Le Musée Tony Garnier en péril ?
Publié le 25/06/2018 à 10:30 - 11 min - Modifié le 27/06/2018 par Clairette
Le Musée urbain Tony Garnier installé depuis la fin des années 1980 dans le quartier des Etats-Unis (Lyon 8e) connait des difficultés financières ces dernières années. Il a rejoint la liste des lieux culturels en péril sur Lyon avec le Musée des Tissus, le Musée africain ou encore le 6e continent. La sonnette d’alarme a été tirée par les bénévoles du conseil d’administration.
Aujourd’hui, à la veille de la célébration des 150 ans de la naissance de Tony Garnier (1869-1948), les différents acteurs locaux se mobilisent pour apporter leur contribution financière et continuer à faire vivre ce musée urbain à ciel ouvert.
Un musée de proximité reconnu patrimoine du XXe
Création d’un musée à ciel ouvert
De 1920 à 1934, l’architecte-urbaniste Tony Garnier réalise pour l’élite de la classe ouvrière un ensemble d’immeubles de 1500 logements bon marché dans le nouveau quartier des Etats-Unis sous la direction de l’Office Public d’Habitations à Bon Marché. Par la suite, la Cité-jardin Tony Garnier va peiner à trouver les moyens de sa réhabilitation. Elle manque d’arguments pour faire céder les bailleurs de fond. Le quartier va souffrir de son image de coupe-gorge, gangrené par des bandes de blousons noirs dans les années 70. Toutefois, le taux de délinquance dans la cité, relativement bas, ne justifie pas d’aide prioritaire.
Carte postale Lyon : Cité des Etats-Unis [19..], ed. J. Cellard
L’argument, c’est le comité des locataires qui va l’inventer avec le concept du Musée Urbain, une gigantesque galerie d’art où les œuvres s’afficheront sur les murs des immeubles de leur cité, un musée à ciel ouvert, destiné à l’homme de la rue plutôt qu’au critique. Soutenu par l’OPAC du Grand Lyon, dont le rôle, avec l’explosion des logements sociaux, de prestataires de logements, s’est vu élargir à celui de partenaires d’initiatives locales contribuant à la requalification des quartiers, ce projet original rencontre, le 4 février 1988, les ambitions urbanistes du collectif de muralistes devenu, depuis 1986, Cité de la Création.
Janvier 1989 : Tony Garnier, musée urbain pour une œuvre visionnaire [Archives INA]
Finalement, financé conjointement par l’Office des HLM, maître d’ouvrage, et quelques partenaires privés, le musée Tony Garnier voit le jour en 1989, après une année de conception dans laquelle la consultation des habitants n’a pas pris qu’une mince part.
Le musée se présente avant tout comme un hommage à l’architecte de la cité dont certaines œuvres ont été choisies pour embellir les pignons nus. Mais c’est également, pour les habitants du quartier, une façon d’inscrire la mémoire de la cité sur ses 24 murs. L’activité s’organise autour de ce musée unique, une association (4 rue des Serpollières), des visites et la création d’un appartement-mémoire, témoin de la vie dans la cité en 1933.
Appartement-musée de la Cité Tony-Garnier, Claude Essertel, 1990 [Fonds Lyon Figaro]
Manifeste pour une cité idéale…
Le 4 avril 1991, le musée obtient de l’UNESCO le label de la Décennie Mondial du Développement Culturel, parce qu’il favorise l’« amélioration mais également l’épanouissement des aspirations culturelles ». Cette consécration encourage Cité de la création à poursuivre l’œuvre débuté avec le musée ; il reste quelques pignons encore nus, et le collectif décide de les exploiter pour illustrer un thème cher à Tony Garnier, dans la continuité des œuvres de l’architecte déjà exposées : la cité idéale.
Au total 8 artistes muralistes d’origines diverses vont être conviés à imaginer la Cité idéale et à concevoir les murs que Cité de la Création se chargera de réaliser en 1992-93 puis en 2006 :
Abdel Salam Eid pour la Cité Idéale Egyptienne
Shantaram Tum et la tribu des Warlis pour la Cité Idéale de l’Inde
Arturo Guerrero et Marisa Lara pour la Cité Idéale du Mexique
Youssuf Bath pour la Cité Idéale de la Côte d’Ivoire
Gregory Chestakov pour la Cité Idéale de Russie
Matt Mulican pour la Cité Idéale des USA
Shi Qiren de Shanghaï pour la Cité Idéale Chinoise
Jean-Paul Eid pour la Cité idéale du Quebec
En 2003, le Musée est reconnu d’intérêt général. La ville de Lyon lui accorde le titre d’équipement culturel de proximité : « il s’inscrit au cœur d’un quartier malmené et offre un accès à la culture à tous les habitants ». Le musée est reconnu patrimoine du XXe en 2004.
Source : Question du Guichet du Savoir 2013 ” Musée urbain Tony Garnier et l’Unesco”
Réhabilitation de la Cité des Etats-Unis : un programme sur 10 ans
En 2016 est lancé le Projet Tony-Garnier qui va transformer le quartier pour améliorer le cadre et le confort de vie de ses habitants, tout en préservant le patrimoine monumental. Il se décline en deux volets : la réhabilitation globale des 1 542 logements, en visant le niveau BBC Rénovation, et la rénovation des 24 murs peints des immeubles de Grand Lyon Habitat.
C’est ainsi que le mur peint, Tony Garnier, visionnaire, réalisé en 1996 par CitéCréation, a été remplacé par « Les Temps de la cité ».
Les 23 autres murs seront progressivement restaurés entre 2017 et 2025.
SOURCES :
- La Cité Tony Garnier de Lyon s’habille de nouvelles fresques géantes / Culturebox, 14 décembre 2019
- Lyon 8e Inauguration : Tony Garnier visionnaire s’efface, vive Les Temps de la Cité / Le Progrès, 7 décembre 2016
- « Ré-enchanter » les murs peints de la cité Tony Garnier / brève sur L’influx, décembre 2016
- “Les temps de la Cité”, inauguration du nouveau mur peint de la Cité Tony Garnier (Lyon 8e) / dossier de presse 6 décembre 2016
- Les Echos 21 juillet 2014 : L’utopie brisée de la cité Tony Garnier
Un musée culturel et social à sauver
Déjà fin des années 1990, après des travaux de réhabilitation et la réalisation des 24 fresques monumentales, le Musée était menacé de fermeture faute d’argent et de perspective d’avenir. Contrairement à ses promesses, l’adjoint à la culture de la ville de Lyon Denis Trouxe, n’avait pas versé la subvention de la ville (60 000 francs) qui devait permettre de boucler le budget 97 et de verser les derniers salaires des actifs de l’association. A plus long terme se profilaient d’autres inquiétudes. En mai 1998, le quartier des États-Unis sortit du dispositif DSQ, “développement social des quartiers” et perdait ainsi le bénéfice de ses subventions exceptionnelles (en provenance de l’Opac du Grand Lyon, des services sociaux de la Ville de Lyon et de l’État via la DDE) qui avaient permis de réhabiliter les 1 500 logements du quartier et d’investir dans ce remarquable musée.
Légende :
Pour manifester leur mécontentement, les habitants de la cité Tony Garnier ont décidé de barrer d’une large croix noire la première fresque du musée réalisée par les artistes de la Cité de la Création et intitulée « Tony Garnier visionnaire »
Le génie trop lyonnais de Tony Garnier / Lyon Capitale du 21 janvier 1998
Sources :
- Le génie trop lyonnais de Tony Garnier / Lyon Capitale du 21 janvier 1998
- Il y a 20 ans : le génie trop lyonnais de Tony Garnier / Lyon Capitale du 26 janvier 2018
En 2007, une nouvelle alerte avait été sonnée, obligeant le musée à se professionnaliser et à réaliser une action culturelle d’ampleur car les murs pignons étaient désormais tous peints. L’idée s’impose de les valoriser, de diversifier et d’enrichir l’offre par la mise en place d’une politique d’expositions temporaires.
Ainsi dès 2008 était embauchée à la direction du Musée, Catherine Chambon qui réalisera une grande exposition sur 16 mois : « Sacré Béton ! » d’octobre 2015 à décembre 2016 avec un coût de 100 000 euros mais bénéficiera de 75 000 euros de mécénat d’entreprises.
Le Musée entre alors dans une nouvelle ère plus muséographique mais moins participative pour les habitants de la Cité Tony Garnier.
Ainsi en dix ans, l’action de musée a été professionnalisée, en formant un conseil scientifique supervisant des publications et de nombreuses expositions destinées à penser et présenter les évolutions de la ville contemporaine. L’association s’appuie sur des bénévoles et des salariés. Tout ceci a permis de doubler la fréquentation du musée, de l’ordre de 45 000 visiteurs par an.
Toutefois aujourd’hui, le musée Tony Garnier est à nouveau en danger. Depuis 2016, la Région a baissé sa dotation de 5 000 euros. Il manque 30 000 euros, soit 15% du budget annuel, pour passer l’année.
La nouvelle exposition « La vie mode d’emploi » visible jusqu’en décembre 2018, pourtant peu couteuse (60 000 euros), n’a pas réussi à capter plus de 3000 euros de mécénat et a accentué le déficit.
Face au cri d’alarme lancé par l’association qui gère le musée, les collectivités se mobilisent et réagissent pour sauvegarder ce patrimoine.
Côté Ville de Lyon, en janvier 2018, le délégué à la culture à Lyon Loïc Graber, assure à l’équipe des bénévoles et permanents du musée la reconduction d’une nouvelle convention d’objectifs et de moyens triennale et tripartite qui sera votée en juillet, rétroactive pour l’année 2018. En posant les bases d’une gestion stabilisée, elle permettra de trouver des moyens supplémentaires sur le long terme autour d’activités prioritaires et de projets secondaires menés avec différents partenaires publics ou privés. D’autre part la Ville de Lyon revoit à la hausse sa contribution financière au fonctionnement la portant à 90 000 euros pour un budget de 215 000 euros (chiffre de 2017).
Côté Région, en avril 2018, le directeur de la Culture et du patrimoine de la région Auvergne-Rhône-Alpes François Duval, annonce une augmentation de sa subvention en la portant à 35 000 euros.
Le musée va pouvoir également compter sur Grand Lyon Habitat qui au-delà de la mise à disposition gratuite de ses locaux va augmenter sa contribution annuelle de 20 000 euros pour des prestations spécifiques liées à la rénovation des murs peints. Quant à la DRAC, elle maintient sa participation sur le fonctionnement à hauteur de 7 000 euros et va permettre au musée de se positionner sur l’appel à projet Patrimoine XXe pour obtenir un financement supplémentaire.
Cette bouée de sauvetage financière devrait permettre au Musée de s’associer en 2019 aux différents évènements sur le territoire pour commémorer les 150 ans de la naissance de Tony Garnier, avec notamment la perspective à l’autonome 2019 d’une exposition spécifique sur la vie et l’œuvre de Tony Garnier.
SOURCES :
- A Lyon, l’avenir solide du Musée urbain Tony-Garnier / La Croix du 9 juin 2018
- Le musée urbain Tony Garnier en danger : l’association qui le gère appelle à l’aide [reportage] France 3 régions Lyon du 09/03/2018
- Le musée Tony-Garnier en passe d’être sauvé / Le Progrès du 14 avril 2018
- Musée Tony Garnier : la region porte sa subvention à 35 000 euros / Le Progrès du 17 avril 2018
- Une bouée de sauvetage pour le Musée Tony Garnier / Tout Lyon affiches du 28 avril 2018
- Les nouvelles causes du patrimoine. L’exemple du Musée Urbain Tony Garnier à Lyon / Alain Chenevez, EchoGéo [Online], 2015
BIBLIOGRAPHIE
- 4 villes idéales, 4 architectes : Lyon, Le Havre, Washington et Essaouira : Tony Garnier, Perret, L’Enfant et Cornut / Cyrille Piot, 2016
- Tony Garnier / Pierre Gras, 2013
- Les utopies réalisées prennent de la hauteur : 5 sites en région urbaine de Lyon : exposition, Lyon, Musée urbain Tony Garnier, 15 juin-1er octobre 2011
- Musée urbain Tony Garnier : histo-guide / écrit par l’équipe du musée urbain Tony Garnier, 2011
- Tony Garnier et Lyon : aux origines de la modernité / par Alain Vollerin, 2011
- Musée urbain Tony Garnier : des HLM que l’on visite.. : “Les murs, c’est la peau des habitants” / Cité de la création, 1999
- Tony Garnier : pionnier de l’urbanisme du XXème siècle / C. Krzystof Pawlowski ; avec la participation de Jean-Michel Véchambre, 1993
PHOTOGRAPHIES
- Cité Tony Garnier / base Photographes en Rhône-Alpes de la bibliothèque municipale de Lyon
D’autres lieux culturels menacés à Lyon :
- Musée des Tissus – finalement racheté par la Région Auvergne-Rhône-Alpes fin 2017
- Musée africain – fermé depuis fin 2017 et désormais remplacé par le Carrefour des cultures africaines (CCA)
- 6e Continent – fermé définitivement depuis fin 2017
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