Le roman photo : une page de nostalgie

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - Modifié le 07/07/2017 par docreg

Depuis 70 ans sommeillaient dans les fonds de la bibliothèque municipale de Lyon, des documents qui, s’ils sont aujourd’hui considérés comme désuets, démodés et inintéressants, n’en constituent pas moins une collection unique : le roman-photo.

Abnégation
Abnégation Caroline Film n°35. 1963

LE FONDS DE LA BIBLIOTHEQUE

La bibliothèque municipale de Lyon reçoit depuis 1943 le dépôt légal imprimeur de la région Rhône- Alpes.

Ce dépôt fut instauré en France en 1537 par François 1er, dans un intérêt à la fois politique et patrimonial. Aujourd’hui, le Dépôt légal imprimeur (le document doit être mprimé dans l’un des 8 départements de l’ex Région Rhône-Alpes) a pour mission de collecter une trace de tout document imprimé sur le territoire, puis de la conserver, de la mettre à disposition du public et la valoriser.  La masse est telle qu’une partie du fonds le plus ancien (entre 1943 et 1980) n’avait pas été traitée jusqu’à ce jour. A l’occasion des travaux préparatoires à la rénovation du silo de la Part-Dieu, un important fonds de romans-photos a ainsi pu être mis au jour. Tous les documents, qui sont des périodiques, ont été catalogués et peuvent être consultés (consultation différée, de 24 à 48 heures).

Cette littérature oubliée voire inconnue pour les plus jeunes n’a pourtant jamais disparu. Mais de quoi s’agit-il ? Tout comme son nom l’indique, il s’agit d’un texte narratif accompagné d’illustrations photographiques. Cela n’est toutefois pas si simple. Né en 1947 en Italie, le roman-photo connaît un véritable succès grâce à sa diffusion dans la presse féminine.

L’ORIGINE  DU ROMAN-PHOTO

Genre hybride sur divers domaines et notamment sur le plan graphique, il s’inspire tout d’abord du ciné-roman (l’adaptation d’un scénario de film, qui peut être publié sous forme de feuilleton). Ce dernier a permis de diffuser les œuvres cinématographiques dans les campagnes. En effet, l’époque est à la gloire du cinéma italien et notamment du néo-réalisme. Comment ne pas penser à travers les planches du roman-photo aux films de Fellini, Rossellini et bien d’autres grands réalisateurs italiens ? Des photographes, comme Damiani, décident de s’émanciper du cinéma et de réaliser leurs propres scenarii conçus uniquement pour la photo. C’est ainsi que naissent les premiers romans-photos, Tormento et Il Mio Sogno en 1947. Ils font leur apparition en France la même année, sous le titre de Grand Hôtel et Nous deux.

ROMAN-PHOTO ET BANDE DESSINÉE

La mystérieuse inconnue, Collection frissons

L’apport de la bande dessinée et du roman graphique est aussi  à prendre en compte. En effet, les phylactères (ou plus communément appelés les bulles dans les BD) sont représentés pour laisser entendre les paroles des personnages. Ils ont également en commun l’agencement du texte et de l’image. Il est rare mais pas impossible de trouver des romans-photos combinant l’illustration et la photographie permettant de jouer entre le réel et le fantasme. Car oui, c’est bien par ces aspects que le roman-photo séduit et notamment dans les années 1960, 1970 sous l’influence des amours libres. Paradoxalement, le photo-roman présente la femme sous les archétypes féminins, mère au foyer ou dangereuse pécheresse, tandis que l’homme incarne une autorité morale.

LE SCHEMA NARRATIF

La trame narrative du roman-photo est traditionnelle d’un conte de fées. Qu’il s’agisse d’un roman-photo policier ou romanesque, le thème central est fondé sur la rencontre amoureuse faite pour séduire l’électorat féminin et il est aisé de le comparer aux romans populaires du XIXe siècle tel Orgueils et Préjugés où le bel amant n’est plus un châtelain mais un riche médecin et avocat, influencé par une société de consommation en mutation.

Le testament, Tentation film n°25 mensuel 2/1960

 UN GENRE CONTROVERSE

C’est notamment cette société qui est ciblée par les éditeurs, n’en déplaise « aux grands lecteurs ». En effet, le roman-photo est destiné à séduire le lectorat populaire. Facile à lire, court, attrayant pour diverses tranches d’âge, il devient la forme littéraire la plus imprimée en France avec 20 millions d’exemplaires par mois pour quarante titres selon Saint-Michel, dans les années 1960, pour un lectorat de 60 millions de français. Il devient un outil d’analyse de la culture de masse mais ce genre littéraire ne fait pas l’unanimité.

Tout d’abord sur la reconnaissance ou non en tant que forme littéraire, il s’agit d’un objet de distraction qui devient une forme de paralittérature. C’est-à-dire extérieure à de la littérature mais toujours en contact avec celle-ci, au même titre que la bande-dessinée ou des romans noirs. Mais c’est également son côté misogyne dans un contexte social où la flamme féministe s’éveille qui crée une rupture entre la presse féminine telle Marie-Claire ou Elle et « la presse de Cœur », mais aussi avec d’autres journaux comme Hara-kiri qui tournent de manière sarcastique cette presse.

Cette presse a disparu au profit de la télévision qui devient la nouvelle distraction des (femmes aux) foyers, diverties par des formes romanesques similaires avec Amour gloire et beauté ou encore Les feux de l’amour. Néanmoins le roman-photo n’est pas mort pour autant mais prend des aspects différents. La photo a pris le pas sur le texte et fait place à une presse people ou érotique. En littérature, il en va de même avec ce que l’on appelle le photo roman, la photo devient discours, parfois dialogue avec le texte dans Suzanne et Louise de Guibert et la photo devient même illustration comme c’est le cas dans Nadja d’André Breton.

Le roman-photo n’a donc cessé d’être en évolution stylistique face à de nouvelles demandes sociales pour devenir de multiples formes littéraires actuelles.

Ainsi donc, s’il est évident qu’aujourd’hui, le roman-photo a pratiquement disparu de nos kiosques (vous pouvez encore vous procurer Nous Deux ! ), il n’en demeure pas moins qu’il a laissé son empreinte dans l’histoire littéraire et artistique. Il n’a donc pas entièrement disparu et continue de « vivre » à travers des formes plus modernes. Ainsi, tels les beaux héros idéalisés qu’il a mis en scène, on peut dire que le roman-photo « vécut heureux et eut beaucoup d’enfants ».

 

Le testament, Tentation film n°25 mensuel 2/1960

pour aller plus loin :

 

Hempévé Le noeud de sang 

Jan Beatens,  Du Roman-Photo

Serge Saint-Michel, Le roman-photo

Jean-Claude Chirollet, Esthétique du photoroman

 

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