Mandrin, héros du Dauphiné

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En janvier 2012, la sortie du film « Les chants de Mandrin » remet dans l’actualité ce célèbre personnage historique rhônalpin du 18ème siècle. Figure du folklore dauphinois, Louis Mandrin demeure, dans les esprits, un « brigand au grand cœur » qui dérobait les riches et ne tuait jamais. Chef charismatique d’une bande de contrebandiers, sa gloire a pourtant duré moins de deux années, entre 1754 et 1755. Sa mort à l’âge de 30 ans scelle un destin dramatique et forge une légende, toujours en mémoire pour les uns, à découvrir pour les autres.



Sommaire

1. Mandrin, enfant du Dauphiné et apprenti contrebandier

- 1.1 L’engrenage vers l’illégalité et le crime
- 1.2 La lutte contre la Ferme générale

2. « Capitaine général » des contrebandiers : 1754-1755

- 2.1 Un chef prestigieux et talentueux
- 2.2 Des campagnes audacieuses et fructueuses

3. La fin de Mandrin et la naissance d’une légende

- 3.1 Une arrestation illégale et un procès expéditif
- 3.2 La construction d’une légende

Pour en savoir plus :

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Film réalisé par R. Ameur-Zaïmeche

21. Mandrin, enfant du Dauphiné et apprenti contrebandier2

[actu]1.1 L’engrenage vers l’illégalité et le crime[actu]

« La première volerie que je fis dans ma vie

C’est d’avoir goupillé la bourse d’un…, vous m’entendez ?

C’est d’avoir goupillé la bourse d’un curé. »

Extrait de la Complainte de Mandrin

Louis Mandrin, né le 11 février 1725, est le fils aîné d’une famille dauphinoise établie à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs au 17ème siècle. Son père, François-Antoine Mandrin, est propriétaire foncier, maquignon et marchand en gros et en détail. Sa mère appartient également à la bourgeoisie locale. Le premier malheur qui touche la famille, au sommet de sa fortune mais dont le prestige décline, est la mort du père, en 1742. Louis devient chef d’une famille nombreuse (9 frères et sœurs au total) et se retrouve à la tête d’un commerce et d’une exploitation agricole. Pendant que sa mère dirige la boutique de la maison « des poêles », à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, il achète et vend chevaux et mulets aux foires de la région, en particulier celle de Beaucroissant.

Les déboires de la famille Mandrin commencent en 1743, à la suite de conflits entre propriétaires au sujet d’une prairie. Dès 1746, le jeune homme est endetté. Avec la guerre de Succession d’Autriche, Mandrin voit l’occasion de refaire fortune mais il joue de malchance. Le 1er mai 1748, il signe un traité par lequel il s’engage à fournir 97 mulets pour transporter les vivres nécessaires à l’armée d’Italie. Aidés d’associés, il achète et équipe les bêtes et devient « capitaine de la brigade des mules » donc responsable de l’acheminement du convoi à travers les Alpes. Or, la dure escapade connaît plusieurs décès d’équidés durant le voyage. Plus grave pour le jeune homme, la brigade est licenciée avec une partie des troupes en juillet 1748, avant la paix d’Aix-la-Chapelle. Mandrin est donc renvoyé avec son convoi et le retour coûte à nouveau la vie à de nombreuses bêtes. L’affaire s’avère un désastre financier pour Mandrin, qui ne peut exiger que l’indemnisation des mules noyées (conformément au contrat) et échoue à se faire rémunérer l’intégralité du travail fourni. Or le contrat avait été signé avec des banquiers lyonnais liés à la Ferme générale : son ressentiment pour ce système trouve son origine dans cet échec commercial.

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Le creuset de Mandrin

La gêne financière dans laquelle tombe alors la famille Mandrin conduit Louis et son frère Pierre à quitter le droit chemin : ils sont liés à des vols et au négoce de tabac de contrebande. En parallèle, Pierre et son frère Claude en viennent à dérober le tronc de l’église de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Leur complice se fait prendre et évente l’affaire : les condamnations aux galères à vie tombent, déshonorant la famille Mandrin et poussant à la fuite les deux frères fautifs. Pour les venger (bien qu’ils soient coupables), l’impulsif Louis saccage la propriété du curé et s’en prend au lieutenant châtelain qui a instruit le procès.

La spirale vers le crime se poursuit pour Louis Mandrin. En 1753, son destin est indirectement lié au tirage au sort de la milice, les troupes d’infanterie qui complètent l’armée régulière. Cette institution est mal-aimée du peuple qui, payant déjà des impôts, accepte mal de devoir aussi participer à la défense du territoire. De plus, en raison d’un certain nombre d’exemptions, les paysans modestes constituent l’essentiel des effectifs. Tous les ans, les intendants de chaque province fixent le nombre de miliciens que les paroisses doivent fournir et équiper à leurs frais. Le 29 mars 1753, dans la commune d’Izeaux où s’effectue le tirage au sort, Pierre Brissaud est l’un des hommes désignés par le hasard. Il prend la fuite pour se dérober à son devoir et les frères Roux partent à sa recherche pour faire échapper l’un d’eux au même destin milicien. Mandrin fait partie des défenseurs de Brissaud et est présent lors de la fusillade entre les deux familles, qui se solde par le meurtre de deux des frères Roux. Mandrin et ses compagnons sont jugés par le Parlement de Grenoble. En fuite, Louis est considéré comme l’auteur principal de cet assassinat. Au même moment, son frère Pierre est condamné pour délit de fausse monnaie puis pendu. Louis venge la dénonciation de son frère et assassine, le 9 juillet 1754, le brigadier de la Ferme générale Sigismond Jacques Moret et sa fillette.

Désormais, Louis Mandrin, qui a intégré la bande du célèbre contrebandier Jean Bélissard, est contraint de rester dans la clandestinité. Quitte à côtoyer la mort, à laquelle il est condamné en raison de son homicide, il choisit la voie périlleuse du brigandage. Le jeune homme échappe ainsi à la justice et se venge en même temps des puissants et impopulaires fermiers généraux, dont ceux qui pratiquent la contrebande sont les adversaires.

Portrait de L. Mandrin, en pied : [estampe]
Portrait de L. Mandrin, en pied : [estampe]
Source : Bibliothèque nationale de France

[actu]1.2 La lutte contre la Ferme générale[actu]

Mandrin entreprend de se venger des fermiers généraux qu’il tient pour responsables de sa ruine, de la pendaison de son frère et de son échec personnel. De même que sa faillite affecte tout le clan Mandrin, la condamnation de Pierre, en jetant l’opprobre sur sa famille, l’atteint personnellement dans son honneur. Son ennemi prend alors la forme de la Ferme générale, chargée de la perception des impôts indirects.

Sous l’Ancien régime, les impôts directs (taille, par exemple) sont perçus par les fonctionnaires royaux tandis que les impôts indirects (gabelle sur le sel, aides sur les boissons, traites ou douanes) sont affermés à une compagnie privée liée par un bail (6 ans), au terme duquel elle verse une somme d’argent au roi. Cette tâche est convoitée puisque la compagnie retire le bénéfice constitué par la différence entre le montant des taxes levées auprès du public et la somme fournie au Trésor. Les « partisans » (financiers membres d’une société ou parti) ont donc intérêt à ce que ces taxes soient les plus élevées possibles. Ils sont communément accusés de pressurer le peuple… et de voler le roi en appauvrissant les provinces.

Le bail de la ferme est mis aux enchères par le fermier général du roi, seul homme qui porte ce titre. Toutefois, l’usage désigne comme fermiers généraux la quarantaine de personnes qui perçoivent cet impôt. Ils sous-traitent dans les provinces la levée des aides à environ 300 sous-fermiers : les maltôtiers. S’ajoutent plus de 28000 buralistes, receveurs, commis… La Ferme dispose aussi de ses propres tribunaux ainsi que de 23000 soldats (mobiles ou postés aux frontières) luttant contre les contrebandiers tels que Mandrin. Ils sont appelés « gâpians », du nom d’un goéland qui survole les côtes en paraissant les surveiller. Les fermiers généraux, les gâpians et leurs chefs se partagent le produit des amendes et les marchandises confisquées, ce qui leur vaut l’animosité du peuple.

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Mandrin
Causes célèbres de tous les peuples

La contrebande connaît son âge d’or du temps de Mandrin et se développe d’autant plus que le montant des impôts indirects varie d’une province à l’autre. Sous Louis XV, le trafic du sel est supplanté par celui du tabac. Ce produit, en consommation croissante, fait l’objet d’un monopole total (fabrication et vente) détenu par la Ferme, qui pratique des prix forts. Les contrebandiers vendent cette marchandise facilement transportable à un coût moindre tout en réalisant de bonnes plus-values. En 1774, la production d’un livre-poids de tabac ficelé revient à environ 11 sols (bénéfice du fabriquant compris). Il est écoulé autour des 22 sols par les contrebandiers et vendus environ 33 sols aux bureaux de la compagnie. La contrebande concerne également les « indiennes » (toiles de coton imprimées aux Indes) importées par l’Angleterre mais dont l’usage est interdit en France. S’y ajoutent divers objets en fonction des provinces : en Dauphiné, les livres protestants et les montres suisses circulent également sous les capelines. L’assimilation de la contrebande à un délit n’étant pas évidente à l’époque, les « margandiers » sont assimilés à des marchands et estimés.

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Plan de la Grotte de la Balme
Une cachette légendaire de Mandrin

Le Dauphiné, province tardivement rattachée au royaume, revendique de conserver ses lois et particularismes. La contrebande prend la forme de grandes bandes organisées militairement, qui, pour échapper aux poursuites, se réfugient derrière les frontières de la voisine province de Savoie (qui dépend du royaume de Piémont-Sardaigne). Les « chefs » sont les contrebandiers assez riches pour constituer une troupe, hiérarchisée, dont les hommes, recrutés par des sergents, sont armés, équipés (cheval), entraînés et payés. Les marchandises et fournitures sont achetées en Suisse et en Savoie, où la contrebande relève de l’industrie régionale. Louis Mandrin fait ses armes aux côtés de Jean Bélissard avant d’être en mesure de constituer et diriger sa propre compagnie, en 1754.

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Mandrin : capitaine des contrebandiers

22. « Capitaine général » des contrebandiers : 1754-17552

[actu]2.1 Un chef prestigieux et talentueux[actu]

Mandrin a tout pour plaire : il est jeune, blond et de belle stature. Il arbore, porté à l’envers, un tricorne de feutre noir, « prise de guerre » de son premier combat le 7 janvier 1754, dans le village de Curson. Le jeune chef et quelques acolytes luttent contre des « gâpians » de la brigade de Romans. A l’issue victorieuse de l’attaque, Louis Mandrin emprunte au brigadier tué son chapeau, son manteau, ses armes et sa monture. Le couvre-chef symbolique devient l’un des attributs du bandit. Comme les autres contrebandiers, il est muni d’un armement : fusil à baïonnettes (pour le combat au corps à corps), pistolets d’arçon, de poche et de ceinture, couteau de chasse, épée. Le jeune homme est caractérisé par sa gaîté, d’où son surnom de « Belle humeur », tandis que sa prestance et son autorité naturelles en font un chef incontesté.

L’exploit de janvier 1754 lui vaut une promotion au sein de la bande de Jean Bélissard : des détachements de plus en plus nombreux lui sont confiés. Fort d’un succès croissant, à l’automne 1754, Mandrin dirige sa propre troupe. Au sommet de sa gloire, elle compte jusqu’à 800 « mandrins » (400 au maximum sur le sol français), nécessitant la présence d’un chef sachant faire respecter ses décisions pour maintenir rigueur et discipline. Louis Mandrin s’avère rapidement maîtriser les qualités nécessaires au commandement. La guerre contre la Ferme générale, dans laquelle la troupe est l’instrument d’un règlement de compte, révèle sa vocation militaire. La Gazette de Hollande lui attribue pour la première fois l’épithète de « capitaine général des contrebandiers », le 29 novembre 1754.

Le recruteur Mandrin choisit ses hommes avec discernement, y compris quand il se fait ouvrir les portes des prisons des villes. Il n’embauche ni voleur ni assassins mais intègre des anciens soldats ou des contrebandiers, aguerris au combat. Il ne s’en prend qu’à la Ferme, pour la défense de laquelle rares sont les personnes prêtes à risquer leur vie, hormis les gâpians. Le « capitaine » ressemble ainsi aux officiers supérieurs de l’armée royale, tous issus de la haute aristocratie. Mandrin aurait rêvé d’être gracié et de devenir soldat du roi. A défaut, la contrebande lui permet de gravir immédiatement les échelons de commandement.

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Mandrin
Catalogue de l’exposition 2005-2006 du Musée Dauphinois

[actu]2.2 Des campagnes audacieuses et fructueuses[actu]



« Nous étions vingt ou trente brigands dans une bande,

Tous habillés de blanc à la mod’ des… Vous m’entendez ?

Tous habillés de blanc à la mod’ des marchands. »

Extrait de la Complainte de Mandrin.

Durant l’année 1754, Louis Mandrin mène 6 campagnes de contrebande, quittant la région du Dauphiné pour parcourir les routes du royaume de France. Durant ses trajets, il fait preuve de tactique et de ruse pour arriver à ses fins, souvent aux dépens de ses adversaires tournés en dérision. Plusieurs coups de génie servent sa renommée. En juin 1754, pour franchir les portes closes de Rodez, qui se veut un rempart contre les contrebandiers, Mandrin et ses hommes se font passer pour des marchands, prennent un gendarme en otage et récupèrent des armes et l’accès à la ville. Le lendemain, jour de foire, ils sont alors en mesure d’organiser et de garder un véritable entrepôt de contrebande dans le faubourg. Le marché se déroule dans le calme et les affaires des Mandrins sont prospères. L’intrépide bandit a même l’audace de forcer l’entreposeur de tabac et le directeur des fermes à acheter… du tabac de contrebande. A partir de cette affaire, Mandrin prend l’habitude de vendre son « faux tabac » aux employés de la Ferme, en imposant ses prix.

D’autres exploits consacrent l’ingéniosité du capitaine. A Beaune, en décembre 1754, déçu par l’accueil en armes de la ville, il exige 25000 livres en représailles, à charge au maire de rassembler la rançon. A Autun, la troupe de Mandrin se fait ouvrir les portes d’une ville barricadée et prête à tenir le siège grâce à une « escorte forcée » d’une trentaine de séminaristes rencontrés en chemin.

Les succès de Mandrin confortent son audace. De nombreuses villes sont occupées militairement et soumises à des paiements de sommes d’argent. Il ridiculise les autorités municipales, d’une part, et grossit le « trésor » de sa bande, d’autre part. Des tonnes de tabac de contrebande sont écoulées, au mépris des règles fixées par les représentants de la Ferme. Toutefois, son impudence contre les représentants de l’Etat devient insupportable à l’autorité royale. Celle-ci est mise en défaut par la hardiesse avec laquelle une bande armée s’introduit dans le royaume et réussit à enlever les deniers destinés aux dépenses de l’Etat. Louis Mandrin est un brigand recherché dont il faut faire cesser les agissements au plus vite.

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Mandrin
Un roman de Michel Peyramaure

23. La fin de Mandrin et la naissance d’une légende2

[actu]3.1 Une arrestation illégale et un procès expéditif[actu]


« Ils m’ont jugé à pendre. Ah ! C’est dur à entendre !

A pendre et à étrangler sur la plac’du… Vous m’entendez ?

A pendre et étrangler sur la plac’ du marché. »

Extrait de la Complainte de Mandrin

L’armée royale est de plus en plus mobilisée contre Mandrin et les centaines de contrebandiers armés qui composent sa troupe. Plusieurs régiments ont pour objectif de contrecarrer ses plans, d’empêcher le passage de ses brigades et de mettre la main au collet du célèbre ennemi public. Du Jura à la Méditerranée, dans les provinces frontalières, une chaîne militaire est déployée pour traquer le passage du brigand : le système est coûteux et, s’avérant vain, humiliant pour l’armée royale. Cette impuissance incite tout d’abord le gouvernement du roi à baser d’autres régiments en Forez, Beaujolais, Bourgogne, Dauphiné…

Souhaitant mettre un terme à la liberté d’action de Mandrin, le gouvernement royal mandate ensuite un corps d’élite pour poursuivre et attaquer les contrebandiers. Cette tâche est confiée à la compagnie de cavaliers et fantassins dirigée par le dévoué lieutenant-colonel Jean-Chrétien Fischer. Le camp de base est en Bourgogne, à Cuiseaux, d’où les centaines de soldats peuvent atteindre Mandrin si celui-ci rentre en France par Les Rousses, le pays de Gex ou le Bugey. Mandrin reste cependant insaisissable : redoutant de commettre le crime de lèse-majesté que représente l’affrontement avec l’armée royale, il s’ingénie à éviter cette dernière.

La menace se rapproche de Mandrin petit à petit. Le 17 décembre 1754, au cours d’une halte au hameau de Gueunand, il est attaqué par Fischer et mis en fuite pour la première fois. Cette bataille, durant laquelle le capitaine des « brigandiers » est blessé, marque un tournant : les « mandrins » ne sont plus de simples bandits mais des « rebelles » puisqu’ils se sont opposés aux forces du roi. De plus, la fuite en Suisse est laborieuse, leur chef est blessé et doit revoir les plans prévus pour la future campagne de contrebande (qui ne verra jamais le jour).

Afin d’éviter des effets d’imitation et de ralliement aux contrebandiers, les tribunaux publient des sentences exemplaires : le 30 janvier 1755, la cour des aides de Montauban les condamne au supplice de la roue, précédé de la torture. Il est également prévu de séparer en quartiers les cadavres des exécutés et de les présenter aux yeux de tous. Malgré tout, Mandrin garde le soutien du peuple et bénéficie de l’inaction des Suisses et des Savoyards, dont les intérêts contraires à ceux de la Ferme et des Finances royales ne les poussent pas à coopérer. Leurs contrées, à l’orée du royaume de France, servent donc de refuge aux mandrins.

Pour capturer le bandit, ses poursuivants, renseignés par des espions, décident d’outrepasser la légalité. Un plan se met discrètement en place pour enlever le capitaine des brigands alors qu’il se repose dans le château savoyard de Rochefort-en-Novalaise, à 4 km de la frontière. Le 10 mai 1755, 500 soldats royaux dont 90 gâpians assaillent le château et s’emparent de Louis Mandrin. Chargés du butin de la demeure dévastée, ils emportent le prisonnier jusqu’à Valence, où ils arrivent le 13 mai 1755. Le bandit redouté est désormais un prisonnier sur le point d’être jugé et exécuté.

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Le château de Rochefort, lieu d’arrestation de Mandrin
Carte postale – Bibliothèque municipale de Lyon

Au vu des circonstances de l’arrestation de Mandrin sur les terres du roi de Piémont-Sardaigne, il est prévisible que Charles-Emmanuel III exige l’extradition du bandit pour marquer son mécontentement vis-à-vis de la violation de son territoire et des exactions commises. Les juges ont des consignes : mener un procès bref et faire exécuter la sentence avant que Louis XV ne soit contraint de rendre Mandrin. Au terme de 11 jours d’emprisonnement et d’interrogatoires quotidiens, son sort est jugé. Le 24 mai 1755, il est condamné à être « rompu » ou roué vif. La bibliothèque conserve deux exemplaires des 4 pages du Jugement Souverain, qui a condamné à la Roue Louis Mandrin (références du premier et du second).

L’exécution a lieu le 26 mai. La mise à mort du célèbre brigandier, sur la place des Clercs de Valence comblée de monde, est impressionnante par sa cruauté. Louis Mandrin subit la roue, supplice des homicides et des criminels de lèse-majesté. Dénudé, attaché sur le dos à une croix de Saint André, il est battu par le bourreau avant d’être ficelé sur une petite roue de carrosse jusqu’à sa mort par agonie, abrégée par l’étranglement du bourreau. Quand le roi de France, sous la pression du roi de Piémont, donne l’ordre de sursoir à l’exécution, il est déjà passé à trépas. Les tensions diplomatiques se règlent par la suite avec des excuses officielles.

[actu]3.2 La construction d’une légende[actu]

La mort de Mandrin porte un coup sévère à la contrebande armée. Les arrestations et les exécutions se multiplient, comme celle de Jean Bélissard en 1756. En revanche, la disparition de Mandrin marque l’apogée de sa gloire. La fin tragique, à l’âge de 30 ans, du héros populaire qui a mis en péril l’injuste système de la Ferme générale, renforce son aura. Les circonstances qui accompagnent sa fin (arrestation sur trahison, violation du droit international, mort courageuse lors d’un supplice) sont propices à la création d’une légende dorée, qui persiste encore dans l’imaginaire collectif.

Par son audace, sa jeunesse, ses aventures, Mandrin, célèbre et apprécié de son vivant, devient un personnage épique : celui d’un défenseur du peuple ayant pris les armes et les grands chemins pour lutter contre les injustices. Sa popularité s’étend à tous les milieux sociaux, au point que les fermiers généraux font interdire la diffusion de son portrait. On se coiffe ou porte un pistolet à la ceinture « à la Mandrin » même si le terme de « mandrin » désigne, dans certaines régions, un voyou ou un enfant turbulent. Mandrin est considéré à la fois comme un commerçant et un chef militaire, un bandit et un seigneur, un héros et un gibier de potence. Ces ambivalences lui permettent d’accéder au panthéon des figures mythiques.

Auprès des gentilshommes, il jouit d’une faveur qui s’inscrit dans une tradition de délinquance nobiliaire, revendiquant les mêmes valeurs de bravoure, mépris de la mort, générosité chrétienne, respect des faibles… II s’inscrit également dans la tradition de brigandage militaire, métier traditionnel de la noblesse et dans lequel il s’avère être un chef d’armée compétent (maîtrise d’une troupe, connaissance du terrain et manœuvres tactiques). Galant et séducteur, entretenant des liens avec l’aristocratie (relations qui l’ennoblissent), intrépide et outrecuidant vis-à-vis des détenteurs du pouvoir, le héros traite sur un point d’égalité avec les principaux notables croisés. Devenu chef important, il soigne ses manières et ne s’en prend qu’à des ennemis puissants. Mandrin cherche à anoblir son métier en l’exerçant avec honneur. Ce faisant, tout en étant homme du peuple, il fait le lien entre les deux extrémités de la société.

Si l’image accolée au nom de Louis Mandrin est celle d’un gentil brigand, d’un « voleur des voleurs » (les fermiers généraux), il n’est pas moins, dans ses jeunes années, violent et mauvais perdant. Devenu contrebandier, il prend des otages, menace et multiplie les démonstrations de force mais n’utilise les armes qu’en cas de danger. Il souhaite plus à arriver à ses fins par la séduction qu’à répandre la terreur. Dans les faits cependant, les mandrins et leur chef ne font assez peu de cas de la vie humaine. La troupe est aussi sujette à des dérapages : abus d’alcool, rixes, homicides par accident… Leurs équipés causent la mort de 24 personnes, dont un enfant et deux femmes. Il y a donc loin de la réalité à l’idéal auquel cherche à se conformer le « capitaine ».

Après sa mort, Louis Mandrin devient l’une des figures du folklore national, particulièrement dans le Dauphiné et la Savoie. Chansons, ouvrages (« mandrinades »), affiches, assiettes peintes… reprennent son histoire ou son effigie. Le chef d’œuvre de cette production est la célèbre complainte de Mandrin, qui appartient au répertoire traditionnel de langue française. Composée peu après l’exécution du fameux contrebandier, elle s’éloigne de la réalité historique, témoignant des approximations auxquelles conduit la transmission orale de l’information. Aujourd’hui encore, il est l’un des personnage mythiques des Alpes françaises.

[actu]Pour en savoir plus : [actu]

- Mandrin : capitaine des contrebandiers (2011)

Un ouvrage de référence, clair, pédagogique et abondamment illustré, pour faire connaissance avec le personnage historique de Louis Mandrin et toutes les facettes de l’homme, du brigand, du séducteur et du héros dauphinois.

- Louis Mandrin, malfaiteur ou bandit au grand coeur ? (2005).

L’Isère a rendu hommage à son héros local, à travers une belle exposition présentée en 2005-2006 au Musée Dauphinois de Grenoble. Le catalogue qui en résulte permet d’approfondir, sous ses différents angles (historique, géographique, mythologique…) le personnage de Louis Mandrin et le contexte de l’époque. Les sujets évoquent notamment l’organisation de la contrebande en Dauphiné et en Savoie, l’implantation des Mandrin à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs., la riche production iconographique concernant le héros et le mythe du bandit au grand cœur.

- Mandrin : brigand ou héros ? (2005)

L’essentiel sur Mandrin est synthétisé et illustré dans cet ouvrage de la collection “Les Patrimoines” des Editions du Dauphiné.

- L’histoire de Mandrin en BD (2005)

Le destin de Mandrin est haut en couleurs… ce qui pousse à le découvrir en bandes dessinées. L’ouvrage relate les principaux épisodes, chevaleresques, galants ou guerriers, de la vie du capitaine des contrebandiers. Celui de Bourg-en-Bresse, le 5 octobre 1754, reste renommé. Mandrin s’y joue de l’élite de la ville, notamment du gouverneur militaire pris au dépourvu par son irruption dans une réception mondaine. La femme du fermier général subit elle aussi un moment embarrassant : afin de se procurer prestement l’argent réclamé par Mandrin, elle est contrainte de traverser la ville, en déshabillé et pantoufles, sous les yeux des passants et bourgeois effarés.

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Mandrin en BD

- Histoires curieuses et véritables de Cartouche et de Mandrin (1984)

Chaque génération connaît ses bandits célèbres : Mandrin est précédé par Cartouche (1693-1721) sous la Régence. Leur destin est semblable (fils de familles dévoyés, chefs de bande, suppliciés sous la roue, notoriété brève mais suffisamment marquante pour les ériger en héros) même si leurs activités diffèrent (Cartouche opère à Paris et dans ses environs, à la tête d’un clan de voleurs à la tire et cambrioleurs). Leur point commun de « bandit au grand cœur » a inspiré le rapprochement imaginaire prenant la forme d’un Dialogue entre Cartouche et Mandrin (Ca 1860).

Le recueil contient également une analyse sur le banditisme social et les rééditions de La Mandrinade ainsi que de l’Histoire de Mandrin depuis sa naissance jusqu’à sa mort avec un détail de ses cruautés, de ses brigandages et de ses supplices. Texte classique de la Bibliothèque bleue, il s’agit d’un réquisitoire moralisateur financé par la Ferme pour détruire la réputation du héros.

La Complainte de Mandrin perpétue, en musique, la notoriété de Louis Mandrin. Il est possible de se remémorer l’air célèbre en écoutant la version d’Yves Montand, de danser au son rock festif du groupe Les Grandes Bouches ou encore d’apprendre à la fredonner à ses enfants.

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La complainte pour les enfants

Toujours pour les enfants mais sans musique, l’album d’ Olivier Balez met en couleurs les couplets de la Complainte de Mandrin, et se clôt par des explications illustrées sur le bandit.

La vie romanesque de Mandrin continue d’inspirer les écrivains actuels :

- Mandrin

L’ouvrage de Michel Peyramaure permet au lecteur de suivre les aventures épiques de Louis Mandrin, sa vie intrépide de brigand des grands chemins, la camaraderie de troupe dont il est le chef respecté, en vadrouille dans les différentes provinces de France, sa vie amoureuses et familiale ainsi que ses romances jusqu’aux arcanes du complot qui le fait tomber dans les mains des forces royales et le mène à l’échafaud.

- Mandrin, bandit des Lumières

Mandrin et ses grottes

Guide du voyageur à la grotte de La Balme avec Plans et Vues dessinées d’après nature (1863)

Les grottes iséroises sont toutes empreintes de mystère puisqu’elles sont assimilées à des cachettes pour la marchandise de contrebande de Mandrin et ses hommes. Celle de la Balme fait particulièrement résonner cette légende. Le plan de destiné aux voyageurs n’infirme ni ne confirme ce fait mais présente les salles dont certaines son nommées en référence au brigand. Il y possède même son « creuset », surnom d’un rocher dont la forme suggère un contenant propre à la réalisation de fausse-monnaie. Dès l’époque, l’auteur du document rectifie bien les faits : la localisation du fameux creuset rendait impossible tout feu. D’ailleurs, Louis Mandrin, contrairement à son frère, n’a vraisemblablement pas été faux-monnayeur.

Sur les traces de Louis Mandrin (2005)

L’ouvrage de Louis Peillon retrace le parcours de Louis Mandrin et liste notamment les grottes fréquentées, selon la légende, par le contrebandier. Bien que rien ne l’atteste, elles ont toutes nommées des “chambres”, “baignoires” ou “chemins” en allusion au contrebandier.

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L’entrée de la grotte

Documents patrimoniaux du 18ème siècle :

Dès 1755, parmi les « mandrinades » qui commencent à circuler, un ouvrage anonyme vante les mérites du bandit, contribue à l’épanouissement de la légende, et s’écoule sous le manteau après son interdiction par la censure. Il s’agit de l’Abbrégé de la vie de Louis Mandrin, chef de contrebandiers en France (numérisé et consultable en ligne ici). L’exemplaire conservé par la bibliothèque comporte aussi la « Mandrinade », long poème en quatre chants et vers burlesques qui se moque du héros, accoquiné au diable qui l’inspire, et dresse l’épopée de ses aventures.

La Bibliothèque conserve également :

- le Précis de la Vie de Louis Mandrin, Chef des Contrebandiers. Avec un Récit de sa Prise & de l’exécution de son Jugement.

- le Testament politique de Louis Mandrin, suivie de son oraison funèbre et d’une épitaphe (1755), ouvrage numérisé et en ligne ici. Rédigé par Ange Goudar comme un pamphlet politique contre la Ferme générale. Le narrateur à la place de Mandrin et légitimise son combat. « J’ai déchargé le Peuple d’une partie des Impôts, dont le poids l’accabloît ». Le pseudo-Mandrin renie cependant « le titre pompeux de Protecteur du Peuple ». Le document a également fait l’objet d’une le réédition en 2010.

- l’Oraison funèbre de messire Louis Mandrin, colonel général des faussauniers et contrebandiers de France… .

- Mandrin pris. Comédie en un acte, pièce de théâtre de 1755.

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Les rochers de la Balme
Carte postale – Bibliothèque municipale de Lyon

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One thought on “Mandrin, héros du Dauphiné”

  1. Projet Mandrin concept multimédia et film à venir
    Le site : http://projetmandrin.com/

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