Sur les pas de Girard Desargues, mathématicien et architecte lyonnais

- temps de lecture approximatif de 13 minutes 13 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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Parmi les personnalités honorées en 2011 dans le cadre des célébrations nationales, figure Girard Desargues (1591-1661). Méconnu du grand public, il a pourtant marqué l’histoire scientifique du XVIIème siècle et l’architecture de sa ville, Lyon. Le 350e anniversaire de sa disparition est une invitation à mettre nos pas dans ceux de ce personnage important mais discret, ami de Descartes et maître de mathématiques du jeune Blaise Pascal.

La vie de Girard Desargues comporte encore de nombreuses zones d’ombre malgré les travaux menés par des chercheurs comme Marcel Chaboud ou René Taton. C’est d’autant plus dommage que ce savant a été à la fois mathématicien, géomètre « le plus original du XVIIème siècle », ingénieur, architecte, passionné de musique…

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Girard Desargues
(Wikimedia Commons)

On attend toujours l’édition de ses œuvres complètes. Il a peu écrit lui-même et souvent dans un langage ardu. On ne lui connaît pas de portrait. Seul un tableau peint au XIXème siècle par Théobald Chartran l’évoque : il y figure en compagnie de Descartes, Pascal et le Père Mersenne. Pour marquer l’anniversaire de sa mort, le Centre Alexandre Koyré, centre de recherche en histoire des sciences et des techniques, organise à la fin de l’année 2011 un colloque international sur les géométries du XVIIème siècle et leurs postérités.



Sommaire

1. Enfance et jeunesse en Lyonnais

2. Le mathématicien et géomètre dans son époque

3. L’architecte à Lyon

4. Ses lieux de prédilection : Lyon, Condrieu, Vourles

5. Eclipse et redécouvertes

6. Actuellement, les mathématiques lyonnaises à l’honneur

21. Enfance et jeunesse en Lyonnais2

Il naît à Lyon le 21 février 1591 dans le quartier Saint-Georges. C’est le dernier d’une grande fratrie. Son père exerce la profession de notaire royal. Sa famille est originaire de Condrieu à une quarantaine de kilomètres en aval de Lyon. Son arrière-grand père, Gabriel Desargues, est connu par « les Comptes et la chronique de Condrieu » publiés en 1891 par Joseph Denais dans la Revue du Lyonnais.

Il reçoit le baptême en l’église Sainte-Croix dont les ruines ont été mises à jour dans le jardin archéologique qui jouxte la cathédrale Saint-Jean. Ce square porte aujourd’hui le nom de Girard Desargues. En novembre 1991, à l’occasion du 4ème centenaire de sa naissance, la municipalité de Lyon a choisi de l’honorer ainsi.

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Jardin archéologique Girard Desargues
(Ville de Lyon)

Ses études et sa formation restent méconnues. A cette époque, au début du XVIIème siècle, Lyon ne possède pas d’université. Les jeunes Lyonnais d’alors vont parfaire leurs études dans les villes avoisinantes ou bien à Paris ou en Italie. Girard Desargues a peut-être suivi les cours du Collège de la Trinité ou bénéficié d’une formation donnée par un précepteur ou par son père. Il semble qu’il acquiert ses connaissances scientifiques par lui-même, dans les livres, notamment en géométrie et en perspective. L’imprimerie lyonnaise édite assez régulièrement des ouvrages de sciences. Elle publie aussi des livres d’arithmétique commerciale, une tradition locale depuis la création des foires. Entre 1605 et 1621, le futur mathématicien exerce la profession de marchand de soie dans la maison de ses frères. A ce titre, il côtoie certainement des maîtres d’algorithme. Esprit curieux, il s’intéresse aussi à l’architecture et au cours de voyages d’affaires, prend connaissance d’études sur la perspective. De plus, à Lyon même, il peut rencontrer des gens de métier comme Etienne Martellange, « l’architecte des jésuites »
Peu à peu, il se rend compte qu’il ne peut plus progresser dans sa ville natale, c’est pourquoi il “monte” à Paris vers 1625. Mais Lyon ne sera jamais oublié. Ne signe-t-il pas ses œuvres du sigle SGDL, c’est-à-dire « Sir Girard Desargues Lyonnais » ? Ou il accompagne sa signature du titre « bourgeois de Lyon ».

22. Le mathématicien et géomètre dans son époque2

Ses activités scientifiques prennent leur essor à Paris. Son premier projet est celui d’une machine hydraulique pour élever l’eau de la Seine et la distribuer dans les quartiers. La municipalité parisienne donne son accord, mais il ne semble pas qu’une réalisation ait suivi. Quant à sa première publication « Une méthode aisée pour apprendre et enseigner à lire et écrire la musique », elle témoigne de l’intérêt porté alors par de nombreux intellectuels pour les questions musicales. Il noue peu à peu des relations avec de grands savants. Il fréquente le cercle du père Marin Mersenne, de l’ordre des Minimes, qui entretient une correspondance avec tous les grands scientifiques de l’époque. Cette « Académia parisiensis » regroupe assez régulièrement Etienne Pascal, Roberval, Gassendi, Mydorge, Blaise Pascal… Girard participe activement aux débats qui animent cette communauté. Par l’intermédiaire du père Mersenne, il engage avec Descartes une correspondance indirecte pendant près de 10 ans. Ils échangent leurs idées sur de nombreuses questions d’actualité. Ainsi, en avril 1638, notre mathématicien écrit une lettre au père Mersenne concernant un débat entre Fermat et Descartes. Il s’agit de son écrit mathématique le plus ancien où il esquisse ses théories géométriques. Il est conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon ainsi que d’autres écrits.

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Lettre de G. Desargues au Père Mersenne
(Fonds Charavay, BML)

En 1639, paraît son œuvre la plus importante : « le Brouillon project d’une atteinte aux évènements des rencontres du cône avec un plan ». Ce texte pose les bases de la future géométrie projective qui sera développée au XIXème siècle. Dans Etudes d’histoire des sciences, René Taton l’explique ainsi : « dans cet essai d’une trentaine de pages, on trouve tous les éléments de la future théorie projective des coniques, l’étude des pôles et polaires, la définition générale des foyers, les notions de points et de droites à l’infini, etc., ainsi qu’une présentation rapide des principes d’application de cette étude à la perspective, à la gnomonique et au trait de la coupe des pierres ». Cet écrit est publié à 50 exemplaires, dans une langue originale, empruntée à la botanique, parlant de rouleau pour un cylindre, de tronc ou de rameau pour une droite, ou de brin de rameau pour un segment de droite. C’est Blaise Pascal qui saisit le mieux l’importance de ce document et rend hommage à son auteur dans son « essai pour les coniques » que l’on retrouve dans ses Œuvres complètes.

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Théorème de Desargues – Diagramme
(H Mckenna, Creative Commons)

Girard Desargues s’intéresse aux applications pratiques de ses théories géométriques. En 1640, paraît un autre « brouillon project » relatif à la coupe des pierres et à la gnomonique. Il complète un essai précédent sur la perspective et développe une nouvelle méthode de tracé graphique pour la taille des pierres et la construction de cadrans solaires. Dans ces domaines, ses disciples sont : Pascal, le peintre Laurent de La Hire, le graveur Abraham Bosse ainsi que des maîtres-maçons et menuisiers. Mais il s’attire aussi beaucoup d’hostilité de la part des tailleurs de pierres et se retrouve bientôt au cœur de vives polémiques. Très touché par ces critiques, il ne publie pratiquement plus rien. C’est son plus fidèle disciple, Abraham Bosse qui se charge de défendre son œuvre.

23. L’architecte à Lyon2

C’est par la géométrie que Girard Desargues est amené à l’architecture. Pour mettre en valeur ses idées et exprimer son talent, il dessine des pièces stéréotomiques. A Paris, il devient ainsi le spécialiste des escaliers d’hôtels particuliers.
En 1646, il est sollicité par les échevins de Lyon qui veulent édifier un nouvel hôtel de ville dans le quartier des Terreaux. Notre architecte élabore des plans. La tradition veut que le premier Hôtel de ville soit surtout l’œuvre de Simon Maupin, le voyer de l’époque (le responsable de l’urbanisme). Mais la correspondance échangée avec le Consulat montre que le rôle de Girard Desargues est important. Les deux escaliers qu’on lui attribue sont « entièrement imbriqués dans la construction ». Celui des Archives, de forme ovale, particulièrement élégant ainsi que le grand escalier d’honneur témoignent de sa virtuosité. Peut-être est-il aussi à l’origine de l’Atrium, la salle d’honneur du rez-de-chaussée.

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Escalier des archives
Hôtel de ville de Lyon
(A. Forest)
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Grand escalier d’honneur
Hôtel de ville de Lyon
(A. Forest)

Il dessine aussi la fameuse maison en encorbellement sur trompe, construite en 1651 sur le pont de pierre sur la Saône, « un monument de sa capacité dans l’art de la coupe des pierres ». L’historien André Steyert la décrit ainsi : « une maison de quatre étages, dont la moitié du bâtiment était entièrement suspendue, supportée par une trompe d’une hardiesse extraordinaire et d’un effet surprenant ». Malheureusement, cette habitation construite sur la pile de l’arche des Merveilles a été détruite vers 1843, un peu avant la démolition du pont.
Il élabore également les plans du bâtiment dit de l’Hôtel de l’Europe, situé au 1, rue du Colonel-Chambonnet, près de la place Bellecour. Construite en 1653, cette demeure devint au XIXème siècle, un hôtel pour voyageurs prestigieux. Entièrement restauré à partir de 1997, ce bâtiment inscrit aux Monuments historiques, est consacré aujourd’hui au logement locatif et aux activités tertiaires (Le Tout Lyon, 22 sept. 1998).

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Maison sur trompe
(G. Desargues, Nlle histoire de Lyon/A. Steyert)

24. Ses lieux de prédilection : Lyon, Condrieu, Vourles2

Toute sa vie, Desargues reste très attaché à sa patrie lyonnaise. A Lyon même, il habite successivement montée du Gourguillon, quai de la Fusterie et rue des Trois-Maries lors de son retour en 1648. A cette époque, dans le Vieux Lyon, vit une bonne partie de la bourgeoisie de la ville.
Un autre point d’attache important de “SGDL” se trouve à Condrieu, plus précisément à Château-Grillet, non loin de là. Il s’agit d’un domaine dont il a hérité, constitué d’une belle maison entourée de vignes. Elles produisent un vin blanc réputé qu’il apprécie ainsi que ses amis. Une des pensées de Pascal évoque ce lieu : « On distingue des fruits les raisins, et entre ceux-là les muscats, et puis Condrieu, et puis Desargues, et puis cette ente. Est-ce tout ? En a-t-elle jamais produit deux grappes pareilles ? Et une grappe a-t-elle deux grains pareils ? etc. ». La tradition locale veut que le philosophe ait passé une nuit à Château-Grillet.
L’autre lieu important qu’il connaît depuis l’enfance, est la propriété de La Roche à Vourles, petite commune située au sud de Lyon. Cette résidence campagnarde porte au début du XVIIème siècle, le nom de Chante-Perdrix. D’autres maisons des champs s’élèvent aux alentours. Aujourd’hui, ce domaine existe toujours. Une école de Vourles porte le nom de Girard Desargues. Il fait partie des célébrités de la commune.

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Château-Grillet à Vérin dans la Loire
(PHILDIC, Creative Commons)

25. Eclipse et redécouvertes2

Pendant près d’un siècle et demi, l’œuvre de Desargues tombe dans l’oubli. Sans doute parce qu’elle a été diffusée en trop peu d’exemplaires et dans un langage complexe. De plus, le succès rapide de la géométrie analytique et du calcul infinitésimal ne favorise pas le renouveau de la géométrie projective au 17e siècle.
Il faut attendre le XIXème siècle, notamment avec Jean-Victor Poncelet et Michel Chasles pour que la géométrie projective sorte de l’oubli et redonne à notre mathématicien sa juste place. Le théorème de Desargues est l’un des plus importants de la géométrie projective. Et en 1864, paraît une édition de ses oeuvres par Noël-Germinal Poudra.
D’autres recherches aux XIXème et XXème siècles permettent de mieux connaître la vie et l’œuvre de ce Lyonnais illustre. En novembre 1991, un colloque international du CNRS s’est tenu à Paris et à Lyon pour le 400ème anniversaire de sa naissance. On peut prendre connaissance d’une partie de ses oeuvres sur Gallica

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Théorème de Desargues
(Tosha, Wikimedia Commons)

26. Actuellement, les mathématiques lyonnaises à l’honneur2

Si la France est terre de maths comme le montre un précédent point d’actu, Lyon occupe une place de choix. La médaille Fields 2010 attribuée à Cédric Villani, est venue le souligner. Alors professeur à l’Ecole normale supérieure de Lyon, il a intégré depuis l’Université Lyon 1. Cette récompense remise tous les 4 ans à des chercheurs de moins de 40 ans équivaut à un prix Nobel de mathématiques.
Dans ce domaine, l’Université Lyon 1, le CNRS et les grandes écoles unissent leurs efforts. Notamment à travers leurs laboratoires de recherche, l’Institut Camille Jordan (un autre mathématicien lyonnais) et l’UMPA, Unité de mathématiques pures et appliquées.
Pour sensibiliser davantage le grand public et les scolaires à l’importance des mathématiques, des animations sont proposées comme par exemple la grande exposition organisée en 2006 au Muséum de Lyon. A cette occasion, de nombreux mathématiciens lyonnais se sont mobilisés. Citons aussi les participations aux fêtes de la science, les soirées scientifiques de Lyon 1, les conférences de l’Université Ouverte, le rallye mathématique de l’Académie de Lyon…

Pour en savoir plus :

Girard Desargues : bourgeois de Lyon, mathématicien, architecte, par Marcel Chaboud, Aléas

Actes du colloque Girard Desargues, Paris-Lyon, organisé par le Centre François Viète, Association Girard Desargues

L’œuvre mathématique de G. Desargues, par René Taton, PUF

Lyon, cité des savants, Ed. du CTHS

Vingt siècles d’architecture à Lyon (et dans le Grand Lyon), par Jacques Beaufort, J. P. Huguet

L’Hôtel de ville de Lyon, par M. Audin, Impr. A. Rey

Le CNRS à Lyon, Association des anciens et amis du CNRS

- L’Hôtel de ville de Lyon – le puits GaillotVoir
- l’Hôtel de l’Europe ? Voir
- Le tourisme à Lyon au 19e siècle, l’Hôtel de l’Europe ? Voir

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