Histoire et Mémoire

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Une vague mémorielle s’est abattue sur la France dans le milieu des années 70, de manière peut-être plus intense que dans le reste du monde, sous l’effet de trois phénomènes principaux : le contrecoup de la crise économique, les retombées de l’après De Gaulle et l’exténuation de l’idée de révolution. On a vu alors naître de puissants mouvements d’émancipation de groupes sociaux, chacun revendiquant sa mémoire et la reconnaissance de cette mémoire par la nation.
Début 2005, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 a mis à nouveau le feu aux poudres. Voté, puis déclassé et enfin supprimé, il visait à ce que les programmes scolaires reconnaissent le « rôle positif de la présence française outre-mer ». Les rapports tumultueux entre histoire, mémoire et traduction législative de celles-ci ne se sont pas vraiment apaisés.
En décembre 2007, était nommée une commission de modernisation des commémorations et célébrations publiques ; en mars 2008, une mission d’information sur les lois mémorielles. Toutes deux viennent de rendre leurs conclusions alors que la polémique enfle à nouveau entre historiens à propos d’une décision-cadre européenne.


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Le point de vue des historiens

Les historiens en confondent pas Histoire et mémoire. A l’inverse de l’histoire , la mémoire isole un évènement de son contexte ; elle cherche à le tirer de l’oubli pour lui même et non pour l’insérer dans un récit cohérent créateur de sens (dans lequel l’oubli sélectif a au contraire nécessairement sa place) ; ceci s’explique parce que la mémoire est affective, tandis que l’histoire se veut rationnalisante ; _
L’injonction incantatoire au « devoir de mémoire » ne risque-t-elle pas d’aboutir à une négation de la demande d’histoire. Cet antagonisme entre histoire et mémoire est la conséquence des profondes mutations qui , depuis plus d’un siècle, ont affecté la définition de l’histoire comme celle de la place revendiquée dans la société par les historiens. Progressivement ceux-ci ont pris de la distance vis-à-vis de la fabrication d’un “roman national”, et ont affiché leur méfiance envers toute tentation de manipulation de la mémoire collective. Les renouvellements introduits par l’école des Annales en faveur d’une histoire globale inscrite dans la longue durée ont aussi contribué à cette rupture des historiens avec l’histoire-mémoire traditionnelle. En contrepartie de cet effacement, on assiste en France depuis une vingtaine d’années à la montée des revendications mémorielles, face auxquelles les historiens doivent se positionner.

S’il est impossible de proposer ici une bibliographie exhaustive,
[repere]des éléments de bibliographie générale simplifiée[repere] sur ce thème sont à votre disposition en document joint . Une bibliographie très complète (24 pages) est disponible dans le livre Les guerres de mémoires. La France et son histoire, La Découverte, 2008

Quelques ouvrages récents :

La mémoire, pour quoi faire ?, par François DOSSE, Alain FINKIELKRAUT, Jean-Claude GUILLEBAUD ; sous la direction d’Alain HOUZIAUX,Ed de l’Atelier, 2006
- Les auteurs étudient le bon et le mauvais usage qui est fait de la mémoire lorsqu’il s’agit d’aborder les événements historiques. Ils montrent que si faire mémoire n’est pas un acte condamnable en soi, il peut cependant conduire à se culpabiliser sans se responsabiliser et à faire des événements passés des images inertes.

L’historien, la parole des gens et l’écriture de l’Histoire ;le témoignage à l’aube du XXIe siècle, par Hélène WALLENBORN, Labor, 2006
- L’explosion de ” la parole des gens ” dans les années 1990 est expliquée par trois larges perspectives liées entre elles, qui débutent à la constitution des différentes communautés d’historiens professionnels le rôle social de l’historien, la question de l’objectivité en histoire et les différents rapports au passé (cyclique, téléologique, et l’âge de la ” mémoire ” depuis vingt ou trente ans). L’ouvrage présente la diversité des initiatives d’enregistrement de la ” parole des gens “, qu’il s’agisse de l’histoire orale militante, de la pratique archivistique ou du témoignage. Il est aussi l’occasion de donner une introduction claire aux débats qui secouent la discipline historienne depuis une vingtaine d’années

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Labor

L’empire des émotions : les historiens dans la mêlée, par Christophe PROCHASSON, Demopolis,2008
- A l’heure où les émotions envahissent la politique et l’histoire, comment garder la tête froide ? L’entrée des témoins sur la scène de l’histoire, et parmi eux les victimes, a laissé libre cours aux émotions. Les controverses sur les lois mémorielles illustrent la confusion actuelle entre histoire et mémoire. Christophe Prochasson appelle à la vigilance : l’histoire ne doit pas se laisser envahir par l’émotion mais dégager la relation au passé de son enveloppe sentimentale. Un essai critique indispensable pour mettre les émotions à leur juste place dans la fabrique de l’histoire.


Histoire, mémoire et loi. 1

2005/2006 : Une année riche en débat

[repere]Un débat[repere]très vif parfois, très riche aussi s’est instauré dans la presse, les revues et sur internet autour de ces questions et en particulier autour des rapports entre [repere]histoire, mémoire et loi[repere].

Le débat sur le net

C’est l’article 4 de la loi du 23 février 2005 (en faveur des Français rapatriés) qui a déclenché la polémique. Il stipulait : “les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord”.

un récapitulatif des différentes pétitions qui ont « fleuri » :


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La pétition des historiens du 25 mars 2005 : 1001 signatures et après…
- “Il faut abroger d’urgence cette loi,
parce qu’elle impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au cœur de la laïcité,
parce que, en ne retenant que le « rôle positif » de la colonisation, elle impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé,
parce qu’elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé.” Extrait de la pétition disponible en ligne.


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« Liberté pour l’histoire » du 12 décembre 2005,
- signée par les historiens : Jean-Pierre Azéma, Elisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock.
“L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’État, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. C’est en violation de ces principes que des articles de lois successives – notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005 – ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites. Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique.” Extrait de la pétition disponible en ligne.


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« Ne mélangeons pas tout » du 20 décembre 2005
- les personnalités qui ont signé cet appel sont Yves Chevalier, Didier Daeninckx, Frédéric Encel, Bernard Jouanneau, Serge Klarsfeld, Claude Lanzmann, Marc Levy et Odile Morisseau.
“Nous revendiquons pour tout un chacun une pleine et entière liberté de recherche et d’expression. Mais il paraît pernicieux de faire l’amalgame entre un article de loi éminemment discutable et trois autres lois de nature radicalement différente. La première fait d’une position politique le contenu légal des enseignements scolaires et il paraît souhaitable de l’abroger. Les secondes reconnaissent des faits attestés de génocides ou de crimes contre l’humanité afin de lutter contre le déni, et de préserver la dignité de victimes offensées par ce déni.” Extrait de la pétition disponible en ligne


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Les lois auxquelles se réfèrent ces pétitions sont les suivantes :

- Loi du 13 juillet 1990, dite “loi Gayssot”, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.
- La loi du 29 janvier 2001 indique que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».
- La loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.
- La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
Pour plus d’information sur ces lois voir le site du Journal officiel :
Legifrance
)]

Le Comité de Vigilance face aux usages publics de l’histoire
s’est alors situé dans ce débat par rapport à l’association « Liberté pour l’histoire » en publiant un manifeste :
- « C’est pourquoi nous appelons tous ceux qui refusent que l’histoire soit livrée en pâture aux entrepreneurs de mémoire à rejoindre notre Comité de vigilance. Deux domaines de réflexion et d’action nous semblent prioritaires :
1. L’enseignement de l’histoire. Le débat actuel sur l’histoire coloniale illustre un malaise beaucoup plus général concernant l’enseignement de notre discipline, et l’énorme décalage qui existe entre les avancées de la recherche et le contenu des programmes. Il faudrait commencer par établir un état des lieux, pour réduire le fossé entre recherche et enseignement, réfléchir à une élaboration plus démocratique et transparente des programmes, pour que les différents courants de la recherche historique soient traités de façon équitable.
2. Les usages de l’histoire dans l’espace public. Il va de soi que notre rôle n’est pas de régenter la mémoire, Nous ne nous considérons pas comme des experts qui détiendraient la Vérité sur le passé. Notre but est simplement de faire en sorte que les connaissances et les questionnements que nous produisons soient mis à la disposition de tous. Pour cela il faut ouvrir une vaste réflexion sur les usages publics de l’histoire, et proposer des solutions qui permettront de résister plus efficacement aux tentatives d’instrumentalisation du passé. »

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Intégralité du texte sur le site.

Le débat dans les revues


Esprit
Esprit
- Un dossier intitulé « Le roman national. Face aux guerres mémorielles” :
Une précipitation à retardement. Quelques perplexités sur le consensus historien, par Olivier MONGIN ; Pour une lecture juridique des quatre lois « mémorielles » par Sévane GABIRIAN …

Pages d’histoire occultées, Manière de voir 82 , Monde diplomatique, Août-septembre 2005
- Soixante ans après la victoire sur le nazisme, le souvenir du conflit commence à s’effacer. Des pans entiers tombent dans l’oubli – quand ils n’ont pas été délibérément occultés.
Mais la seconde guerre mondiale n’est pas la seule victime de ces phénomènes d’amnésie sélective. Des pages de l’histoire de l’humanité ont disparu des mémoires, en ont été effacées ou y ont été réécrites, non sans arrière-pensées : de la traite et de l’esclavage à la liquidation des Panthères noires, en passant par la Révolution française, la colonisation de l’Algérie, l’expulsion des Palestiniens, la révolte ouvrière à Berlin-Est et le procès Eichmann…
Dans le tohu bohu de l’histoire, il arrive même que des civilisations soient englouties. Ainsi, l’Europe, pour se constituer, a-t-elle gommé les huit siècles durant lesquels l’Islam marqua sa vie, singulièrement en Espagne. Le génocide nazi a anéanti la majorité des juifs de notre continent, mais aussi la « patrie » linguistique et culturelle de nombre d’entre eux : le yiddish. D’autres cultures, encore vivantes, sont menacées : c’est le cas de la culture ouvrière avec ses traditions de solidarité et de luttes.

Regards sur l’actualité, N° 235, 2006
- Dossier : l’Etat et les historiens (Vincent Duclert)- Pourquoi abroger les lois mémorielles ? (René rémond)- L’abrogation des lois mémorielles est-elle une solution ( Annette Wieviorka)- Perte de mémoire et déni du temps (Jean-Pierre Rioux)- La mémoire de la guerrre et de la colonisation au Japon ( Arnaud Nanta)- L’Etat et les mémores en Allemagne (Etienne françois)- La Turquie et le génocide arménien ( Hamit Bozarslan)- La complexe gestion du passé soviétique dans la russie de poutine (Nicolas Werth) – Réécrire l’histoire à des fins de réconciliation (Sandrine lefranc).


Histoire, mémoire et loi. 2

2007/2008 : Le débat continue !

Fragment de mémoire pour ne pas retomber dans le passé !
Romain/Flickr

Des lois « mémorielles »…

Le rapport Accoyer
- La mission d’information créée le 25 mars dernier à l’Assemblée nationale et présidée par Bernard Accoyer a déposé son rapport.
Elle devait répondre à trois questions : Quels rapports le Parlement entretient-il avec l’histoire ? Est-ce à la loi de qualifier les faits historiques ? Les lois « mémorielles » sont-elles nécessaires ?
Intitulé “Rassembler la nation autour d’une mémoire partagée” le rapport présenté le 18 novembre 2008 par Bernard Accoyer propose que les députés ne légifèrent plus sur l”histoire. Pour autant, il n’est pas question de revenir sur les précédentes lois mémorielles, Gayssot, Taubira par exemple. Les députés pourront, selon le rapport, “reconnaître des évènements significatifs pour l’affirmation des valeurs de la citoyenneté française” maisces “résolutions” n’auront plus valeurs de vérité d’Etat.
Concernant le contenu des livres scolaires, la commission Accoyer précise que ce n’est pas le rôle du Parlement de prescrire le contenu des programmes et des manuels. La classe doit être un lieu de « connaissance » et non de « reconnaissance ».
Au total, 19 propositions pour ce rapport de 150 pages, plutôt bien accueilli par la communauté des historiens.

…en passant par les commémorations

Le rapport Kaspi
- Le 12 décembre 2007, le secrétaire d’État à la défense chargé des anciens combattants a créé une commission qui a pour mission de réfléchir à l’avenir et à la modernisation des commémorations et célébrations publiques, présidée par André Kaspi , professeur émérite à l’université de Paris I .
Y a-t-il aujourd’hui trop de commémorations en France ? Faut-il supprimer ou inversement, créer de nouvelles commémorations, afin de répondre à de nouvelles demandes qui s’expriment aujourd’hui au sein de la société française ? Comment mieux associer la jeunesse à ces commémorations ? Comment impliquer l’école dans leurs préparations ? Comment faire évoluer le cérémonial de ces commémorations afin de le rendre attractif au plus grand nombre ?
Le rapport de la commission présidée par le Professeur André Kaspi répond à ces différentes questions, dans le contexte particulier des commémorations du 11 novembre et du 90e anniversaire de l’Armistice de 1918.


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Affiche journées des mères : Lyon , 16 juin 1918
Fonds de la Guerre 1914-1918
Bibliothèque municipale de Lyon

La polémique n’a pas manqué d’être relancée en particulier sur le risque d’une “concurrence des mémoires indignes”.


[(
Les dates de commémorations nationales :
- Journée de la Déportation : dernier week-end d’avril
- La libération de 1945 : 8 mai
- Abolition de l’esclavage : 10 mai
- Fête nationale de Jeanne d’Arc : deuxième dimanche de mai
- Hommage aux morts de la guerre d’Indochine : 8 juin
- Hommage à Jean Moulin : 17 juin
- Appel du général de Gaulle : 18 juin
- Révolution française : 14 juillet
- Hommage aux Justes de France : 16 juillet
- Hommage aux Harkis : 25 septembre
- Armistice : 11 novembre
- Hommage aux morts de la guerre d’Algérie : 5 décembre
)]

… Aux décisions-cadres de l’Europe.


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C’est en réaction à une décision européenne que l’association « Liberté pour l’histoire » a lancé l’appel de Blois
signé par cde nombreux historiens de tout le continent européen ?

- « Depuis 2005, Liberté pour l’Histoire lutte contre la tendance du pouvoir législatif à criminaliser le passé, mettant ainsi de plus en plus d’obstacles à la recherche historique. En avril 2007, une décision-cadre du Conseil des ministres européens a donné une extension internationale à un problème jusqu’alors français. Au nom de la répression, indiscutable et nécessaire, du racisme et de l’antisémitisme, cette décision institue dans toute l’Union européenne des délits nouveaux qui risquent de faire peser sur les historiens des interdits incompatibles avec leur métier ». Extrait

Cet appel a suscité des réactions en particulier du côté du “Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire” :
- “Contrairement à ce qu’affirme ce texte, nous ne pensons pas qu’il existerait en France, ou en Europe, une menace sérieuse contre la liberté des historiens.
Cet appel se trompe de cible quand il présente la décision-cadre adoptée le 21 avril 2007 par le conseil des ministres de la justice de l’Union européenne comme un risque de “censure intellectuelle” qui réclamerait leur mobilisation urgente. Ce texte demande aux Etats qui ne l’ont pas déjà fait de punir l’incitation publique à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes donné, de réprimer l’apologie, la négation ou la banalisation des crimes de génocide et des crimes de guerre, mesures que la France a déjà intégrées dans son droit interne par les lois de 1990 et de 1972. »

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Lire le texte intégral :Les historiens n’ont pas le monopole de la mémoire


Les usages publics de l’histoire

Comment ne pas être perplexe devant la complexité de ces débats ? Quelques pistes de lecture pour pour approfondir la réflexion :


Le passé, mode d’emploi. Histoire, mémoire, politique, par Enzo TRAVERSO, La Fabrique, 2005
- Confrontée à un siècle de feu et de sang, la mémoire revendique ses droits sur le passé. Cette émergence de la mémoire a suscité un débat intellectuel, dont Enzo Traverso reconstitue ici les grandes lignes, de Halbwachs à Ricoeur, de Benjamin à Yerushalmi. A l’aide de nombreux exemples tirés de l’histoire du XXe siècle- fascismes, Shoah, colonialisme-, ce livre met en lumière les fils qui relient les différents segments de la mémoire collective, l’écriture historienne du passé et les politiques de la mémoire.

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Quand l’état se mêle de l’histoire, René REMOND, Stock, 2006
- Entre toutes les nations occidentales, la France se singularise par le nombre de ses lois ” mémorielles “. Singulier dispositif législatif, sans précédent, qui transforme des jugements historiographiques en délits ! Dans un but certes louable, les parlementaires ont ouvert ce qui se révèle être une terrible boîte de Pandore. Verra-t-on bientôt les chercheurs choisir leur sujet en fonction de son innocuité ? Comment en est-on venu là ? De quelles complexes transformations de la mémoire nationale est-ce le résultat ? Les démocraties compassionnelles que sont devenues nos sociétés veulent-elles réellement un avenir où la vérité serait proférée par l’Etat ? La communauté des historiens s’est légitimement émue de cette situation. Aussi René Rémond a-t-il pris la tête d’une association réclamant l’abrogation de toutes les lois mémorielles. Toutes ? Il s’en explique ici, en menant une réflexion ouverte sur le métier d’historien, sur la politique identitaire à l’oeuvre dans notre pays, sur les rapports de la mémoire et de l’histoire, sur la communauté nationale.

L’histoire assassinée. Les pièges de la mémoire, Jacques HEERS, Ed. de Paris, 2006
- Depuis Jules Ferry, l’histoire est la principale arme d’assaut de propagande d’Etat. Par les manuels et les leçons, l’école républicaine n’a cessé de truquer et de tronquer ce que l’honnête citoyen pouvait écrire. La mise en condition et le ” formatage ” du citoyen se poursuivent tout au long de sa vie par le commun des journaux, les romans et les images, les célébrations nationales, les émissions télévisées, les directives et les interdits. Ces tout derniers temps, l’Etat veut, en France, soumettre la démarche historique à une étroite surveillance et laisse de moins en moins de liberté aux centres de recherche qui n’ont même plus le loisir de choisir en toute indépendance leurs sujets d’enquête et leurs programmes.L’Histoire s’est dévoyée. Elle se dit ” science humaine ” mais n’étudie souvent que des catégories, des classes et ordres, des conditions sociales où l’individu paraît effacé, inexistant, soumis à la géographie, à l’évolution des techniques, à l’économie ou même au ” sens de l’Histoire “. Elle édicte des règles qui ne souffrent ni exceptions ni contradictions. Du Moyen Age à nos jours, Jacques Heers dresse ici un inventaire des manipulations de l’Histoire.

Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France : dictionnaire critique, sous la direction de Laurence DE COCK, Fanny MADELINE, Nicolas OFFENSTADT & Sophie WAHNICH, Agone, 2008
- En campagne et au début de son mandat, N. Sarkozy n’a cessé d’utiliser des références historiques. Une vingtaine d’historiens ont disséqué les usages qu’il fait de l’Histoire pour permettre d’en saisir les mécaniques à l’oeuvre et de comprendre les enjeux et les effets politiques de telles constructions historico-politiques.

Le Mythe national, l’histoire de France revisitée, PAR Suzanne CITRON, Les Editions de l’Atelier, 2008
- L’identité nationale fait l’objet de vives controverses. Sur quelle vision de l’histoire doit-elle reposer ? Celle d’une France gauloise, continuée par les rois, accomplie définitivement avec la République ? Ou celle d’une France métissée, faite de diversités culturelles et ethniques, ouverte sur l’avenir ?. Pour repenser l’histoire de France, il faut d’abord décortiquer, à travers les anciens manuels scolaires, le schéma du ” roman national ” de la Troisième République. Ce récit linéaire et continu d’une France pré-incarnée dans la Gaule légitime, en occultant victimes et vaincus, les pouvoirs et les conquêtes qui ont non seulement créé la France, mais encore la ” plus grande France “, c’est-à-dire un empire colonial. Les recherches portant sur l’histoire de Vichy, de la colonisation, de l’immigration, de la guerre d’Algérie, tout comme les débats autour des lois mémorielles ont provoqué d’incontestables avancées.Mais ont-ils vraiment révisé le mythe hérité de l’avant-dernier siècle, ou n’en ont-ils égratigné que quelques pans ?.

Les Guerres de mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, sous la direction de Pascal BLANCHARD et Isabelle VEYRAT-MASSON, Les Editions de l’Atelier, 2008
- Ce livre représente une expérience unique, rassemblant vingt cinq chercheurs , parmi les meilleurs spécialistes de l’histoire contemporaine française autour des « guerres de mémoires » , dans une perspective à la fois historique et médiatique.
Sortir du dilemme entre « trop plein » et absence de mémoires ; sortir de la rumination du passé et des blessures mémorielles, par un travail d’histoire ; offrir un regard panoramique sur les grands conflits mémoriels du XIX° siècle à nos jours et sur les différents acteurs de la mémoire ; comprendre les mécanismes, enjeux et stratégies médiatiques des « guerres de mémoires », comprendre ainsi comment fonctionne notre société et son rapport au passé ; donner aussi une histoire à ces conflits….

Quelques revues..


Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 85, BDIC,janvier-mars 2007
- Usages publics de l’histoire en France.
Ce numéro propose de nombreuses contributions portant sur le rapport général entre histoire et mémoire comme celle de Benjamin STORA « L’Histoire ne sert pas à guérir les mémoires blessées” ou celle Michel WIEVIORKA « Histoire et Nation : le divorce » . Esclavage colonial, passé colonial, question noire, mais aussi usages mémoriels, troubles de la mémoire, construction de l’histoire, y sont traités à travers de nombreuses contributions : Claude LIAUZU Annette WIEVIORKA , Gérard NOIRIEL, Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU, Robert FRANK…

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BDIC

Les guerres de mémoires dans le monde ; enjeux, médias et identité,Hermès n° 52 CNRS Editions , octobre 2008 :
- Ce numéro d’Hermès se propose de faire des conflits de mémoires un sujet d’étude et de décryptage. Pour appréhender ces questions et permettre des comparaisons, sont étudiées des aires géographiques très diverses (de l’Australie à l’Amérique, du Japon à l’Espagne, du Chili à l’Inde…), mais aussi des supports et espaces de médiatisation multiples (les camps, l’école, la presse, le cinéma, les monuments, la loi…) et des temporalités larges.
Enfin, trois grandes thématiques mémorielles structurent ce dossier : « Colonisation et esclavage » La fin des dictatures » et « Shoah, génocides et massacres ».

A voir et écouter :

La bibliothèque municipale de Lyon propose [repere]un cycle de conférences : Histoire et mémoire[repere] que vous pouvez écouter en ligne sur le site Voir ou consulter sur place à la bibliothèque.


Histoire et mémoire, à propos de Guy Môquet

La décision du président de la République de demander au ministre de l’Education nationale que la lettre de Guy Môquet, résistant communiste de 17 ans, assassiné en 1941 par les Allemands, avec 26 autres otages désignés par Pierre Pucheu, ministre de l’intérieur du gouvernement de Vichy, soit lue en début d’année à tous les lycéens de France a fait couler beaucoup d’encre et déclenché bien des débats passionnés…

Un article de 20 minutes
Guy Môquet : les internautes se battent sur Wikipedia

Quelques pistes de réflexion :

Un cahier central dans l’Humanité du jeudi 24 mai, consacré à Guy Môquet
Sommaire :
Une vie volée
Aragon, le Témoin des martyrs
Les premiers pas de la Résistance
Il s’appelait Guy Môquet, il avait 17 ans
Ces jeunes clandestins des premiers mois
« On est tous l’étranger de quelqu’un »
Je n’oublie pas Châteaubriant
Ils sont morts avec lui
« Ma petite Odette, je vais mourir »
Anne-Marie Môquet : « Ce n’est pas une simple lettre émouvante »
Lettre de Guy Môquet à ses parents

Dans Libération , deux articles dans la rubrique Rebonds

Oui, il faut lire la lettre de Guy Môquet par Laurent JOFFRIN

La droite en quête d’histoire par Michel Winock

La Ligue des droits de l’Homme de Toulon propose sur son site plusieurs contributions
« La première décision de Nicolas Sarkozy en tant que président de la République a été de souhaiter, le 16 mai, que la lettre d’adieu de Guy Môquet soit lue au début de chaque année scolaire dans chaque lycée de France.
On peut, avec Jean-Paul Houssay, regretter que Nicolas Sarkozy n’ait pas associé la mémoire de Michel (Missak) Manouchian à celle de Guy Môquet. Tous deux étaient militants communistes. Tous deux ont été exécutés par les nazis. La lettre de Manouchian se prêtait davantage à l’illustration des propos de Nicolas Sarkozy … sauf que, évidemment, il n’était pas français.
On peut également déplorer, avec Pierre Schill, l’instrumentalisation politique de l’histoire à laquelle s’est livré le président de la République . »

Le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire
Le dernier effet d’annonce de Nicolas Sarkozy, l’injonction de lecture de la lettre de Guy Môquet dans tous les lycées de France, à chaque rentrée scolaire, n’a rien d’étonnant et peut être interprété à travers une double grille de lecture :
le pli désormais pris d’instrumentaliser l’histoire, dans une stratégie d’abord électoraliste, et aujourd’hui présidentielle.
l’appel à une vision de l’école sanctuarisée et dont on renforcerait la mission civique, à charge pour elle de revitaliser le sentiment national.

Liste de livres disponible sur ce thème à la bibliothèque :Voir

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ACdeVersailles

Mémorial de Caen Voir

Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation Voir

Mémorial de la Shoah Voir

Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire Voir

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