Un Jurassic Park en Rhône-Alpes ?

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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Que diriez-vous de vacances dans un beau lagon bleu, entouré d’une barrière de coraux, à bronzer sur la plage sous un climat tropical, à quelques kilomètres de Lyon, dans le Jura ?
Attention cependant à ne pas vous allonger juste sur le passage d’un brachiosaure, herbivore débonnaire qui vous écrasera tranquillement de ses 40 tonnes sans même vous voir !
Vous ne rêvez pas : ce paysage idyllique a bien existé dans notre région …il y a 140 millions d’années !
La découverte en 2009 d’empreintes de ces dinosaures géants dans l’Ain est l’occasion de vous emmener dans le lointain passé de ce qui sera bien plus tard le sud du Jura, en région Rhône-Alpes.



Sommaire

1. La découverte d’empreintes de dinosaures à Plagne dans l’Ain

2. Sauropodes et brachiosaures

3. -145 millions d’années : le futur Jura terrain de promenade des sauropodes

4. Quelques autres découvertes dans la chaîne du Jura

5. La valorisation de cet héritage du passé

21. La découverte d’empreintes de dinosaures à Plagne dans l’Ain 2

Le 5 avril 2009, Marie-Hélène Marcaud et Patrice Landry, deux membres de la SDNO (Société Des Naturalistes d’Oyonnax) découvrent des traces de pas fossilisées sur un des sites déterminés au préalable comme potentiellement intéressants à explorer, aux environs de Plagne dans le département de l’Ain, à l’extrémité sud de la chaîne du Jura.

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© CNRS Phototèque
Les empreintes de Plagne

La découverte est présentée à deux scientifiques du CNRS et de l’Université Lyon 1, Jean-Michel Mazin et Pierre Hantzpergue, bien connus par les membres du SDNO.
En expertisant le site de Plagne, ces deux chercheurs confirment que le site correspond à une piste de dinosaures. La forme et la taille gigantesque de ces traces -entre 1 m et 1,40 m de long pour les pieds- leur permettent d’émettre l’hypothèse selon laquelle Plagne est un ancien lieu de passage de sauropodes dont font partie les brachiosaures, des herbivores géants à long cou. Les bêtes faisaient en moyenne 25 mètres de haut et pesaient entre 30 et 40 tonnes. Les traces apparaissent comme nombreuses, on en dénombre déjà une centaine fin octobre 2009 alors qu’une grande partie du site n’a pas encore été décapée.

22. Sauropodes et brachiosaures2

Les sauropodes sont un groupe de dinosaures terrestres herbivores quadrupèdes caractérisés par un long cou, une longue queue, un crâne relativement petit et une mâchoire faiblement développée. On compte, parmi les sauropodes, les plus longs et les plus imposants dinosaures

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© Pixel-shack
Un troupeau de brachiosaures laisse de belles traces

(Seismosaurus, Supersaurus, Brachiosaurus, Sauroposeïdon), et par conséquent les plus grands animaux qui aient vécu sur terre. Ils furent présents pendant tout le Jurassique supérieur et le Crétacé jusqu’à l’extinction finale des dinosaures il y a 65 Ma (Ma = millions d’années).
Le brachiosaure est un des dinosaures les plus connus par les paléontologues et le grand public. Il apparaît dans plusieurs films tels Jurassic Park et Dinotopia par exemple.
Les paléontologues ont d’abord pensé que le brachiosaure était un animal aquatique à cause de sa taille, mais on estime maintenant que sa grande carcasse n’aurait pas pu supporter la pression en eaux profondes. Comme tous les autres dinosaures, il devait donc bel et bien être un animal terrestre, peut-être souvent en eau peu profonde comme l’hippopotame actuel. La région Plagne à l’époque était elle un milieu adéquat à la vie du brachiosaure ?

23. -145 millions d’années : le futur Jura terrain de promenade des sauropodes 2

La région de Plagne fait partie du Jura méridional. Ici comme partout en France, des mers peu profondes se sont avancées et ont reculé sur le socle hercynien érodé pendant tout le Secondaire. Elles ont laissé, ente autres sédiments, des calcaires au Jurassique (-199,6 à -145,5 Ma).

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© BRGM
Carte géologique Nantua 652 : zoom sur Plagne

C’est à partir de l’étude de ces roches calcaires que le terme « Jurassique fut crée au XIXe siècle.
Quand les sauropodes du Tithonien (dernier étage du Jurassique, -155,5 à -145,5 Ma) ont laissé leurs empreintes dans la vase, la région était sans doute une lagune sous climat chaud et humide à végétation abondante pour nourrir ces herbivores géants, avec de nombreux points d’eau peu profonde comme protection contre les prédateurs. Il subsiste d’ailleurs la trace fossile d’une grande barrière de corail d’une centaine de kilomètres allant du Col de la Faucille au Nord-est jusqu’à la cluse de Balme au Sud-ouest.

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La France il y a 140 millons d’années

Après que la boue se soit desséchée et solidifiée, l’eau très présente a sans doute recouvert les traces en favorisant leur protection de l’érosion sous un dépôt de nouveaux sédiments de plus en plus épais. Il a fallu ensuite l’émersion définitive du secteur, le plissement de la chaîne du Jura et enfin une érosion dégageant légèrement ces empreintes fossiles de la couche de calcaires du Tithonien juste à temps pour le coup d’œil exercé des membres de la SDNO, tout ceci pour permettre cette découverte extraordinaire. Un enchaînement inouï de coïncidences sur 145 Ma !

24. Quelques autres découvertes dans la chaîne du Jura 2

Les découvertes d’empreintes fossiles à Plagne par les membres de la SDNO ne sont pas le fait du hasard : c’est le fruit d’une recherche d’un lieu potentiellement intéressant dans cette région du Jura qui a livré dernièrement des traces de pas de sauropodes à Coisa en 2004, à Loulle en 2006, et à Belleydoux en 2008.
Un fossile de brachiosaure très intéressant a été retrouvé en 1934 à Damparis, près de Dôle (département du Jura).
Mais les plus belles découvertes de fossiles ont été

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Temps géologiques
Échelle : le millon d’année

faites plus au sud à Cerin dans l’Ain, dans les terrains jurassiques du Bugey.
L’exploitation d’une carrière à pierres lithographiques de 1834 à 1910 a permis de dégager de nombreux fossiles datant tous de l’étage Kimméridgien (-155,7 à -150,8 Ma) et peut être du début du Tithonien (-150,8 à -145,5 Ma), donc contemporains des traces de sauropodes de Plagne, à l’échelle des temps géologiques. La richesse du site a motivé l’Université Lyon 1 à entreprendre sur place une campagne de fouilles paléontologiques systématiques de 1975 à 1994.
Le résultat conjugué des deux périodes de fouilles est une collection très riche de fossiles d’animaux marins et terrestres, de végétaux et de traces de déplacements d’animaux.

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© Patrick Ageneau
Petit crocodilien de Cerin

Ces fossiles ont été exposés au Muséum de Lyon jusqu’à la fermeture du Musée Guimet : ils ne seront pas visibles pour le grand public avant l’ouverture du Musée des Confluences, aucune exposition temporaire n’étant prévue d’ici là.
Une petite partie des fossiles est visible sur place, au Musée Paléoécologique de Cerin. Une très belle collection se trouve aussi dans les locaux professionnels du Laboratoire des Sciences de la Terre de l’Université Lyon 1. Une visite guidée d’une partie des collections est proposée sur demande, pour des groupes de 10 à 25 personnes. Renseignements : M. Abel Prieur, 04.72.44.84.88.

25. La valorisation de cet héritage du passé 2

Cerin est la vitrine d’une région riche en fossiles du Jurassique. Mais cette richesse est sous-exploitée actuellement. Aussi, on peut espérer que cette découverte de traces de dinosaures à Plagne en 2009 donne un nouvel élan pour la mise en valeur de ce très ancien patrimoine, à l’instar de ce qui a été commencé en Suisse.
Le même type de traces fossiles a été découvert en 2002 à Courtedoux, dans le Jura Suisse : 1700 traces formant une vingtaine de pistes. Une enveloppe de 3,5 millions de francs suisses a été débloquée pour sa mise en valeur et deux week-ends portes ouvertes sur le site en septembre 2009 ont connu un réel succès (3000 visiteurs le premier week-end). La visite se fait en nocturne avec un jeu de lumières rasantes mettant les traces en relief.

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© Phil Ae
Empreintes en gros plan à Courtedoux

Laissons la parole à Jean-Paul Rodet, vice président de la culture au Département de l’Ain, interviewé le 16 octobre 2009 par l’hebdomadaire La voix de l’Ain :
« Il doit y avoir une réflexion sur le classement du site […]. Il faut, dans un premier temps, rester attaché à l’aspect scientifique de la découverte […]. Ensuite, on pourra éventuellement imaginer des aménagements touristiques attractifs […]. Je crois que les réflexions doivent s’engager au niveau des Régions (Rhône-Alpes et Franche-Comté) et pourquoi pas aller chercher des lignes budgétaires européennes ».

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© Dino-Zoo
Combat d’allosaures à Dino-Zoo

Il existe déjà dans le Jura un parc à thème surfant sur la vague de l’engouement pour les dinosaures, le Dino-Zoo de Charbonnières-les-sapins dans le Doubs. C’est une belle initiative privée.

Alors, peut-on espérer voir s’ouvrir dans la région un parc à thème français drainant des milliers de visiteurs petits et grands curieux de découvrir le Jura au temps des dinosaures ? Un parc du Jurassique dans le Jura, quoi de plus logique !

Pour en savoir plus :

Ouvrages

Fossiles de Cerin, Muséum, un,deux… Quatre éditions, 2004.

Cerin, une lagune tropicale au temps des dinosaures, CNRS et Muséum de Lyon, 1985.

Géologie et paysages en Isle Crémieu, Georges LACHAVANNE, Association Edith & moi, 2004, pp 30-36.

Guide de la géologie en France, Belin, 2008, pp 10-26 , p.267, pp. 687-688.

1000 dinosaures, Terre éditions, 2008, pp 80-82.

Dinosaures de France, Éric BUFFETAUT, dessins Pascal ROBIN, éd. BRGM, 1995, pp 71-75.

Périodiques

Minéraux et Fossiles, Les dinosaures de France, n° spécial 198, juillet-Août 1992, p. 7.

Le Progrès, De gigantesques traces de dinosaures découvertes dans l’Ain, mardi 6 octobre 2009, p. 3.

Le nouvel Observateur,Jurassic Park à Oyonnax !, n° 2345, 2009, pp. 96-97.

La voix de l’Ain, Traces de dinosaures : et maintenant que fait-on de cet héritage ?, 16 octobre 2009, p. 40.

Carte

Nantua : carte géologique de la France à 1:50 000e, BRGM, 2004.

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