Voir le monde selon Truphémus

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"Je me souviens de... Jacques Truphémus". Un article dans le Télérama du 20 septembre 2017 salue, quelques jours après la mort du peintre, celui qui toute sa vie a tracé son propre chemin avec entêtement et modestie, loin des écoles et des chapelles mais l'oeil toujours aux aguets. Une vie consacrée à la peinture entre Lyon et les Cévennes, dans un jeu patient avec les lumières et les couleurs. "Unique" pour Balthus, dans la lignée de Morandi, Jacques Truphémus est un peintre méconnu hors de sa région et des galeries parisiennes qui l'ont exposé. Au printemps 2017, la propriété Caillebotte à Yerres lui avait consacré une rétrospective. Une sélection de ses œuvres est présentée au musée Hébert près de Grenoble jusqu'au 6 novembre 2017.

Truphémus, l
Truphémus, l'intimité révélée Truphémus, l'intimité révélée, Propriété Caillebotte, 2017

Les racines de l’art

Né à Grenoble en 1922, Truphémus découvre les trésors du musée de Grenoble comme il explorerait une caverne d’Ali Baba : l’émotion provoquée par la cohabitation de toutes ces toiles de maitres, Matisse, Rubens, Zurbaran ou Bonnard éveille en lui le désir de la peinture.

Jacques Truphémus en famille, RH Editions, 2013

Sa rencontre en 1937 avec le Guernica de Picasso exposé dans le petit pavillon espagnol de l’Exposition internationale de Paris est à nouveau un choc esthétique. Il dessine et peint alors en autodidacte et le conservateur du musée de Grenoble, Andry-Farcy, lui reconnait déjà l’étoffe d’un grand artiste. Son goût pour l’art est nourri par ses lectures : les ouvrages de Fromentin sur la peinture Flamande, le journal de Delacroix, les poésies de Baudelaire et ses écrits sur l’art, les échanges épistolaires de Cézanne ou de Van Gogh.

Voir Musée de Grenoble, guide des collections : XXe-XXIe siècles, Fage, 2015

Les collections du musée de Grenoble, Musée de Grenoble, 2004

Formation et amitiés lyonnaises

Il entre à l’école des Beaux-Arts de Lyon en 1940 surtout pour rassurer sa famille, qui l’imagine plus facilement professeur de dessin qu’artiste peintre. Le STO (service de travail obligatoire) lui impose un éprouvant séjour en Allemagne où sa santé est mise à rude épreuve mais dont il revient avec une envie de vivre et de peindre chevillée au corps. De retour à Lyon, il réintègre l’école des Beaux-Arts dans la classe de peinture d’Antoine Chartres.  Il y retrouve ses amis  André Cottavoz, Paul-Philibert Charrin, Jean Fusaro, Hélène Mouriquand, Pierre Coquet avec qui il partage des admirations et des préoccupations communes : Bonnard, la lumière, la matière bien sûr, et une envie de profiter de la vie dans cette période d’après-guerre. Les «sanzistes » (sans « iste ») comme ils se baptisent à l’occasion d’une exposition-manifeste à la chapelle du lycée Ampère en 1948, ne se veulent pas école mais foyer d’émulation et de recherche artistique, analysant les œuvres de l’avant-garde pour y trouver de nouveaux terrains d’exploration graphique.

Voir Les Sanzistes ou La renaissance de la modernité, Alain Vollerin, Mémoire des arts, 2002

L’art : vers un engagement total

« Je n’existe que quand je peins, en dehors de l’atelier je suis un figurant », J. Truphémus

Vient le temps pour chacun de tracer sa propre ligne. Après une tentative d’installation à Paris en 1947, où il subsiste chichement avec un petit boulot de veilleur de nuit, Truphémus revient s’installer à Lyon. Il travaille à l’usine et peint les fins de semaine, expose au Salon des moins de trente ans et au Salon du Sud-Est. En 1955 la veuve du peintre Etienne Morillon lui propose de reprendre l’atelier de ce dernier. Ce sera le territoire privilégié du peintre jusqu’à sa mort. C’est à cette même période qu’il se consacre enfin pleinement à la peinture grâce à la reconnaissance apportée par l’exposition de son travail dans plusieurs galeries, comme la Galerie Troncy à Lyon et la Galerie Monique de Groote à Paris et à Bruxelles. En 1959 il signe un contrat d’exclusivité avec la Galerie Romanet à Paris. A partir des années 1990, c’est la Galerie Claude Bernard qui représente l’artiste. Malgré une méconnaissance de son œuvre par le grand public et une production peu abondante, les liens qu’il tisse avec certains galeristes et des collectionneurs fidèles lui ont permis de vivre par et pour la peinture jusqu’à la fin de sa vie, le 8 septembre 2017.

Voir la biographie de Jacques Truphémus sur le site de la galerie Claude Bernard

Le silence de l’atelier

Autoportrait dans l’atelier. Coll. Musée Paul Dini

Si les amitiés artistiques sont essentielles, le travail de l’artiste est avant tout solitaire. C’est dans le silence de son atelier qu’il peaufine ses toiles à partir de ses « notations », croquis pris sur le vif où figurent des indications de couleur. Elles fournissent à l’artiste une matière première ensuite réinterprétée, recréée par le souvenir et l’exercice plastique. Il peint beaucoup mais produit peu : il amorce, observe, laisse maturer, retravaille, gratte, recouvre et souvent jette ce qui ne lui parle guère. Il apprécie particulièrement la lumière du Nord qui éclaire en douceur son atelier. Cette lumière qui est justement un fil conducteur de son travail de peintre.

Les trois lumières

« Truphémus, Les trois lumières » s’intitule l’exposition rétrospective organisée en 2012 au Plateau, espace d’exposition de L’Hôtel de région Rhône-Alpes. Avec en exergue, une citation de Truphémus (1985) :

« Le fil conducteur, pour moi, c’est la lumière, la traduire par la couleur, trouver ce que peut donner un ton rompu, maîtriser le vocabulaire des chauds et des froids, voilà ma recherche. »

La lumière éclatante du Sud, à laquelle il s’est frotté à Nice lors de son séjour au Palais de la Méditerranée, lui parle peu. Il préfère la lumière du Nord, celle qui a irrigué les toiles les peintres flamands, dont il part s’imprégner chaque été pendant une dizaine d’années.

Truphémus, Au Verseau, Lausanne, 1985

La lumière de Lyon aussi, sa ville de cœur, qu’il a connu crasseuse et brumeuse avant sa rénovation, dont il se fait le paysagiste discret et fidèle. C’est un Lyon presque désert, hanté par quelques silhouettes lointaines que le peintre fixe sur sa toile dans des paysages aux tons rompus. C’est aussi le Lyon des cafés de quartier, où des figures solitaires trouvent un lieu d’accueil propice à la rêverie.

La lumière des Cévennes enfin, plus crue, qu’il mit longtemps à apprivoiser. Terre d’origine de son épouse Aimée, c’est là qu’il installe son deuxième atelier, dans leur maison d’été du Vigan. La nature indisciplinée qui exulte dans le jardin cévenol envahit les toiles du peintre dans un jeu entre le dedans et le dehors. Truphémus en fait son principal lieu de travail à partir des années 2000, avant que ses soucis de santé ne l’empêchent de s’y rendre. Des peintures qu’il aime regarder ensuite à l’aune de la douce lumière de son atelier lyonnais, une bonne manière de juger son œuvre estivale.

 La Couleur

Jacques Truphémus, RH éd. 2013

C’est dans ses toiles les plus récentes que Truphémus laisse exploser la couleur. Dans un entretien avec Jean-Jacques Lerrant en 1987, il évoque son intérêt pour les couleurs rompues, neutralisées,  « quand la couleur se fait silencieuse et n’existe plus que de façon souterraine ». Vingt-huit ans plus tard, le documentaire tourné par Florence Bonnier révèle la transformation du rapport du peintre avec sa palette : « La couleur m’est venue comme un cadeau inespéré. J’ai été très sensible aux gris pendant toute ma vie, les gris en peinture sont quand même d’une grande subtilité si bien que je me suis assez affiné l’œil dans la connaissance des tons rompus que procurent les gris. Un beau jour j’ai assimilé la couleur avec facilité. Ça a été une révélation et en même temps je pense que c’était préparé par mon travail antérieur. »

 La Matière

Truphémus, tous les blancs possibles. Exposition, Saint-Claude, 2014

Aux croquis dans la rue, les cafés, les intérieurs de l’atelier, un vrai plaisir en soi, succède l’élaboration lente de la peinture à l’huile. Si dans les premières années il se laisse aller au plaisir de la matière, exploitant une palette assez grasse, il préfère à partir des années 1970 une matière désépaissie aux transparences d’aquarelle. Il s’offre parfois quelques escapades au pastel. Les dernières années, sa toile s’allège et le blanc originel conquiert une nouvelle légitimité, flirtant parfois avec des airs d’inachevé. Le peintre est libre, sa pratique décomplexée et sereine. Pour Denis Lafay, « Jacques Truphémus est peinture. Et la peinture est Jacques Truphémus ».

Peintre de l’intime

Truphémus, un peintre de l’intime, Musée Paul Dini, 2005

Que ce soit des marines, des paysages de Lyon ou des Cévennes, des ambiances de cafés, des natures mortes – ou plutôt des vies silencieuses -, le Japon qu’il a visité en 1970, des intérieurs d’atelier ou encore des portraits de sa femme Aimée, la peinture de Truphémus est parcourue d’une petite musique intérieure, d’une intimité discrète et délicate.

Pour Nelly Gabriel, « Le désir de peindre chez lui nait de la chose vue, de l’émotion qu’elle provoque. C’est l’étincelle. C’est l’œil qui tout à coup s’arrête sur une chose peut-être croisée tous les jours mais ce jour-là, regardée autrement. (…) L’aventure des formes n’étaient-elles pas déjà chez lui l’exploration d’une intériorité dans ce qu’elle traduisait de l’échange sensible avec le monde extérieur ? »

Du peintre qui aimait lire Baudelaire, Calaferte écrivait : « Je dis que Truphémus est un poète-peintre, qu’il écrit des images, qu’il peint des sons, qu’il nous murmure une confidence qui est lui-même, que sa peinture a une voix qu’on ne peut pas ne pas entendre, justement parce qu’elle est discrète, prenante, insidieuse, qu’elle ne va pas crier sur la place publique, qu’elle ne désire s’approprier que les âmes, entamer un dialogue de complices au niveau de l’excellence en nous. (…)

La force de l’art de Truphémus est de traduire le seul mouvement qui ait quelque importance ; le mouvement intérieur, le mouvement spirituel. » « Ce que je sais, c’est que je marche dans les rues de Truphémus, avec des personnages de Truphémus, que je vais avec enchantement là où un poète a décidé de m’emmener, me conviant surtout à fouler sa terre la plus intime, sa plus riche propriété ; celle qui porte son nom. » Louis Calaferte, 1974  ( Extrait reproduit dans Jacques Truphémus de Yves Bonnefoy et Denis Lafay)

Plus de Truphémus

Exposition, Musée Hébert, 25 juin au 6 novembre 2017

Plusieurs entrées sont possibles pour se frotter à l’univers de Truphémus :

Foncer au musée Hebert avant le 6 novembre 2017 pour découvrir l’exposition Jacques Truphémus. A contre lumière

Voir les œuvres de Truphémus répertoriées dans la base Joconde (œuvres conservées au musée Paul Dini et au musée des Beaux-Arts de Lyon). Deux d’entre elles seront visibles au musée Paul Dini de Villefranche-sur-Saône à partir du 15 octobre dans le cadre de « vagabondage », un accrochage de la collection en résonance avec la 14ème Biennale d’art contemporain de Lyon, « Mondes flottants »

Parcourir l’exposition virtuelle que lui a consacré la Bibliothèque Municipale de Lyon en 2006

Découvrir l’homme et son atelier grâce à des documentaires :

  • Sur youtube :

L’atelier de Jacques Truphémus par Urb’art, mis en ligne le 13 avr. 2016 par François Ribière (13 mn)

Avant Première avec l’artiste Jacques Truphémus, Connaissance des Arts, vidéo mise en ligne le 27 mars 2017 (11mn54). Guy Boyer recevait l’artiste Jacques Truphémus à l’occasion de son exposition à la Propriété Caillebotte à Yerres du 25 mars au 9 juillet 2017

Les 3 lumières de Truphémus (DVD)

  • En DVD :

Truphémus, réal. de Florence Bonnier, Le soleil sur la place, 2015 ( 53 mn )

Jacques Truphémus, entretien avec Jean-Jacques Lerrant ; réal. de Alain Vollerin, Mémoire des arts, 2007 (38 mn)

Les 3 lumières de Truphémus : les plages du Nord, Lyon et la maison des Cévennes, un film de Georges Combe, CLC Productions, 2005 (53 mn)

Parcourir en sa compagnie les musées de Grenoble et de Lyon et se laisser gagner par l’émotion qu’il partage devant les trésors qui l’ont fasciné :

Jacques Truphémus en famille : l’homme, le peintre, l’oeuvre à la lumière des trésors des XIXe et XXe siècles du Musée de Grenoble et du Musée des beaux-arts de Lyon, Lyon, RH Editions, 2013

Se plonger dans les hommages que lui ont rendu au fil des ans René Deroudille, Jean-Jacques Lerrant, Louis Calaferte, Bernard Clavel, Charles Juliet et bien d’autres, faisant vibrer d’une poésie affectueuse les pages de monographies dédiées à son œuvre :

Jacques Truphémus / préface, Yves Bonnefoy ; portrait, Denis Lafay ; extraits de textes, Nelly Gabriel, Sylvie Carlier, Sylvie Ramond… [et al.], Lyon, RH Editions, 2011

Truphémus / Textes de Bernard Clavel, René Deroudille, Charles Juliet, Jean-Jacques Lerrant. Lausanne : Au Verseau ; Paris : La Bibliothèque des Arts, 1985

Feuilleter en ligne les dossiers de presse de ses dernières expositions :

Jacques Truphémus, l’intimité révélée, 25 mars au 9 juillet 2017 à la Propriété Caillebotte (Yerres)

Les transparences de Truphémus, dixième exposition de Jacques Truphémus chez Claude Bernard, 2016

Jacques Truphémus, tous les blancs possibles, musée de l’abbaye, Saint-Claude, du 3 juillet au 16 novembre 2014

Jacques Truphémus, Les trois lumières, 1951-2011, Le Plateau, Hôtel de la région Rhône-Alpes, du 3 au 23 juin 2011

Venir à la bibliothèque consulter les catalogues d’exposition de Truphémus à la recherche de l’émotion, de la lumière et de la couleur qui vous parlera le mieux

Jacques Truphémus, l’intimité révélée : exposition, Propriété Caillebotte, Yerres, du 25 mars au 9 juillet 2017

Jacques Truphémus : exposition : Cuiseaux, pays des peintres, 3e Biennale des arts, du 25 juin au 18 septembre 2016

Jacques Truphémus : exposition, les Cordeliers, 29 février-4 mai 2008, Châteauroux

Jacques Truphémus : exposition, 24 novembre 2006-6 janvier 2007, Paris, Galerie Claude Bernard

Jacques Truphémus : un peintre de l’intime : peintures et pastels, 1951-2005 : exposition, Villefranche-sur-Saône, Musée Paul Dini, 16 octobre 2005-19 mars 2000

Truphémus : oeuvres sur papier : exposition, Mornant, Maison de pays de la région de Mornant, 1er mai-1er juin 2003

Jacques Truphémus : exposition, Le Rectangle, Lyon, 23 mars-28 mai 2000

Truphémus : 69e salon du Sud-Est, 1996

J. Truphémus : peintures, aquarelles, pastels, dessins : exposition, 17 juin-31 août 1994, Musée Hébert, Maison des artistes, La Tronche-Grenoble

Truphémus : exposition, Vienne, Musée-cloître de Saint-André-le-Bas, 24 juillet-4 octobre 1992

Truphémus : peintures et pastels : exposition, Paris, Salon de mars 92, stand Galerie Claude Bernard, 1992

Truphémus. Peintures et pastels : exposition, Paris, Galerie Claude Bernard, 1990

Jacques Truphémus : exposition, Musée des beaux-arts, Palais Saint Pierre, Lyon, février 1986

Truphémus illustrateur : découvrir ses collaborations artistiques avec des poètes et des écrivains

Huit heures dans un endroit où je suis né [Livre] / François Montmaneix, Jacques Truphémus, 2009. Chaque poème représente une heure et est illustré d’un dessin de l’artiste Jacques Truphémus

Piéton [Livre] / Hervé Bauer ; Jacques Truphémus, encres, 2006. Poèmes illustrés par deux encres de Truphémus

T.R.U.P.H.E.M.U.S [Livre] / Charles Juliet ; Jacques Truphémus, dessin, 2006. Poèmes écrits par Charles Juliet à la suite d’une visite de l’exposition des oeuvres de Jacques Truphémus qui s’est tenue à Villefranche-sur-Saône en 2005-2006.

ABCD Enfantines. 14 poèmes [Livre] / de Louis Calaferte ; dessins de Jacques Truphémus, 1987

Rurales [Livre] / Jacques Chauviré ; Illustrations de Truphémus. Pérouges : Maison du Livre, 1985

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