent entre chrétiens maronites et druzes. Ces derniers, avec la complicité des ottomans, entreprennent l’extermination méthodique des chrétiens. En 1861, un protocole sera signé qui fera de la montagne libanaise une province indépendante. En 1908, après l’arrivée au pouvoir des Jeunes-Turcs (parti politique nationaliste révolutionnaire et réformateur ottoman), un sentiment nationaliste se développe en Syrie, chez les chrétiens aussi bien que chez les musulmans,
Le nationalisme des peuples chrétiens des Balkans ont enlevé à l’Empire presque toutes ses possessions européennes (1912 : indépendance de l’Albanie et 1913 : partage de la Macédoine entre la Bulgarie, la Grèce et la Serbie). Suivant cet exemple, certains mouvements arabes cherchent à leur tour à se séparer de l’Empire ottoman. Les Jeunes-

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T.E. Lawrence

Turcs dans un réflexe défensif, prôneront désormais une « turquification » de l’Empire. Au nationalisme turc répondra dorénavant un nationalisme arabe. En 1913, le premier congrès arabe se réunit à Paris. Il rassemble des associations et organisations arabes composées en majorité de Syriens. Encouragés par ces derniers, le chérif Hussein (émir de la Mecque) commence à envisager l’indépendance, avec le soutien des Britanniques.

II. Mandat français et indépendance de la Syrie (1920-1946)

La Première Guerre mondiale et ses conséquences

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Carte de la Syrie
Wikimedia

Pendant la Première Guerre mondiale, les Syriens subissent toujours la tutelle turque. Cependant, à la fin de 1916, le shérif de la Mecque organise un soulèvement contre les Ottomans, soutenu par le colonel Lawrence. Les Français participent à la prise de la ville de Damas en 1918. Les Turcs sont définitivement chassés de Syrie en octobre 1918. Faysal (3e fils du fondateur de l’Arabie saoudite, Ibn Saoud) revendique une complète indépendance arabe à la Conférence de la paix à Paris, en 1919 et, en mars 1920, un Congrès national syrien proclame l’indépendance de la « Grande Syrie » sous la couronne chérifienne.
Mais, pendant le conflit, Britanniques et Français avaient prévu le partage, après guerre, de L’Empire ottoman, allié de l’Allemagne. La France proposait

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Cèdres du Liban

de « prendre sous son aile » la Syrie et le mont Liban. La conférence de San Remo, en avril 1920, confirment ces accords, malgré le rapport d’une commission américaine envoyée sur place en 1919 pour sonder les aspirations arabes. Ce rapport émet des conclusions en faveur de l’unité de la Syrie sous un régime de monarchie constitutionnelle, avec l’établissement d’un mandat anglais.
Français et Britanniques refusent de reconnaître l’indépendance de la Syrie proclamée en 1920. La France est alors chargée d’un mandat sur la Syrie et le Liban, la Grande-Bretagne sur l’Iraq et la Palestine.

Une présence française obstinée

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Officiers français à Damas

Après la Première Guerre mondiale, La Société des nations (ancêtre de l’ONU) a instauré un régime de tutelle politique, confiant à certains états le soin d’administrer pour un temps les anciennes colonies de l’Allemagne vaincue et les provinces non turques de l’ancien Empire ottoman. Il s’agissait de conduire les nouveaux états vers l’indépendance, en les aidant à acquérir un degré suffisant de maturité politique et de développement économique…
Cette mise en place du système mandataire est consécutive aux prises de position du président américain Wilson contre le colonialisme, même si ce système reste ambigu.
Le mandat français sur la Syrie va durer plus de 20 ans. Si le mandat n’est pas une colonisation au sens propre, il paraîtra néanmoins comme telle aux populations arabes.
Le territoire dont la France prend possession est très diversifié, dans ses reliefs et ses climats aussi bien que dans ses populations : citadins et paysans, sédentaires et nomades, musulmans et minoritaires, etc.
Pour régner, la France va s’efforcer de diviser. Elle fait éclater la Syrie en 5 entités et cherche à s’appuyer sur la minorité chrétienne maronite. La division de la Syrie donne naissance aux états suivants :

* le Grand Liban, qui annexe au Mont Liban des régions à majorité musulmane et qui poursuivra son évolution d’état indépendant

* l’état de Damas,

* l’état d’Alep

* le territoire alaouite, placé sous l’administration directe de la France

* le sandjak d’Alexandrette, province autonome placée sous l’autorité française

En 1922, un état Druze indépendant viendra compléter le puzzle.
La France encourage et renforce le communautarisme et le confessionnalisme dans la région. Si cela est bien vu par certaines minorités, dans son ensemble la population y est hostile. Des révoltes éclatent. C’est du djebel druze que partira la grande révolte syrienne en juillet 1925. Le mouvement se propage vers

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Guerriers druzes

le nord et voit se rallier le Parti du peuple et d’autres forces nationalistes. Débordés, les Français instaurent la loi martiale. Damas est bombardée par 2 fois, arrestations et déportations se multiplient. Au printemps 1927, après un an et demi de violences, le calme est rétabli. Pour aller dans le sens de l’apaisement, le haut-commissaire de France au Levant organise des élections pour former une assemblée constituante. Cette dernière va élaborer un projet de constitution faisant de la Syrie une république parlementaire englobant tous les territoires détachés de l’Empire ottoman. Elle est alors dissoute par le haut-commissariat qui promulgue une autre

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Timbre de 1921

constitution. La France s’obstine à nier le courant nationaliste et ne comprend pas que la génération montante est acquise à ces idées. Pour les Syriens, le morcellement arbitraire doit être remis en cause et combattu.

La difficile marche vers l’indépendance

En 1932, deux professeurs syriens, Michel Aflak et Salah al-Din al-Bitar, après quatre années passées à la Sorbonne, rentrent au pays et abordent avec

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Michel Aflaq
à la fin des années 1930

leurs élèves les questions suivantes : libération nationale, création d’un état solide pour entrer dans la modernité, nation arabe, unité. Ces idées sont à l’origine de la fondation du parti Baas. L’objectif prioritaire est le départ des occupants européens. La Syrie doit montrer l’exemple. En 1936, c’est la victoire des nationalistes syriens aux élections. Le Front populaire, qui vient d’être élu en France, propose un projet de traité pour accorder l’indépendance à la Syrie dans un délai de 3 ans. Après avoir réuni les états de Damas et d’Alep en un Etat de Syrie en 1924, le territoire alaouite et le djebel druze sont également réintégrés dans la Syrie en 1936.
La Turquie s’inquiète de la future indépendance de la Syrie. La France qui s’alarme de la situation internationale cherche à établir de bonnes relations avec les Turcs. Contre un pacte de non agression, la France cède le sandjak d’Alexandrette à la Turquie en 1939. C’est en contradiction avec les voeux de la population locale et les obligations de la France en tant que puissance mandataire. Cela suscite une émotion considérable en Syrie.
En juin 1941, les forces françaises libres et les troupes britanniques entrent en Syrie et y proclament l’indépendance. Les élections de l’été 1943 sont remportées par le Bloc national, rassemblement dirigé par les grands notables, propriétaires terriens et grands commerçants qui ont écarté les petits groupes incontrôlés comme le Baas. Choukri Kouatly devient le premier président de la Syrie indépendante. La République syrienne est reconnue par l’Union soviétique et les Etats-unis… mais pas par la France. Celle-ci bombarde Damas. La réprobation est unanime contre la politique française. La Grande-Bretagne intervient directement pour faire cesser la répression. Les troupes françaises quittent la Syrie le 17 avril 1946. Ce jour devient celui de la fête nationale du pays.
La Syrie a dû arracher son indépendance à la France. Cette dernière ne l’a pas préparé à l’indépendance comme le mandat le lui enjoignait, laissant systématiquement les Syriens à l’écart des décisions.
Malgré tout, la Syrie est marquée par l’influence française : administration, tradition républicaine, etc. Des routes et des écoles ont été construites, de petites aides à l’agriculture et l’industrie ont permis un modeste démarrage. De plus la société syrienne a évolué pendant le mandat, une petite bourgeoisie est née, réceptive aux idées nouvelles, et acceptant difficilement d’être tenue à l’écart du pouvoir par la nouvelle classe dirigeante.

III. Une extraordinaire instabilité (1946-1963)

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Le foisonnement d’idées et de partis dans l’après guerre

La Syrie n’est véritablement indépendante qu’après le départ des dernières troupes françaises le 7 avril 1946. Dès lors, deux idées sont dominantes : d’une part, un retour aux sources et une exaltation d’un passé syrien glorieux, celui du temps des califes omeyyades, permettra de faire l’unité et de reconquérir une identité nettement arabe ; d’autre part, l’adoption de théories socialisantes permettront le progrès et l’indépendance économiques. Ces deux idées sont liées par un même rejet de l’Occident vu comme colonisateur et capitaliste. Pour la petite bourgeoise arabe, socialisme et islam partagent le même idéal de justice sociale tandis que la démocratie libérale occidentale, n’ayant profité dans le passé qu’aux élites étrangères, est mal vue. Dans ces pays, le chef de l’exécutif devient un Raïs ou un Zaïm, le suffrage universel est le soutien populaire, la nation est la communauté arabo-islamique. L’instauration d’un régime à tendance dictatoriale se trouve légitimé au regard des principes démocratiques (élections, référendum) comme des principes islamiques (expression de l’unanimité).
Le rejet du capitalisme libéral s’accompagne dans tous les pays arabes de cette période d’un rejet majoritaire du socialisme marxiste, dont l’internationalisme et le matérialisme ne s’acclimate pas facilement à la forte fibre nationaliste et religieuse de ces pays. L’aspect de lutte des classes est également étranger à l’esprit arabe, de même que la négation de la propriété privée. Les partis communistes locaux, actifs, seront à partir des années 50 durement traités par les gouvernements syrien ou égyptien.
Le nationalisme arabe prend différentes formes. Certains veulent, comme le Bloc

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Grande Syrie :
carte de 1794

national ou le Parti du peuple syrien le retour d’une grande Syrie (région formée par la « petite Syrie » rétrécie par les colonisateurs, le Liban, la Palestine – et donc Israël – et la Jordanie). D’autres mouvements poussent encore plus loin la réunification en voulant inclure toutes les nations arabes morcelées par des frontières arbitraires. Se développe alors une mystique de la nation arabe, unie et forte, qui se concrétisera dans des essais temporaires d’unité.
Le parti qui domine après guerre est le Parti social nationaliste syrien (PSNS) ou parti du peuple, fondé en 1932 par Antoun Saadé, chrétien libanais, qui a pour programme de refaire une grande Syrie. Il existe aussi un parti communiste et un parti socialiste syriens. Le mouvement des Frères musulmans est présent depuis 1944 en Syrie. Né dans les années 20 en Egypte, il prône une idéologie islamique théocratique. La Baas reste un courant de pensée très restreint dans les années 40.

Israël : un Etat créateur de troubles

L’année 1948 est importante, elle voit l’opposition violente des Syriens à toute constitution d’un état juif. L’offensive manquée contre l’Etat d’Israël en 1948-1949 constitue dans les esprits une défaite cuisante. Cette défaite a des répercussions importantes pour l’avenir de la Syrie. D’une part le Baas commence à faire parler de lui et emporte une adhésion certaine en liant sionisme et impérialisme occidental ; d’autre part, cela crée un électrochoc au sein de l’armée, qui entend participer aux décisions politiques. En effet, l’année 1949 est marquée par les coups d’Etat successifs de trois colonels : Husni, Hennaoui puis, en décembre, Chichakli. Chichakli gouverne de manière très autoritaire et veut une Syrie laïque, il dissout les partis et fonde un parti politique pro-gouvernemental : le Mouvement de libération arabe. Le pays passe pour la première fois sous le régime de parti unique.

La République arabe unie

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Gamal Abdel Nasser

Des tentatives de réalisation de l’unité arabe avait déjà été faite autour de 1950, avec l’Irak, mais c’est avec l’Egypte de Nasser que la Syrie va s’unir entre 1958 et 1961 dans la République arabe unie (RAU). La Syrie, enthousiaste, pense que ce sera un moyen d’apaiser ses dissensions internes et de mettre en application les thèses du socialisme arabe. Rapidement cependant, elle s’aperçoit que Nasser veut gouverner seul et traite la Syrie comme une petite province. Les militaires, mécontents de la politique égyptienne en Syrie, organisent un putsch en 1961 et prennent de nouveau le pouvoir. Les dix-huit mois suivant la séparation ne ramènent pas la stabilité.

IV. Le Baas au pouvoir (1963-1970)

L’idéologie baasiste 

Michel Aflak, d’une famille bourgeoise chrétienne de Damas, est reconnu comme le fondateur et l’idéologue de ce qui devint en 1947 le parti Baas. Il rencontre à la Sorbonne de nombreuses personnes qui soutiennent la libération de la Syrie. Il fait aussi la connaissance de Bitar et de Zaki al Arsuzi, alaouite nostalgique de l’époque pré-islamique. En fondant le Baas, Aflak veut trouver une solution aux problèmes du monde arabe, sans tomber ni dans le communisme ni dans le panislamisme. Il veut proposer à la jeunesse en voie de désislamisation un programme de remplacement fondé sur le nationalisme et le socialisme. Pour lui, le nationalisme arabe est « un amour avant tout », l’amour de ses racines et de sa patrie. Il faut retrouver la grandeur de l’âge d’or arabe. Le Baas inscrit à son programme le panarabisme, son objectif est l’union de tous les peuples arabes et de toutes les communautés religieuses dans un seul état socialiste. L’union du Baas avec le parti socialiste syrien en 1954 entérine un virage à gauche du parti et deux tendances se repèrent rapidement au sein de ce mouvement : une tendance dure marxisante, et une tendance modérée. La première est plus attachée aux réformes économiques quand la seconde voit en premier l’augmentation de l’influence du monde arabe. Le Baas, qui se revendique laïc, est composé d’une forte proportion de minorités – alaouite, chrétienne, druze – et donne toutefois une place privilégiée à l’islam majoritaire comme ferment d’émancipation nationale et force de progrès.

Le Baas récupéré par les militaires 

En mars 1963, un coup d’Etat militaire met à la tête du gouvernement Salah al Bitar, un des fondateurs du Baas. Bitar, modéré, veut mettre en place une démocratie populaire. Or, l’armée qui a placé le Baas au pouvoir n’entend pas qu’on se passe d’elle. Aflak comme Bitar ne suivent pas la radicalisation du mouvement qu’ils ont fondé. Les jeunes militaires s’éloignent d’eux et entendent mettre en place une politique de gauche très affirmée. Bitar cherche alors à écarter les militaires du pouvoir et limoge un grand nombre d’officiers, provoquant un nouveau coup d’Etat en février 1966 par le comité militaire du Baas qui renverse la vieille garde des penseurs civils. Les chefs historiques – Bitar et Aflak – doivent s’exiler et les jeunes officiers marxistes comme Salah Jedid, Assad, Atassi arrivent au pouvoir.
Après 1966, quand la tendance dure du Baas dite Néo-Baas accède au gouvernement, l’Etat se veut le principal moteur de développement national. Les investissements publics doublent et les nationalisations sont nombreuses. C’est en 1967 que toutes les écoles (souvent chrétiennes) sont nationalisées. Les oulémas sont surveillés. Dans le domaine agricole, les lois de réformes agraires ont changé le pays sans le bouleverser. La loi de réforme agraire de 1958 permit à 443 000 hectares d’être redistribués jusqu’en 1969. Le but de l’Etat était davantage d’améliorer le rendement grâce aux nouvelles techniques, en encourageant les investissements que de créer une égalité sociale de la propriété et il n’y eut pas du tout de collectivisme de la production.

La Guerre des Six-Jours 

La Syrie reste fortement opposée au projet d’Israël et pousse Nasser à la guerre jusqu’en 1966. Elle continuer à voir en lui un champion de la cause arabe et l’avait unanimement acclamé lors de la nationalisation de Suez en 1956. Lors de la guerre des Six Jours en juin 1967, Israël bombarde et occupe le plateau stratégique du Golan, avant que l’URSS, alliée de la Syrie, ne menace les Etats-Unis d’une intervention, ce qui provoque le cessez-le-feu. La défaite nationale de 1967 a une grande importance sur la vie politique syrienne et accélère la transformation du Baas en mouvement d’aspect militariste et communautaire. 120 000 Syriens sont chassés du Golan. Cette défaite va être un élément déclencheur de l’intégrisme car beaucoup d’Arabes pensent qu’ils ont été châtiés d’avoir mis l’islam de côté.

V. L’Ere des Assad (1970-….)

Les principes d’Hafez el Assad 

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Hafez el-Assad

Chef de l’aviation syrienne et ministre de la défense depuis 1967, Hafez el Assad fait parti des officiers du Néo-Baas arrivés au pouvoir en 1966. Après l’échec de la Guerre des Six Jours, il s’oppose de plus en plus à Atassi et Jedid qu’il juge trop radicaux, et fait un coup d’Etat en novembre 1970. Il devient par plébiscite président de la république pour 7 ans en mars 1971. Assad, plus pragmatique qu’idéologue veut une libéralisation de la Syrie et donne l’illusion de vouloir réinstaurer une démocratie multipartiste. Il inaugure une politique de détente, un « mouvement rectificatif » qui veut rompre avec le dirigisme économique. La détente avec le mouvement islamique se concrétise par des retours d’exil, l’augmentation du salaire des religieux et la liberté qui leur est laissée de se consacrer aux missions sociales. Le Baas laisse ainsi la société aux mains de l’islam. Pour donner l’illusion d’un système multipartiste, Assad crée en 1972 le Front national progressiste (FNP), coalition de partis politiques soutenant le socialisme et le nationalisme arabe du gouvernement. Seuls les Frères musulmans en sont exclus. Assad adhère immédiatement à l’Union des républiques arabes, proclamée en 1971 qui vise à la fusion de l’Egypte, de la Libye et de la Syrie. Cette union restera sur le papier mais cela montre qu’en fidèle baasiste, Assad n’avait pas enterré le panarabisme.

Guerres contre Israël et au Liban 

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Guerre du Liban

Le nationalisme arabe d’Hafez et l’idée qu’il se fait d’une grande Syrie éclairent son attitude sur les fronts israéliens et libanais. Pour ce qui est d’Israël, la Syrie entend rester un interlocuteur privilégié et dénie toute légitimité à l’OLP. La question du Golan annexé par l’Etat hébreu n’est toujours pas résolue aujourd’hui, même si depuis la guerre du Kippour d’octobre 1973, qui n’a fait qu’entériner le statu quo, il n’y a plus de guerre ouverte. Sur le front libanais, l’interventionnisme d’Assad est justifié par sa formule préférée concernant la Syrie et le Liban : « un peuple, deux pays ». Il veut mettre un terme aux massacres qui ont lieu à partir de 1975 entre les musulmans palestiniens qui sont entrés en nombre au Liban et les chrétiens. La lutte contre les palestino-progressistes lui vaut une haine encore plus grande de la part des islamistes. C’est le début d’une présence militaire syrienne au Liban qui ne prendra fin qu’en 2005 et qui eut à lutter contre plusieurs adversaires selon les périodes du conflit : les Palestiniens, les milices chrétiennes, l’armée d’Israël qui occupe le sud Liban à partir de 1982.

Les émeutes islamiques 

Toutefois, la crise la plus grave que doit affronter Hafez el Assad est provoquée par les islamistes entre 1979 et 1982. Assad savait qu’il devait prendre en compte la sensibilité religieuse de la population. En 1973, il avait été obligé de revenir sur sa décision de supprimer l’obligation constitutionnelle pour le Président d’être musulman. En 1979, les islamistes massacrent 32 cadets de l’école militaire d’Alep, puis de nombreux alaouites. Le régime riposte par l’entrée de chars dans Alep et Hama, des exécutions et l’emprisonnement de près de 6000 révoltés. Après un attentat manqué contre Assad, des centaines de détenus islamistes sont massacrés. La politique de terreur menée par Assad est le signe du durcissement du régime dû aux affaires du Liban, du Golan et à l’influence des Frères musulmans dans la société. Assad peut compter sur la fidélité de l’armée, des minorités et du Front national progressiste qu’il a fondé. La répression des insurgés d’Hama en 1982 est écrasée dans le sang et fait près de 25 000 morts. Le culte de la personnalité d’Assad et l’éradication des Frères musulmans permettent de mettre un couvercle – provisoire – sur l’islamisme.

Un pays tenu d’une main de fer

L’œuvre intérieure de Hafez el Asad est loin d’être négligeable. La Syrie connait un grand accroissement démographique. Son taux de scolarisation est monté à 70 %. Le barrage de Taqba, œuvre maîtresse du régime, terminé en 1973, permet de valoriser la vallée de l’Euphrate. De nombreuses sociétés mixtes, publiques et privées, sont créées. Le textile et le pétrole sont les principaux produits d’exportation. Cependant, le clientélisme, la corruption, la concentration des pouvoirs dans les mains de la minorité alaouite créent un malaise certain dans la société. Le Baasisme depuis 1970 est un mouvement fortement personnalisé dont le président Assad a dessiné de nouveaux contours au gré des événements. Il a fait face avec succès dans les décennies 80/90 à de nombreux opposants et peut garder la main sur le pays grâce à de nombreux soutiens intérieurs. Bachar succède à Hafez sans trop de problèmes à sa mort en 2000. Pour accéder à sa fonction, l’âge constitutionnel pour être président est opportunément baissé de 40 à 34 ans. Bachar avait alors…34 ans.

Conclusion

La complexe histoire syrienne du XXe siècle nous permet de mettre en perspective ce qui se passe aujourd’hui en Syrie. Si toutes les explications ne se trouvent pas dans le passé, nous pouvons y trouver beaucoup d’éclairage sur le présent mouvementé que connaît le pays.
L’arabisme a sa terre de prédilection dans la Syrie et le Baas s’en fait encore le chantre. Il s’agit de définir une identité ethnique valable pour tous en dépassant les clivages religieux. L’arabisme s’oppose en réalité à l’islamisme. Aujourd’hui, l’islam a englouti le panarabisme et le Baas n’a rien pu faire contre la radicalisation religieuse de la société. Bien qu’il se déclare encore laïc et socialiste, le régime laisse de plus en plus de place aux courants islamistes. On retrouve même aujourd’hui une nostalgie de l’Empire ottoman et du califat disparu en 1924. Le nationalisme est combattu au nom de l’islam. En Syrie, la radicalisation se retrouve avec l’ouverture de salles de prière dans les universités, la généralisation du port du Hijab, le retour d’oulémas exilés, la construction florissante de mosquées.

L’autoritarisme des Assad est une évidence. Le printemps avorté de Damas en 2001 n’a pas donné de renouveau démocratique. Le Baas veut une « économie sociale de marché », mais le système est miné par la corruption et le clientélisme. Le cousin du président Rami Makhlouf possède directement ou indirectement 60 % des sociétés privées syriennes. Le chômage reste élevé et les salaires sont très faibles, toutefois la croissance du pays est bien réelle. Assad a beaucoup de mal à contenir les aspirations à la démocratie et au multipartisme d’une population qui a moins de 20 ans à 50 %.

Des observateurs arabes comme européens appellent toutefois à la prudence les médias occidentaux : la conception de la démocratie dans les pays musulmans est sensiblement différente de celle de l’Occident. Les islamistes sont parmi les défenseurs de la démocratie. Les réformistes politiques, héritiers des Frères musulmans, réclament le rétablissement des libertés publiques et du multipartisme. Mais ils agissent selon des motivations claires : ils veulent l’application de la Charia. Il semble nécessaire, sans nier l’atrocité des régimes socialistes autoritaires, de s’interroger sur ce qui va suivre et de voir clair dans ce soutien sans faille des occidentaux. Comme le remarque le journaliste Majed Nehmé : « On remarquera que ces “printemps arabes” ont emporté le Tunisien Ben Ali, l’Egyptien Moubarak et le Yéménite Saleh, tous les trois considérés comme pro-occidentaux. Cynique, l’Occident a préféré les lâcher pour miser sur de nouveaux chevaux – islamistes – dans l’espoir de préserver ses intérêts en se parant de la vertu de promoteur de la démocratie. » [1] D’autres analystes voient la source des tensions interconfessionnelles dans la violence du régime des Assad qui continue de supprimer méthodiquement tous ses opposants. Comme le dit dans un entretien à Médiapart l’intellectuel syrien Yassine Saleh, la Syrie n’est pas condamné à n’avoir le choix qu’entre Assad ou l’islamisme : “La Révolution a prouvé que la société syrienne n’était pas condamnée à cette dualité comme le veut la propagande du régime qui cherche à faire peur à la population, en particulier aux minorités.” La violence de l’Etat est une “violence haineuse” envers la majorité qui exacerbe les tensions vis-à-vis des minorités. D’autre part, selon lui, rien ne prouve que les islamistes disposent d’un avantage tel qu’il ferait d’eux la seule alternative au pouvoir. L’espoir de la population civile syrienne est de sortir de l’impasse où ils sont pour pouvoir enfin jouir de la liberté.

Bibliographie

Le Moyen Orient au 20e siècle, par Vincent CLOAREC et Henry LAURENS, Armand Colin, 2011

La France et la question de la Syrie, 1914-1918, par Vincet CLOAREC, CNRS éditions, 2010

Hafez el Assad et le parti Baath en Syrie, par Pierre GUINGAMP, L’Harmattan, 1996

La Syrie : politiques et stratégies, de 1966 à nos jours, par Catherine KAMINSKY et Simon KRUK, Puf, 1987

Une tutelle coloniale, le mandat français en Syrie et au Liban, par Gérard KHOURY, Belin, 2006

Quand la Syrie s’éveillera, par Richard LABEVIERE et Talal EL ATRACHE, Perrin, 2011

La décennie qui ébranla le Moyen Orient, 1914-1923, par Nadine PICAUDOU, Complexe, 1992

Baas et islam en Syrie, par Thomas PIERRET, Puf, 2011

Docteur Bachar Mister Assad, par Jean-Marie QUEMENER, Encre d’Orient, 2011

Nouveau regard sur le nationalisme arabe, Baath et nassérisme, par Wafik RAOUF, L’Harmattan, 1984

Socialisme en Irak et en Syrie, par Pr A.G SAMARBAKHSH, Anthropos, 1978

Voir aussi les sites :


[1] “La bataille pour la Syrie” dans Afrique Asie, mars 2012, p. 47

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