Chasseurs d'images

La presse au procès Barbie

Photographe : Marcos Quinones, 3 juillet 1987.

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - par prassaert

Huit semaines durant, du 11 mai au 4 juillet 1987, huit cents journalistes de la presse internationale étaient rassemblés à Lyon pour suivre un procès historique : celui de l'ancien SS-Obersturmführer Klaus Barbie, dit le "Boucher de Lyon".

Procès Klaus Barbie : interview de Me Jacques Vergès. Marcos Quinones, 3 juillet 1987.
Procès Klaus Barbie : interview de Me Jacques Vergès. Marcos Quinones, 3 juillet 1987.

Le procès de Nikolaus dit Klaus Barbie s’est déroulé du 11 mai au 4 juillet 1987 devant la Cour d’Assises du département du Rhône, au Palais de Justice de Lyon. C’était la première fois en France que l’on jugeait un homme accusé de crime contre l’humanité. Les charges retenues contre Barbie concernaient trois faits distincts : la rafle opérée à Lyon le 9 février 1943 à l’Union Générale des Israélites de France (UGIF), rue Sainte-Catherine ; la rafle du home pour enfants à Izieu du 6 avril 1944 ; la déportation de plus de six cents personnes dans le dernier convoi parti le 11 août 1944 de Lyon à destination des camps de la mort. Au terme de huit semaines d’audience, Klaus Barbie était condamné le 4 juillet 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité.

800 journalistes à Lyon

Le 11 mai 1987, à quelques heures de l’ouverture du procès, plus de 800 journalistes de 27 nationalités différentes affluaient aux abords du Palais de Justice de Lyon, totalement isolé du reste de la ville par un périmètre de sécurité où patrouillaient en permanence des policiers en armes. Seules les 1100 personnes munies de badges d’accréditation, dont plus de 200 techniciens des Télécommunications, pouvaient désormais accéder à l’intérieur de ce périmètre. Quelques jours avant l’ouverture du procès, des journalistes retardataires, venus d’Australie ou de Suisse, tentaient encore d’obtenir des accréditations…

Procès Klaus Barbie : les avocats de la partie civile. Marcos Quinones, 13 mai 1987.

Trente-six télévisions et une cinquantaine de radios du monde entier étaient représentées au procès Barbie : les journalistes et techniciens français étant les plus nombreux (330 personnes), suivis par les Américains (140), les Allemands de l’Ouest (60) et les Britanniques (50). Du côté des télévisions, les Américains furent les mieux représentés avec cinq grandes chaînes (A.B.C., N.B.C., C.B.S., C.N.N. et I.T.N.) qui avaient mobilisé près de cent personnes… soit une dizaine de plus que toutes les chaines françaises réunies ! Israël avait pour sa part deux chaînes de télévision sur place. Les Soviétiques avec une dizaine de journalistes, la R.D.A., la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie étaient également représentées. En dehors du continent africain, totalement absent, la surprise vint sans doute de la faible participation des pays d’Amérique du Sud : le Brésil et l’Argentine étaient là, mais aucun envoyé spécial du Pérou ou de Bolivie, pays où Barbie avait pourtant trouvé refuge.

La valise promotionnelle de la Ville de Lyon

L’arrivée massive de journalistes étrangers avait suscité la mobilisation de la municipalité qui avait voté un budget spécial de 700.000 francs afin d’assurer leur accueil. Tout près du Palais de Justice, des tentes à rayures vertes et blanches avaient été installées par la Ville de Lyon pour accueillir les équipes techniques. Prévoyante, elle avait même édité une “valise promotionnelle” à destination des journalistes de la presse internationale renfermant des montres à l’effigie de “Lyon carrefour international”, des guides de “Lyon Gourmand”, des prospectus pour divers night-clubs lyonnais, une documentation pour des salles de sports et des guides touristiques… sans que cela ne suscite quelques polémiques !

Des journalistes en herbes

Parmi ces journalistes, il y eu bien sûr les stars incontestées – au nombre desquelles figuraient le grand reporter Ladislas de Hoyos, le chroniqueur judiciaire Frédéric Pottecher ou le mémorialiste Henri Amouroux –, mais également trois jeunes lycéens, élèves de 1re B au Lycée Jean-Perrin, dans le 9e arrondissement de Lyon, qui se sont transformés en apprentis reporters. Leur but : suivre le procès Barbie, rencontrer et interviewer les principaux protagonistes, en somme couvrir l’événement pour les rédactions d’Antenne 2 (France 2) et du quotidien Lyon Figaro. Ces envoyés-spéciaux ont ainsi eu l’occasion de rencontrer Me Jacques Vergès, la résistante Lise Lesèvre ou Sabine Zlatin, l’ancienne directrice de la maison des enfants d’Izieu. Leur enquête a été diffusée sur Antenne 2, dans l’émission Ligne directe, les 25, 26 et 29 mai 1987.

Un enregistrement vidéo pour l’Histoire

Au delà du Procès, il s’agissait aussi d’en conserver la “mémoire audiovisuelle”. L’enregistrement du procès Barbie a été rendu possible par la loi du 11 juillet 1985, votée sur proposition de Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, et qui autorise la présence des caméras dans les prétoires. L’objectif sous-jacent de la loi est la constitution d’archives historiques de la justice.

C’est ainsi que les débats du procès seront entièrement filmés par une équipe de télévision travaillant pour le ministère de la Justice et sous le contrôle d’un magistrat. Enfermées dans un premier temps dans les archives de la chancellerie, les cassettes dûment scellées ne devaient pas être visionnées avant trente ans, comme l’exige la loi.

Il n’empêche qu’en octobre 1992, soit cinq ans après l’énoncé de la condamnation – et un an après la mort du condamné -, le procès Barbie aura été l’occasion d’une projection. A la demande du maire de Lyon et uniquement pour la durée du colloque “Résistance et mémoire” organisé en marge de l’inauguration du Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation de Lyon, la présidente du Tribunal de Paris autorisait la diffusion d’une séquence de 45 minutes, exclusivement consacrée aux témoins et sectionnée au fil des 400 heures d’enregistrement. Par la suite, plusieurs extraits de courte durée seront diffusés en boucle et en continu dans les salles d’exposition du CHRD de Lyon.

Suite à cette première projection, et en application d’une convention signée le 13 janvier 1993 avec le Ministère de la Culture et de la Communication, l’Institut national de l’audiovisuel assurait la conservation d’une copie de l’enregistrement, déposée par les Archives nationales, et sa communication au public.

La chaîne de télévision Histoire et la station de radio France Culture ont respectivement conclu en 2000 et en 2004 une convention avec l’Ina permettant la diffusion d’extraits de l’enregistrement du procès de Klaus Barbie. Enfin, une autorisation, par une ordonnance en date du 5 février 2009, était accordée à Arte pour l’édition vidéographique du procès, à la condition que l’ordre chronologique des images soit conservé et que l’équilibre entre accusation et défense soit respecté. Cette autorisation a donné naissance à un coffret de six DVD paru chez Arte éditions en 2011, soit une sélection de 21 heures d’enregistrement.

Trente ans après le procès, la Ville de Lyon, le Département et de nombreuses institutions et associations partenaires – la Cour d’appel, le rectorat, le Crif, le Mémorial d’Izieu, le Mémorial national de la prison Montluc, le Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation – ont souhaité revenir sur cet événement qui a laissé une trace profonde dans la mémoire de la cité. Un programme présenté le 22 mars 2017 à la préfecture, dévoile un ensemble de manifestations qui sera décliné à partir du 7 mai jusqu’en novembre 2017 : cérémonie commémorative de la rafle des enfants d’Izieu (7 mai) ;  table ronde à l’hôtel de ville de Lyon sur le thème “Des acteurs du procès Barbie témoignent” (11 mai) ; tables rondes sur le thème “Les enfants juifs d’Izieu, justice et mémoire”, au Mémorial d’Izieu (14 mai) ;  conférence “Le procès Barbie”, avec Pierre Truche et Jacques Védrinne, au CHRD de Lyon (18 mai) ; soirée du souvenir, au Palais de Justice historique de Lyon (30 juillet) ; vernissage de deux expositions aux Archives départementales du Rhône et au Mémorial national de la Prison Montluc (14 septembre) ; conférence organisée par le Crif sur le thème “Un grand procès et après ?” (17 septembre) ; journée d’études avec le Mémorial de Montluc, l’Université catholique et le Goethe Institut portant sur le crime contre l’humanité (26 septembre) ; conférence de Luc Ferry sur “Les leçons du procès Barbie”, à l’hôtel de ville de Lyon (21 novembre) ; etc.

 

Bibliographie

Photographie(s)

Partager cet article