Quid des lyonnaiseries et de la lyonnitude ?

Lyon change de planète

- temps de lecture approximatif de 26 minutes 26 min - Modifié le 05/06/2018 par ameyer

Vient de paraître à la Découverte, dans la collection Repères, un petit ouvrage à quatre mains - Jean-Yves Authier, Yves Grafmeyer, Isabelle Mallon et Marie Vogel - intitulé Sociologie de Lyon, qui revisite les stéréotypes de « l'âme lyonnaise » et interroge sur le rapport à la réalité d'aujourd'hui de cette identité construite au XIXe siècle. Ville réputée complexe, bourgeoise et populaire, catholique et franc-maçonne, industrieuse et épicurienne, fermée et ouverte à la fois, Lyon a changé d'images. Elle s'est déplacée à gauche, elle échange aujourd'hui avec d'autres métropoles européennes, elle a développé son université, elle s'est rénovée et agrandie, et sait organiser de grands évènements : Biennale de la Danse (1984), Plan Lumière (1989), Biennale d'art contemporain (1991), Nuits Sonores (2002), Fête du Cinéma (2009) et Fête des Fleuves à venir en 2011...

Théatre-de-Guignol-5e-Compagnie-des-Zonzons-©-Tim-Douet_0198
Théatre-de-Guignol-5e-Compagnie-des-Zonzons-©-Tim-Douet_0198

Sommaire

1. Quelques définitions
- Lyonnaiseries
- Lyonnitude
- Calixte, entre lyonnaiserie et lyonnitude

2. Une image construite au XIXe siècle
- Cauchemar
- Monts et merveilles
- Transition

3. Les mutations (tranquilles) du XXe siècle
- Comment les lyonnais se sont réappropriés le 8 Décembre
- Comment les lyonnais ont découvert de nouvelles recettes
- Comment les lyonnais ont perdu le sens du mystère

4. De nouveaux horizons
- Un autre territoire
- D’autres images
- D’autres lyonnais

 

1. Quelques définitions 

  • Lyonnaiseries

Déjà, le terme fait polémique. Pierre-Yves Saunier, chercheur au CNRS (UMR Environnement Ville Société, Lyon), situe dans l’entre-deux guerres la période faste de la diffusion de la « lyonnaiserie », terme adopté par les érudits locaux de la fin du XIXe siècle, « consistant en textes consacrés à la chronique, la description ou l’histoire lyonnaise. ».

Tout est à jeter dans cette « lyonnaiserie » dans selon Bruno Benoit, professeur à Sciences Po Lyon, dont le sens actuel est dévoyé : « Pour ceux qui dénigrent la chose locale en mêlant dans leurs critiques les associations et les personnages qui cultivent l’esprit lyonnais… le terme « lyonnaiseries » est peu flatteur car il ne semble concerner que des choses dans valeur scientifique et n’intéressant qu’une bande de vieux érudits qui ne voient pas plus loin que Bellecour ! Sont classés dans cette rubrique aussi bien … les différentes sociétés savantes locales… que Guignol, les traboules, le parler lyonnais, la boule lyonnaise ou la cuisine des bouchons. Echappe à ce qualificatif tout ce qui se rapporte aux canuts qui, eux, sont des objets d’étude sérieux… »

Régis Neyret, journaliste, préfère s’en amuser et range au chapitre des lyonnaiseries tous les clichés sur Lyon et les lyonnais : les bouchons, le brouillard, les bugnes, Lyon capitale de ci ou de ça, les gones, la radinerie, et quelques expressions du cru telles que « ce n’est pas mauvais » (qui veut dire « c’est excellent ») et un « y » qui remplace le pronom dans « J’y aime ».

  • Lyonnitude
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On ne rit pas de la « lyonnitude ». « Elle correspond au sentiment d’appartenance que peuvent ressentir les lyonnais pour leur ville qu’ils en soient natifs ou non… La lyonnitude est le résultat d’un processus de construction, de représentation et d’identification, où se mêlent les éléments qui ont fait Lyon et ceux qui font que l’on se sent de Lyon… un faisceau de données où se mêlent trajectoires humaines, événements fondateurs et espaces mémoriels. »… nous dit Bruno Benoit, qui lui a consacré un « dictionnaire » en douze chapitres.

Les quatre éléments de la lyonnitude sont : les fleuves, collines et confluence, ombre et lumière, feu
Les dates fondatrices.. : Lugdunum (-43), le martyrologe (177), Lyon n’est plus (1793), Marie (1852)
Les fondements… : travail et libéralisme, la religion, le modérantisme, le fédéralisme
Les symboles… : les traboules, Guignol, la soie et les canuts, la table
Les grands mythes… : Lyon capitale, une ville révolutionnaire, secrets et mystères, froideur…

Régis Neyret a inséré dans son « Lugdunoscope » un de ses articles publiés dans le journal Le Monde du 23 septembre 1979. La « lyonnitude » n’est pas « un tunnel, deux fleuves que l’on confond, une étape gastronomique » et le Lyonnais « un bourgeois riche et triste qui travaille dans la soierie, joue aux boules dans le brouillard, va voir Guignol le dimanche (à moins qu’il n’assiste à une messe noire), tandis que sa femme mijote de la bonne cuisine dans d’obscures alcôves… ». Elle est : “dédaigner l’apparence, bousculer l’ordre établi, adorer la liberté et savoir s’adapter“.

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Du côté des politiques, la lyonnitude a une signification bien particulière, décryptée par Bruno Benoit dans son ouvrage consacré à l’identité politique de Lyon : « De la Révolution française à 1905, date de l’arrivée d’Edouard Herriot à la mairie de Lyon, les élites lyonnaises soutenues dans leur œuvre par la majorité de la population, ont doté Lyon d’une identité politique fondée sur le modérantisme, le fédéralisme et l’anti-parisianisme. Pour ce faire, elles se sont appuyées sur un événement fondateur de mémoire, le martyrologe de 1793 (« Lyon n’est plus »). A partir de 1830, le retour régulier …de la guerre civile, la répression et la ruine économique… conforte les élites dans leur volonté de bâtir, autour d’un pouvoir municipal fort, une identité politique consensuelle. ». Et il ajoute : « Les élites lyonnaises ont cherché à faire vivre un « peuple » lyonnais… par la construction d’une mémoire qui se veut collective et par là-même accoucheuse d’identité, en s’appuyant sur la religion catholique, enfin en établissant entre Rhône et Saône le capitalisme... »

  • Calixte entre lyonnaiseries et lyonnitude

Calixte ou l’introduction à la vie lyonnaise est un best-seller de Jean Dufourt paru en 1926. L’auteur raconte l’arrivée à Lyon d’un parisien, Philippe, qui finira par trouver le bonheur au sein de la bonne société lyonnaise, grâce à Calixte, lyonnais professionnel voire expert en lyonnitude. « A Lyon, hélas ! votre sort est certain : vous y dépérirez irrémissiblement de nostalgie. C’est une ville de brouillard et de marchands », lui avait-on dit. Le narrateur s’étonne : « Quelle est donc cette ville, me disais-je, où la respectabilité est si ombrageuse, où l’on mange dans de louches estaminets une nourriture divine… où les gens, avec des airs de conspirateurs, ont des pudeurs de séminaristes ? »… et d’égrener les traits du caractère lyonnais : la défiance, le sens moral, l’amour de la considération, le souci de l’exemple et l’horreur du scandale, et surtout l’art du gémissement ou la culture du mécontentement comme fleur de distinction. Quelque chose de l’ironie de Candide et de Gulliver, en plus léger, car, comme le dit Philippe, dans le train avec Calixte vers Paris, citant Clément Marot :

« Adieu, Lyon qui ne mords point,

Lyon, plus doux que cent pucelles,

Sinon quand l’ennemi te poinct »

Vendeur de bugnes pendant le Carnaval (en haut à gauche)
“A la vogue du pont la Fayette”, Le Progrès Illustré, 30 octobre 1892

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Références et un peu plus
-Pierre-Yves Saunier. L’esprit lyonnais XIXe-XXe siècle : genèse d’une représentation sociale
-Bruno Benoit. Dictionnaire historique de Lyon
-Brunot Benoit. La lyonnitude : dictionnaire historique et critique
-Bruno Benoit. L’identité politique de Lyon : entre violences collectives et mémoires des élites (1786-1905)
-Régis Neyret. Lugdunoscope, le tour de Lyon en 80 chapitres
– Jean Dufourt. Calixte ou l’introduction à la vie lyonnaise
Voyage au pays des merveilles : bugnes, beignets, oreillettes et guenilles
Joutes nautiques en Rhône-Alpes
–  A la Pentecôte, un tournoi qui ne perd pas la boule… lyonnaise !

Le défilé des jouteurs, place Bellecour, début XXe – Fonds Sylvestre BML

2. Une image construite au XIXe siècle

  • Cauchemar

Pierre-Yves Saunier s’est intéressé à la naissance du concept « de lyonnaiseté » qu’il situe au XIXe siècle. Un discours construit sur « l’esprit » ou « l’âme lyonnaise » émerge aux alentours de 1830 et se solidifie dans les années 1860.

De 1835 à 1840, la Revue du Lyonnais créée sous l’impulsion de l’imprimeur Léon Boitel (1806-1855), « dénonce les attitudes mercantiles des manifestations artistiques lyonnaises » et s’en prend aux artistes, dont la pauvreté intellectuelle n’est que le reflet de celle de leur ville. Un article intitulé « Artistes lyonnais contemporains : Guérin » dresse le portrait d’une ville sinistre où « les figures sont blêmes, les idées uniformes, bornées, les préoccupations exclusives. »

  • Monts et merveille

Dans les années 1840-1850, afin de combattre la concurrence parisienne dans le domaine de la littérature, son terrain de chasse, on peut lire dans La Revue « que Lyon est une ville dans laquelle le négoce, les arts et les lettres vont la main dans la main »… Les défauts des lyonnais participent désormais de la définition du portrait au même titre que les vertus : « l’esprit de commerce » soutenu par « l’esprit pratique » et « le réalisme », auquel s’ajoutent l’amour du travail, l’attachement aux traditions, la modération, le goût de l’ordre mais aussi diverses qualités sociétales telles que le penchant pour la liberté, la générosité et l’esprit d’association, la piété, l’amour des arts… Chaque éloge funèbre est l’occasion de rappeler les grandes qualités du défunt – Matthieu de Lafont – qui sont celles de l’ensemble de la tribu lyonnaise. Tout est prétexte à célébrer l’âme lyonnaise, tout fait sens : Rentrées des Facultés, rapports et discours du Recteur de l’Académie et des Doyens des Facultés des Sciences et des Lettres.

En introduction de son Tableau de Lyon, Joseph Bard n’hésite pas à affirmer que Lyon est certainement « la ville de France la plus grave dans ses moeurs, celle où il se fait le plus de choses sérieuses dans tous les genres, celle où, après Paris, les oeuvres d’intelligence, les monuments, l’histoire, la poésie même occupent le plus de place. ».

Edouard Aynard, auteur de Lyon en 1889, cité dans le Le Nouveau Lyon du 12 novembre 1894 met en avant la générosité de ce « caractère lyonnais » pas banal, mais déjà menacé : « Lyon est encore la cité française qui résiste le plus courageusement à l’irruption du mauvais goût, forme autour d’elle, avec le plus de zèle et d’intelligence, un cordon sanitaire contre les innovations dangereuses… »

Et ces vertus lyonnaises s’expriment dans les grandes heures de Lyon, qu’il s’agisse de gloire (période romaine, Renaissance) ou de calamités (guerres, pillages, épidémies, inondations…) où « par une sorte de réversibilité des souffrances, Lyon gagne en grandeur et en constance ce qu’elle a pu perdre de puissance et de richesse dans ces aléas de son histoire ». Les revues savantes « contribuent à diffuser les études locales qui enracinent Lyon dans un passé spécifique de plus en plus parcouru. Leurs auteurs fournissent les matériaux qu’eux-mêmes ou d’autres utilisent pour imposer le dessin d’un destin particulier fait de coups du sort, de gloire et par-dessus tout d’indépendance… Certains éléments historiques sont plus particulièrement travaillés pour prouver un élément du caractère local ».

Et Pierre-Yves Saunier d’ajouter : « La littérature de lyonnaiseries, comme l’on dit aujourd’hui pour désigner les ouvrages voués au culte de la localité, devient au XIXe siècle le modèle de l’histoire lyonnaise. ».

  • Transition
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Jeu de billes
© Fonds Sylvestre – BML

Fin XIXe surgit dans le journal Le Salut Public un intéressant débat sur la destination de la place Bellecour, relaté dans l’ouvrage collectif Lyon 1850-1914 : l’âme d’une ville. Le journal dénonce toutes les occupations abusives de la place (les transports en commun, revue militaire, parades, utilisations festives, concours et autres fêtes populaires) et les riverains du quartier d’Aynay revendiquent un usage plus familial de la place. Celle-ci est par ailleurs « partagée en compartiments où se groupent sans se côtoyer, et selon les moments de la journée, les mauvais garçons, les filles entretenues, les ouvriers et les membres de la noblesse ou de la haute bourgeoisie locale. ». Les pétitions n’impressionnent pas le conseil municipal et E. Herriot, interpellé à l’été 1910, minimise la « nuisance » de ces liesses populaires qui ont le mérite d’attirer les étrangers.

En 1909, lors d’une conférence sur Guignol, relatée par Pierre-Yves Saunier, Justin Godart explique que « notre âme lyonnaise, elle, s’est logée dans une poupée de bois. Pourquoi Lyon fut le lieu où s’accomplit ce miracle, l’apparition de Guignol ? Pour le comprendre, il faut connaître Lyon. ». Guignol devient un emblème territorial qui s’exprime à travers Le Journal de Guignol, « bon lyonnais », canut têtu et railleur, mais ni révolutionnaire ni communard, défenseur des traditions et apôtre de la liberté. Symbole « naturel », Guignol devient symbole officiel avec le musée de la marionnette, un des fleurons du Musée d’histoire de Lyon, créé durant l’entre-deux-guerres.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans la première moitié du XIXe siècle, la Croix-Rousse était un quartier dangereux, insurrectionnel, vision culminant en 1848. Le canut était considéré comme borné, lâche, arriéré…Jean-Baptiste Monfalcon (médecin hospitalier à l’Hôtel-Dieu de Lyon puis à la Charité, bibliothécaire de la ville de Lyon, rédacteur en chef du Courrier de Lyon, 1832-1834), parle dans la rubrique « actualités » de l’Annuaire du département d’un quartier où le « crétinisme politique et social » est enraciné, les ouvriers des communistes, des « gens sans aveu » ; les temps changent et à la fin du XIXe jusqu’à la veille de la première guerre, on loue les braves tisseurs et leur foi inébranlable dans la République, dans un quartier qui évoque « tout un passé de luttes au service de l’idéal républicain » ; ce n’est plus un faubourg émeutier mais un village harmonieux, les canuts des ouvriers vertueux… le quartier est proposé aux touristes et devient conservatoire folklorique.

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Canut de la Croix-Rousse
Progrès illustré, 22/02/1891

Pierre-Yves Saunier constate que les traits qui se sont mis en place au XIXe siècle subsistent encore aujourd’hui. « Le changement semble prendre le chemin de réinvestissements qui ne sont pas déclins ou disparition, mais recompositions et inventions… » tandis que l’image des villes est devenu un enjeu économique et la qualité de vie lyonnaise contribue à l’attractivité de la ville pour les investisseurs étrangers.

 

 

 

Références et un peu plus
-Pierre-Yves Saunier. L’esprit lyonnais XIXe-XXe siècle : genèse d’une représentation sociale
-Philippe Dujardin et Pierre-Yves Saunier. Lyon 1850-1914, l’âme d’une ville, textes rassemblés par Philippe Dujardin et Pierre-Yves Saunier
Etre lyonnais : actes du colloque tenu à Lyon les 14 et 15 novembre 2003 . Le thème du colloque, en hommage à d’Aimé Vingtrinier (1812-1903, journaliste, imprimeur, éditeur de la Revue du Lyonnais de 1853 à 1880, historien, poète, romancier, biographe) portait sur la thématique « identité et régionalité ». Un peu comme la Lyonnitude de Bruno Benoit, l’ouvrage balaye l’histoire du Lyon d’Aimé Vingtrinier « pionnier de la régionalité », sous l’angle de l’imprimerie, l’urbanisme, la religion, l’enseignement, le patronat, la colonisation, la musique…
-« Lyon et son rôle social » d’Ardoint-Dumazet, dans le Progrès illustré du 3 mars 1895 et du 10 mars 1895
-« Lyon tel qu’il est », un article d’Ardoint-Dumazet dans le Bulletin officiel de l’Exposition de Lyon, jeudi 10 mai 1894, pages 5, 6 et 7
Bon anniversaire Monsieur Guignol
-« Voilà trois motifs, religieux, politique et technique, qui attestent de la difficulté de Lyon à assumer son passé ». Interview de Philippe Dujardin, 02/02/2010
-« A compter du 19e siècle, et à Lyon spécialement, il convient d’apprécier le jeu des forces en présence en les rapportant au triangle que forment la question religieuse, la question sociale et la question politique ». Interview de Philippe Dujardin, 15/03/2010
– Les canuts consacrés objet d’étude universitaire : L’Echo de la Fabrique
Lyon, capitale de l’étrange
La Foire de Lyon, moteur de l’économie en région

 

3. Les mutations (tranquilles) du XXe siècle 

« Depuis la fin des années 1980, le vernis a commencé à craquer. Lyon la catholique, industrieuse et repliée sur elle-même, n’est plus. Parce que ceux qui la font, ceux qui la vivent, ne sont tout simplement plus les mêmes. Aujourd’hui, un Lyonnais sur deux n’est pas né dans la ville et Lyon daigne enfin se regarder, s’embellir et se montrer. Architectes et urbanistes repensent et redessinent le territoire. Les lieux alternatifs grignotent et malmènent les institutions centenaires. L’art descend dans la rue. Les cuisiniers oublient les quenelles et la bienséance… »

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Cette citation est extraite du livre d’Alice Géraud, journaliste, publié en 2006, intitulé Lyon : révolutions tranquilles, une rencontre avec vingt porteurs de projets qui ouvrent des portes, construisent, déplacent, inventent, influent.. En voici deux plus particulièrement emblématiques, Philippe Dujardin, politologue, chercheur au CNRS, revisitant le sens de la Fête des Lumières et Nicolas Le Bec, chef cuisinier, la gastronomie.

 

Comment les lyonnais se sont réappropriés le 8 Décembre 

Philippe Dujardin analyse les mutations de cette fête qui perpétue un rituel religieux plus que centenaire, tandis qu’apparaît un nouveau rituel profane qu’il appelle « rituel d’agglomération », car la fête est désormais célébrée dans les communes du Grand Lyon et bien au-delà. La fête dans ses premières manifestations opposait les fidèles du culte marial et les laïques… qui se partagent le terrain depuis quelque temps, ceci depuis que les commerçants s’en sont mêlé en organisant une quinzaine commerciale d’un nouveau genre.

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Aujourd’hui, le 8 Décembre ou Fête des Lumières est « une scénographie urbaine », c’est-à-dire un ensemble de manifestations artistiques et d’expérimentations autour de la lumière. Philippe Dujardin situe la rupture en 1989, sous Michel Noir, année du premier Plan Lumière, où les politiques prennent en main la gestion de l’événement et en font un moment clé de la vie artistique lyonnaise. Idem pour la Biennale de la Danse, devenue aussi un rituel d’agglomération, quand entrent dans la ville des danseurs des communes du Grand Lyon… mais aussi de la Région urbaine de Lyon.

 

Comment les lyonnais ont découvert de nouvelles recettes

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Les Salins
BML

Nicolas Le Bec installé depuis quelques mois à la Confluence a revisité la gastronomie lyonnaise. Premier sacrilège, il n’a pas été oint à son arrivée par le pape des fourneaux, Paul Bocuse, auquel d’ailleurs il n’est pas allé présenter ses civilités. Breton d’origine, il fait parti des nouveaux arrivés à Lyon en 2000, qui s’est attaché à « gagner la clientèle locale » avant l’internationale, dans cette ville qu’il qualifie de laborieuse, dont les générations d’entreprises sont en plein renouvellement. Officiant à la cour des Loges en 2000, il est remercié en 2003, développe son entreprise dans le quartier Grolée puis s’approprie, en pleine friche industrielle, les Salins, devenus « des boîtes qui respirent » grâce aux architectes Jakob et MacFarlane. Ceux-ci conservent la partie centrale de l’ancien bâtiment (4700 m²), aux trois arches emblématiques et proposent la réalisation accolée d’un bâtiment cubique, « structure lisible qui puise sa modernité dans la réécriture des concepts d’atrium et de patio ouverts sur la Saône. ». Le Bec y invente une « rue » avec ses boutiques. Le futur pavillon (n°7), au Sud du Port, développe le même concept avec encore plus de force s’agissant d’une construction neuve de 6000 m². Fabrice Hiber et Bertrand Lavier ont été sélectionnés pour réaliser un travail sérigraphique sur les façades, en rapport avec la Saône voisine. La synergie du lieu, du contenu des assiettes et des tarifs pratiqués font de Nicolas Le Bec, l’entrepreneur de l’année 2010.

 

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Fernand et Mado Point entourés des cuistots de la brigade du Pyramide, dont Paul Bocuse à droite de son Mentor
© Paul Bocuse

 

 

 

 

 

JPEG - 760.6 koRassemblements de Toques lyonnaises sur la place Antonin Poncet
© Paul Bocuse

Comment les lyonnais ont perdu le sens du mystère

Selon Régis Neyret dans son Lugdunoscope « Lyon n’est plus la capitale de l’étrange… seul signe de la persistance de l’étrange à Lyon : la parution régulière de livres nouveaux sur la question – qui ressassent tous des histoires fort anciennes ». L’étrange, ou plus généralement le mystère, relève désormais de la curiosité historique.

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Lyon l’humaniste

Et la Franc-Maçonnerie ? « Lyon et la franc-maçonnerie entretiennent des liens privilégiés… Dans une ville marquée par les réseaux d’affaires où les liens d’homme à homme sont primordiaux, par une proximité sociale facilitée par l’étroitesse du bâti foncier, par le syncrétisme socio-professionnel de la Fabrique et enfin par une ardente pratique de la religion, la maçonnerie répond, pour un certain nombre d’individus, à des attentes professionnelles et spirituelles. » écrit Brunot Benoit dans Lyon l’humaniste. En tant que secte, la Franc-Maçonnerie ne fait plus recette dans la presse : à lire pour s’en convaincre un article de Jean-Michel Quillardet dans Lyon capitale du 01/09/2009 , Le secret n’existe pas en franc-maçonnerie ou encore Pierre Lambicchi, nouveau Grand Maître du Grand Orient et plus récemment dans Lyon Mag du 12 janvier 2010 Franc-Maçonnerie : la Grande Loge de France en quinze questions.

 

Références et un peu plus
-Alice Géraud. Lyon révolutions tranquilles . Lire aussi l’interview de Laurent Fachard, éclairagiste et l’un des artisans de la Fête des Lumières, « pensée comme un festival expérimental, dont il aime le caractère monumental, et cette idée de repeindre en lumière les façades, on le faisait au Moyen Age lorsqu’un prince visitait la ville ».
-Gérard Corneloup. Lyon secret et insolite : les trésors cachés d’une mystérieuse . A ne pas prendre au premier degré, car l’ouvrage est un guide touristique riche en anecdotes historiques et non – comme son titre pourrait le laisser croire – un recueil de révélations sulfureuses.
Lyon l’humaniste, depuis toujours ville de foi et de révoltes . « A l’initiative de la Communauté urbaine de Lyon, des historiens et des penseurs ont été sollicités pour interroger l’histoire de Lyon sous l’angle de l’humanisme. Il s’agissait de dessiner l’identité culturelle de la ville, fournissant aujourd’hui à ses habitants de puissants repères d’identification. Ces valeurs se révèlent certes dans des œuvres et dans de grandes figures ; mais elles s’incarnent surtout dans une forme d’esprit alliant foi et raison, austérité et hédonisme, modérantisme et révolte… »
Lyon fête les lumières
– Site de la Fête des Lumières, déjà les appels à projets 2010 !
– Site de la Biennale de la danse
Lyon capitale de la gastronomie

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Lyon secret et insolite
GIF - 104.1 koEtre lyonnais

 

4. De nouveaux horizons

Un autre territoire

La communauté urbaine de Lyon créée en 1967 et qui compte aujoud’hui 57 communes est une entité administrative qui a récupéré une partie des compétences des communes, correspondant à 50% de leurs anciens budgets. Ses compétences sont listées sur le site du Grand Lyon. En 2008, le budget de la ville était de 662 millions, celui du Grand Lyon de 1,6 milliards et celui de la région seulement de 2,3 milliards. Les chantiers ou projets vivent désormais à l’échelle de l’agglomération.

Selon Marc Bonneville, dans son ouvrage intitulé Lyon : métropole régionale ou euro-cité, la gouvernance de la communauté urbaine connut plusieurs stades. « Louis Pradel (1957-1976) privilégia un profil bas de l’intercommunalité en jouant surtout sur l’utilisation des compétences techniques de la nouvelle structure, sans négliger une certaine forme de clientélisme avec les petites communes. D’une certaine façon, l’ère Pradel fut plutôt caractérisée par la défense des intérêts de l’agglomération et un repliement sur l’horizon des réalisations locales. ». Sous le mandat de Francisque Collomb (1976-1989) « le pilotage de l’agglomération apparaît plutôt alors comme une gestion politique molle continuant sur la lancée pradélienne, laissant une marge de manœuvre aux communes, surtout dirigées par des personnalités importantes…Michel Noir (1989-1995) renoue avec les grands projets pour l’agglomération… en affichant de grandes ambitions nationales et internationales pour la ville. » … avec la volonté « d’affirmer plus fortement la dimension supra-communale de la communauté urbaine, pour laquelle il a imposé de façon très significative la dénomination de Grand Lyon. ». « Raymond Barre (1995-2001)… instaure un nouveau modèle de gouvernement de l’agglomération associant la quasi-totalité des forces politiques dans une démarche consensuelle, sans exclure un affichage des priorités qu’imposent les contraintes financières. ». Il crée Millénaire 3, mission prospective du Grand Lyon, dont le rôle était et est encore de donner du sens, de développer peu à peu une culture commune d’agglomération.

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Sociologie de Lyon

Selon les auteurs de Sociologie de Lyon, la ville est aujourd’hui au centre et à la tête d’une communauté urbaine elle-même à la croisée des ressources politiques, financières et techniques importantes. Car si Lyon a perdu le contrôle de certaines prérogatives, elle les a retrouvées à l’échelle du Grand Lyon puisque le maire de Lyon en détient la présidence depuis sa création en 1969.

Un nouveau territoire a pris également du sens économique : la région urbaine de Lyon, RUL, né en 1989, qui compte 296 communes, et représentait 1/3 des emplois rhônalpins en 2007.

 

D’autres images

La lyonnitude se fait plus discrète, l’opposition à la capitale prend la forme d’un contournement par l’ouverture sur l’internationalisation, l’Europe, les enjeux métropolitains, les réseaux de villes non capitales…

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Fourviere, 2007
Copyright Lyon-photos.com

Le Grand Lyon s’est engagé depuis février 2005 dans l’animation de la démarche prospective Lyon 2020 pour construire la métropole de demain. La réflexion stratégique porte sur les enjeux de visibilité et de différenciation dans un contexte de concurrence internationale. « La métropole lyonnaise est diverse. Pour rassembler ses populations et rayonner à l’international, il lui faut explorer ses fondements symboliques, renouveler ses images, et proposer de nouvelles représentations, bref mettre en avant nos emblèmes. Pour repérer ces emblèmes, Lyon 2020 a fait le choix d’explorer 9 thèmes ou emblèmes particulièrement ancrés et structurants pour l’avenir de notre métropole » :
– les fleuves, lieux de vie et d’activité économiques, ludiques, culturelles
– la gastronomie, avec la montée en puissance d’évènements internationaux comme le SIRHA
– la lumière, déjà évoquée
– la mode : la ville accueille aujourd’hui des évènements internationaux et dispose d’un savoir-faire reconnu en raison de son passé textile
– la santé : la métropole est entrée dans une puissante dynamique de projets : nouveaux hôpitaux, P4, OMS, génopole, cancéropôle, Biovision, Bioparc, Eurobiocluster, etc.
– la solidarité : ingénierie sociale, solidarité internationale, économie sociale et solidaire
– le cinéma et les nouvelles images, activités très présentes dans l’agglomération
– la danse et les arts vivants
– le sport : l’athlétisme, cyclisme, activités nautiques, et bien entendu le football.

Le plan de mandat 2008-2014 privilégie le développement économique local et l’ouverture au monde, la dimension humaine et – ce qui est relativement récent – l’environnement.

 

D’autres lyonnais

Les auteurs de Sociologie de Lyon dressent le portrait des nouveaux lyonnais. Selon les stéréotypes, la ville était composée de bourgeois et d’ouvriers, mais la réalité d’aujourd’hui montre une population très diversifiée et pas seulement des bobos chers aux magazines branchés. Lyon est la 3e ville française la plus peuplée avec 472 000 habitants, 1,2 millions avec le Grand Lyon, 1,7 millions avec la RUL, soit la 2e agglomération française… et la population a beaucoup augmentée depuis 1999, plus que Paris, Marseille et Lille.
Quelques tendances :
– une forte densification du centre (Lyon et Villeurbanne), car 49% des habitants du Grand Lyon habitent dans l’une ou l’autre commune
– un recul démographique des communes périphériques stoppé et, depuis 2000, un solde naturel positif
– un renouvellement de la population, car en 2006, 30% des lyonnais recensés étaient arrivés depuis moins de 5 ans
– une population jeune, car les 2/3 des lyonnais ont moins de 45 ans, fortement diplomée, 17% d’étudiants, 20% de retraités
– une ville de cadres supérieurs, de professions intermédiaires et d’employés, les trois catégories à peu près équivalentes et représentant 80% des actifs, avec une augmentation progressive des cadres et professions intellectuelles supérieures
– des inégalités sociospatiales qui se sont accrues avec une « gentrification » de tous les quartiers (augmentation des professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires aux dépends des employés et ouvriers).

La vie urbaine se transforme : les lyonnais se sont mis à sortir, à faire la fête. Arts Magazine de mars 2009 situe Lyon en tête des villes pour l’art après Paris avec ses 10 grands évènements culturels, la mieux dotée en musées et édifices classés, et ses 427 hectares de périmètre classé par l’Unesco, soit le plus important d’Europe : la culture est devenue un enjeu majeur de l’internationalisation… et l’international un enjeu électoral majeur : Lyon gagne des places dans les classements internationaux, accueille de plus en plus de visiteurs… mais – ne retombons pas dans la lugdunolâtrie – demeure une ville sous-dimensionnée en taille, ou (par rapport à Paris) dans des domaines comme l’édition scientifique, les sièges sociaux des grandes entreprises, les fonctions financières.

Références et un peu plus
– Marc Bonneville. Lyon : métropole régionale ou euro-cité ?
Sociologie de Lyon de Jean-Yves Authier, Yves Grafmeyer, Isabelle Mallon, Marie Vogel
– « Je pense que Millénaire 3 a contribué à faire agglomération, à prendre en compte véritablement l’ensemble de l’agglomération ». Interview de Patrick Lusson
L’identité lyonnaise entre performance et renouvellement
Mémoires et identité de l’agglomération lyonnaise
–  Lyon, 1995-2001 : une chronique des années Barre
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