Fouilles archéologiques à Sainte-Colombe : une fenêtre ouverte sur l’antiquité

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 06/11/2017 par Tarteàlacrème

Une vaste opération de fouille archéologique dite préventive (avant aménagement), se déroule depuis le mois d’avril à Sainte-Colombe, près de Vienne. Si la présence de vestiges antiques à Sainte-Colombe est loin d’être une surprise, l’inconnu en était la qualité et la nature. L’excellent état de conservation de ces vestiges a conduit le Ministère de la Culture à lui donner le statut de « découverte exceptionnelle », un fait rare pour une découverte attendue. Une mesure qui permet de prolonger la fouille menée par l’entreprise Archéodunum jusqu’au 15 décembre 2017.

Gaule - Vienna (Vienne) - vue d'ensemble Aquarelle de Jean-Claude Golvin. Musée départemental Arles Antique © Jean-Claude Golvin / Éditions Errance.

Vienne, Saint-Romain-en-Gal et Sainte-Colombe

A regarder le découpage administratif actuel, on ne croirait pas que Vienne, Saint-Romain-en-Gal et Sainte-Colombe formaient une seule et même ville antique. Avec des vestiges encore bien en élévation (maison d’Auguste et de Livie, partie du forum…), Vienne est célèbre pour ses antiques. Saint-Romain-en-Gal porte bien son nom et le site devenu musée signale l’importance du quartier antique. A Sainte-Colombe, de nombreuses trouvailles anciennes laissaient penser que des vestiges romains importants se trouvaient sous la ville. C’est maintenant un pan entier de l’occupation antique qui se livre à la connaissance.

Dolium (à gauche), grand vase de stockage d’une capacité de 1000 litres, installé dans une des boutiques de la place (Ier s. apr. J.-C.), et contenu d’une étagère effondrée (à droite) sur le sol d’une boutique (Ier s. apr. J.-C.). Photo Flore Giraut © Archeodunum

A une date incertaine, peu avant 50 après J.-C., Vienne est promue au titre de colonie. L’aristocratie viennoise acquiert la citoyenneté et en seulement quelques générations, le mode de vie romain se diffuse. Le commerce est prospère et enrichit Vienne : des entrepôts de plus de six hectares sont construits au sud de la ville, sur la rive gauche. Le développement fulgurant de la ville déborde rapidement sur la rive droite.

 

Une ville de commerce à la croisée des chemins

A Saint-Romain-en-Gal, la découverte de mosaïques importantes dès le 17e siècle laissaient croire qu’il s’agissait de grandes demeures dispersées. En 1967, un projet de construction de lycée permet de dégager de nombreux vestiges. Leur importance est telle que l’implantation du lycée est changée et le classement du site au titre des Monuments historiques crée une réserve archéologique.

Ces fouilles mettent au jour un urbanisme planifié qui permet de considérer la rive droite du Rhône comme un véritable faubourg (environ soixante-dix hectares d’occupation). A partir du milieu du 1er siècle après J.-C., elle devient même un quartier de la ville. Les thermes de Saint-Romain-en-Gal étaient par exemple destinés à l’ensemble de la ville.

Guide des collections, Musée de Saint-Romaine-en-Gal – Vienne 2013

 

 

A proximité de la fouille archéologique en cours à Sainte-Colombe, rue des « Petits jardins », se trouvent les traces d’axes de communication antiques majeurs. La voie de Narbonnaise fut édifiée par Agrippa autour des années 10 av. J.-C. ; elle forme la bordure ouest du secteur de fouilles. Sur le Quai d’Herbouville, près de la Tour des Valois, les vestiges de l’une des culées du pont antique de pierre (« pont de Trajan ») ont été dégagés en 1978.

 

Les découvertes de la rue des “Petits Jardins”

 

Le site est exceptionnel par la surface fouillée (5 500 mètres carrés), la densité des vestiges et la qualité de leur conservation. Les jardins ouvriers de cette vaste parcelle ont permis leur préservation. La hauteur de la stratigraphie conservant les couches d’occupation atteint parfois trois mètres, laissant la possibilité aux archéologues de reconstituer l’évolution du site sur une longue durée. En contexte urbain, des vestiges aussi bien préservés sont aujourd’hui très rares. Plusieurs incendies ont de plus « fossilisé » les occupations, d’où la qualification de « Pompéi viennoise ».

La fouille en cours n’a bien sûr pas encore livré tous ses résultats. Ce n’est que lors du dépôt du rapport de fouilles au Service Régional de l’Archéologie (DRAC Auvergne Rhône-Alpes), et de la publication dans le Bilan Scientifique de l’Archéologie en Rhône-Alpes (consultable à la BM de Lyon), que le site sera véritablement connu.

 

Des équipements publics

Des entrepôts sont construits dès le début de l’occupation gallo-romaine. Au milieu du 1er siècle après J.-C., une place de marché est aménagée avec des boutiques aux fonctions commerciales et artisanales. Au-dessus de ces boutiques, on trouve des logements destinés à la classe moyenne de la ville. Effondrés sur place du fait d’un incendie, le niveau supérieur de ces bâtiments peut être reconstitué par les archéologues.

A la fin du 1er siècle, la place est monumentalisée par l’installation d’une grande fontaine. Un nouvel entrepôt équipe le secteur. Incendié au début du 2e siècle, les marchandises qu’il contenait sont conservées :  cruches et des amphores à vin de la vallée du Rhône…

Par la suite, un grand complexe avec des portiques et basiliques est élevé. Peut-être s’agissait-il d’une “place des corporations”, du fait de la vocation très commerçante du secteur. L’interprétation n’est pas encore certaine.

 

De riches domus

A Saint-Colombe, plusieurs domus avaient déjà été repérées. Une partie de la domus d’Amour et de Pan a été fouillée dans les années 1980. La riche mosaïque qui lui a donné son nom se trouve dans un vestibule.

Maquette de la domus d’Amour et de Pan © Patrice Berger

La fouille de la rue des Petits Jardins a mis au jour d’autres demeures aristocratiques, probablement celles de riches négociants. La domus de Thalie et de Pan a pris le nom de la scène du médaillon central de l’une de ses mosaïques (enlèvement de la muse Thalie par le dieu Pan). Dans cette immense habitation, une trentaine de pièces s’organisent autour de deux péristyles. Signe d’un enrichissement incroyable, pas moins de vingt mosaïques et sols de marbre ont été dégagés.

Une seconde domus organisée autour d’un jardin a été découverte, la domus des Bacchanales. Elle a été détruite par un incendie dans la première moitié du 2e siècle, préservant sa riche décoration ainsi que ses étages effondrés sur les sols du rez-de-chaussée. Le péristyle est bordé de galeries ouvertes couvertes d’une terrasse. La salle de banquet est décorée d’une mosaïque du 1er siècle représentant les fameuses bacchanales, cortège de bacchantes et de satyres enivrés autour de Bacchus.

 

Lire – Archéothéma, revue de la société de fouilles archéologiques Archéodunum au sujet de Sainte-Colombe.

– Un article du laboratoire Archéologie et Archéométrie (ARAR) « Sainte-Colombe, une vaste opération de fouille archéologique »

 

Vienne dans les textes grecs et latins, Gérard Lucas, 2016

L’archéologie préventive aujourd’hui

En France, depuis la loi du 17 janvier 2001, différents acteurs, publics ou privés, sont susceptibles de conduire des fouilles archéologiques préventives. L’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP, Etablissement Public Administratif), pratique de nombreuses fouilles sur le territoire. Par ailleurs il assure tous les diagnostics archéologiques (sondages permettant d’évaluer la présence et/ou l’étendue de vestiges). Suite à la loi de 2001, de nombreuses collectivités territoriales se sont dotées d’un service archéologique, par exemple la Ville de Lyon. Des entreprises privées de fouilles archéologiques ont également vu le jour, comme la société Archéodunum (2006 en France).

L’un des objectifs de la loi de 2001 était de clarifier le financement de l’archéologie préventive. Mais la complexité de ce financement est aujourd’hui encore source de tensions entre aménageurs et archéologues. Le rapport Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive (2015), de Mme la députée Martine Faure, met en relief ces difficultés récurrentes.

La loi du 1er août 2003 a rendu l’aménageur maître d’œuvre de l’opération archéologique. Il choisit l’opérateur public ou privé qui mène la fouille. Depuis la crise économique de 2008, le nombre de chantiers de construction et donc de fouilles préventives a baissé. Le secteur de l’archéologie préventive est en tension (voir « L’archéologie préventive se cherche » -Pixel- de France Culture), car le nombre d’intervenants est important par rapport au nombre d’opérations archéologiques (environ cinq cent par an).

Depuis la loi du 7 juillet 2016, l’Etat est devenu intégralement propriétaire des vestiges découverts lors de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites.

Lire : – L’Organisation institutionnelle de l’archéologie, Ministère de la Culture et de la Communication

– Interview de Dominique Garcia, président de l’INRAP par Sciences et Avenir, au sujet de la loi de 2016

– Code du Patrimoine

Visiter et comprendre un site antique exceptionnel

Musée site de Saint-Romain-en-Gal

– Le Guide du site de Saint-Romain-en-Gal, Réunion des musées nationaux, 1999

– Le Guide des collections, Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal – Vienne 2013

– Pour expliquer le site de Vienne à un enfant : Vienna [Vienne], Gilbert Bouchard, Bruno Helly, Jacques Martin, 2015

 

Replacer l’histoire de Vienne dans un contexte plus large

Atlas du patrimoine de l’Isère, Musée Dauphinois-Conservation du patrimoine de l’Isère

 

Pour aller plus loin dans l’archéologie viennoise

– La carte archéologique de Vienne, de Fanny Adjadj avec Roger Lauxerois, 2013

– Pour les sites antiques de Saint-Romain-en-Gal et Sainte-Colombe : la carte archéologique du Rhône d’Odile Faure-Brac, 2006

– Vienne dans les textes grecs et latins : chroniques littéraires sur l’histoire de la cité, des Allobroges à la fin du Ve siècle de notre ère de Gérard Lucas, 2016

 

Les mosaïques et leur restauration

– Train contre mosaïque : une restauration : Sainte-Colombe, Rhône, 1876-2000  [exposition, Saint-Romain-en-Gal, Musée archéologique],  2000

– L’usure du temps  : la restauration des objets du patrimoine, 7 novembre 1997 – 31 mars 1998, Musée archéologique de Saint-Romain-en-Gal

– Les mosaïques, conserver pour présenter ?, 2003

 

Deux points de vue sur la crise actuelle de l’archéologie préventive

– Un article critique sur la mise en œuvre des fouilles archéologiques en France depuis la loi de 2001 : « Archéologie préventive », Vincent Blouet et Laurence Manolakakis, Les nouvelles de l’archéologie [En ligne], 127 | 2012, mis en ligne le 30 mars 2015

– Un article sur les difficultés propres à l’exercice de l’archéologie : « La crise de l’archéologie, de ses lointaines origines à aujourd’hui », de Alain Schnapp, Les nouvelles de l’archéologie [En ligne], 128 | 2012, mis en ligne le 19 décembre 2014

 

 

 

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