Mai 68

Sous les pavés de Mai 68, des romans

- temps de lecture approximatif de 16 minutes 16 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

En cette période où l'on décline sous tous les aspects, sous tous les tons les souvenirs et les retombées des événements de 1968, une question s'impose : cette période, ces évènements ont-ils inspirés les auteurs de romans ? Les événements de mai 1968 sont terriblement porteurs de romanesque : jeunesse en révolte contre le vieux monde, barricades et slogans poétiques sur les murs, paroles libérées et rencontres improbables, libération des corps et amour à fleur de peau... En 1968 les mots ont pris le pouvoir, l'imagination était dans la rue. Comment les romans ont-ils relayé cette effervescence ? Que lisait-on en France en 1968 ?

Slogan de mai 68 © Pixabay
Slogan de mai 68 © Pixabay

Si la période se retrouve en toile de fonds plus ou moins importante de certains romans, il semble que la révolution littéraire n’ait pas eu lieu. Aucun mouvement littéraire aussi significatif que le surréalisme ou le « nouveau roman » n’est immédiatement né de 1968. Mais cette période a certainement nourri l’écriture et l’imaginaire de nombreux écrivains d’aujourd’hui.
“En réalité, mon expérience personnelle de Mai 68 est passée dans mes romans, à très haute dose, ce qui fait que pour moi c’est une aventure, absolument en dehors de la langue de bois ressassée autour des données dites “politiques”. Cela a été pour moi indubitablement une source d’inspiration physique tout à fait importante : il y a un corps de 68 qui s’est dégagé brusquement de pièges sociaux d’un archaïsme absolument insoutenable, qui est d’ailleurs en train de revenir” : ainsi s’exprime Philippe Sollers dans un entretien réalisé au moment du Salon du Livre à Paris au mois de mars 2008

Les années 1968 dans les romans : quelques titres

Camarades de classe, par Didier DAENINCKX, Gallimard, 2008.


- Un message arrive un jour sur la boîte électronique de François, provenant d’un ancien ami de lycée qui tente de renouer le contact grâce au site internet ” camarades-de-classe.com “. Dominique répond à l’insu de son mari et sollicite les confidences…
Dans la correspondance électronique qui naît s’affrontent des visions contradictoires d’un même passé. Ces anciens gosses d’Aubervilliers, qui fréquentaient la même classe en 1964, ont connu des trajectoires diverses, marquées par Mai 68 et par la culture communiste. L’un est devenu chanteur de charme, l’autre est demeuré stalinien, un autre a tourné escroc au grand cœur, d’autres sont chimiste, universitaire exilé, détective privé, SDF, ou bien mort.

Demandons l’impossible, par Hervé HAMON, Panama, 2008


- Une famille moyenne, trois enfants comme tout le monde, la province pas très loin, la guerre pas finie mais pas oubliée (celle de 39 et celle d’Algérie), le tremplin des Trente Glorieuses, la mère un peu catho, le père un peu coco, des crédits en cours, l’ascenseur social qu’est devenue l’école, la télé aux ordres et en noir et blanc, le général de Gaulle père de la nation, la banlieue qui se bétonne, le poulet du dimanche…
Avril 1968. La France s’ennuie, dit-on. Ça ne va pas durer. D’un coup, sans crier gare, une crise sociale inédite déferle. La plus grande grève de l’histoire du pays. Et beaucoup plus : une fracture dans l’intimité de chacun.

Le jour où mon père s’est tu, par Virginie LINHART, Seuil, 2008
- V. Linhart est la fille de Robert Linhart, un des fondateurs du mouvement maoïste en France, qui sombra dans une première crise de folie en mai 1968 puis, après une rechute en mai 1981, tomba dans un silence définitif. A travers la quête de ce père, l’auteure a livré une autre quête, celle de la génération des soixante-huitards pour comprendre ce qu’ils ont vécu.

La fabrique de souvenirs, par Philippe POLLET-VILLARD, Flammarion, 2008
- Une drôle de famille, dans une tranquille bourgade de Haute-Savoie atteinte par le vent de liberté de l’après-1968. Le décor : une usine au nom absurde de Fabrique de souvenirs, où se créent jour après jour les baromètres en forme de tête de chamois, les chalets porte-clés et autres objets fétiches pour touristes en goguette. Il y a la mère en proie à des rêves prémonitoires, un drôle de père…

Cafés de la mémoire, par Chantal THOMAS, Seuil, 2008


- L’auteure choisit de raconter sa formation professionnelle et l’acquisition de son indépendance (par rapport à sa famille et au milieu de son enfance) à partir de son rapport aux cafés. C’est le commencement de sa vie d’adulte, ses amours, ses amitiés, ses premières épreuves dont l’épisode de son avortement. Chaque café est reconstitué dans sa particularité et dans son temps.

Les années, par Annie ERNAUX, Gallimard, 2008
- Les années, qui se sont écoulées de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à aujourd’hui, sont revisitées par la mémoire d’une femme. Cette autobiographie impersonnelle saisit le changement ininterrompu des choses et des représentations, idées, croyances, lieux communs en circulation dans la société.

Drapeau rouge, par Jean-Claude PINSON, Champ Vallon, 2007


- Drapeau rouge évoque les années écarlates d’avant et d’après Mai 68, à travers les aventures et déboires d’un narrateur enrôlé, comme l’auteur, dans les rangs de ceux qu’on appelait alors ” marxistes-léninistes “.
Habit d’Arlequin, Drapeau rouge est un livre où l’on croise pêle-mêle des êtres de fiction et des personnages historiques (de Mao à Mallarmé), des fantômes et des animaux – ou encore des mots qui manifestent.

Maos, par Morgan SPORTES, Grasset, 2006
- En 1975, les anciens maoïstes commencent à se ranger. Parmi eux, Jérôme, un ancien poseur de bombes reconverti dans l’édition. Cependant, rattrapé par son passé, il verse dans la paranoïa. A travers ce récit, construit comme un thriller détourné, resurgissent les dessous de la politique internationale des années 1960 et 1970.

Le pouvoir des fleurs, par Jean-Marie LACLAVETINE, Gallimard, 2002


- À Paris, en mai 68, Lola a vingt-huit ans. Elle fréquente une communauté urbaine installée rue des Canettes, dont les membres sont plus jeunes qu’elle, et beaucoup moins expérimentés. Parmi eux, quatre garçons d’une vingtaine d’années avec qui elle entretient des relations d’amitié amoureuse. Mais l’ère nouvelle est faite de lendemains qui pleurent et de combats douteux. Le récit restitue les ambiances tour à tour délirantes et dépressives des années 70 et 80.

Météorologie du rêve, par Tiphaine SAMOYAULT, Seuil, 2000
- ” Camarades-manifestants, vous occupez déjà la partie sud-est du Quartier latin ; il s’agit maintenant pour vous d’étendre la révolution.
Vous disposez d’une paire de dés, de plus de mille barricades, de trois cents pièces représentant des immeubles, des tronçons d’artères, des pâtés de maisons. Après avoir lancé les dés et avancé vos barricades d’autant de points, vous gagnez des quartiers, grâce aux pièces du puzzle remportées. ” Comme l’utopie politique, la vie amoureuse se joue aux dés : Merlin et Garance, depuis qu’ils se sont rencontrés, en font l’expérience jour après jour.
En jouant, ils retrouvent le souvenir de leur première rencontre : en mai 1968, Garance est encore dans le ventre de sa mère, tandis que Merlin, photo-reporter, est au centre des émeutes.

Voir les jardins de Babylone, par Geneviève BRISAC, Seuil, 1998
- Nouk a vingt-cinq ans, un métier, un compagnon, un bébé, des amies et des idéaux.
Parce qu’elle a accepté de participer à une enquête sur la vie sexuelle des Françaises, son univers secret commence à se défaire. Au fil des rendez-vous avec l’enquêtrice qui l’interroge, Nouk se remémore sa vie amoureuse. Mais des premiers émois et des passions de 68, on passe vite aux doutes et aux questions, aux mensonges, parfois drôles, parfois cruels, aux petits et aux grands compromis. Et en jetant un regard en arrière, c’est aussi à son présent, soudain, que Nouk se confronte….

Rouge c’est la vie, par Thierry JONQUET, Seuil, 1998
- Souvenirs romancés d’un quadragénaire qui avait 14 ans en mai 68. Coup d’oeil dans le rétroviseur : les banderoles, les slogans, les drapeaux rouges, les manifs, le militantisme qui a suivi (pour l’auteur, dans les rangs trotskistes), la rencontre d’une autre militante, celle-ci dans les rangs sionistes socialistes…

Les images, par Alain REMOND, Seuil, 1997


- Je me suis toujours demandé ce que devenaient Jérôme et Sylvie, les deux héros du premier roman de Georges Perec, Les Choses, qu’il abandonnait dans un wagon-restaurant, en route pour Bordeaux…
Alors, un jour, j’ai eu envie d’imaginer la suite. J’ai inventé leur nouvelle vie à Bordeaux, à la tête d’une agence de publicité, puis à Paris, du milieu des années 60 à celui des années 90. Devenus des publicitaires à la mode, qui vendent des ” nouilles libres ” et des ” yaourts antiracistes “, ils vont être emportés par le maelström de la télévision nouvelle. C’est l’ère des conseillers en communication, de l’explosion des chaînes privées, du mariage de la pub et des programmes, de l’escroquerie des reality-shows…
Jérôme et Sylvie étaient fascinés par les choses. Ils sont avalés par les images.

Le lycéen, par BAYON, Grasset, 1987
- Depuis 1976, au fil de ses rééditions (1980, 87, 92), le roman de formation le Lycéen est devenu un genre de classique.
Avec le Grand Meaulnes rectifié Scipion l’Africain qui lui sert de sujet, entre Guerre des Boutons et Désarrois de l’élève Törless, cette épopée frénétique des préaux a pu être ainsi célébrée : ” Les Chants de Maldoror réécrits par Pim-Pam-Poum “. L’action, abracadabrante comme la narration, c’est la lutte des classes. Chant de bataille libertaire, le Lycéen immortalise avec un réalisme minutieusement éprouvant la lutte à mort éternelle que se livrent autorité et immaturité.
Chahut et colles font rage ; triche, vol et sabotage, onomatopées contre équations, foutoir contre conseil de discipline. Face aux inquisiteurs professoraux ou parentaux, les héros réels de l’histoire sont les vandales transcendants : Zingaro le messie du méfait ou Jean-Marien l’aîné enragé. De 400 coups en baffes et renvoi, de la rentrée 1965 à mai 1968, d’Henri-IV à Michelet ou Sèvres en passant par l’Afrique noire, sur un mode funèbre enjoué, le Lycéen déploie, tout en véhémence langagière, une fantastique galerie de portraits en situation et une fresque de mémoire authentiquement ethnologique, entre imbécillités et mythe

Jeunes femmes rouges toujours plus belles, Frédéric H. Fajardie, La Table ronde, 1988


- J’avais vingt ans. J’étais gauchiste et il y eut Mai 68. Ma révolution fut celle de la piétaille, des obscurs militants. Nous nous battions pour une barricade, un coin de rue. La police nous tabassait à l’écart des journalistes. Les livres commémoratifs ne parlent jamais de nous. C’est pour réparer cette injustice que j’ai écrit ce roman où il est question d’amour, de joie de vivre, de mort et d’un long exil de vingt ans.
Freddy et Teddy, les héros de Jeunes femmes rouges toujours plus belles, sont deux jeunes chiens fous. Ils vont de manifs en émeutes jusqu’au jour où la police les choisit à leur insu pour monter une provocation. Mais Freddy vient de rencontrer le grand amour…

Les Barbares, par Jacques SERGUINE, 1982
- Cette fresque narre l’épopée de mai 68 à travers le destin de quatre garçons.

Voir aussi : Mai 1968 – mai 2008 : le polar dans la bagarre… du souvenir, par David MOHAMED

“Souvenirs, souvenirs…” : que lisait-on en 1968 ?

Les petits enfants du siècle, par Christiane ROCHEFORT, 1961


- Jo de Bagnolet ” est née des allocations et d’un jour férié dont la matinée s’étirait, bienheureuse “.
Dix enfants vont suivre, apportant en prime à leurs parents la machine à laver, le Frigidaire, la télé, la voiture et le prix Cognac ! Josyane les élèvera tous. Ses seules distractions : les courses et ses devoirs le soir sur la table de cuisine. Ses seuls amis, Nicolas, le petit frère qui comprend tout et Guido, le maçon italien, né sur les collines. L’amour de Guido bouleverse la vie de Josyane, il en chasse toute la laideur et la bêtise. Christine Rochefort fait ici un tableau criant de vérité des grands ensembles, de ces blocs illuminés la nuit, en plein ciel, si gris le jour, le béton cachant mal la pauvreté.
Elle dit, admirablement et avec beaucoup d’humour, le mal de vivre à Bagnolet, à Sarcelles et autres lieux de même type, sans âme et sans arbres.

Elise ou la vraie vie, par Claire ETCHERELLI, 1967


- L’histoire se passe en France pendant la guerre d’Algérie : Élise, jeune bordelaise rêvant à la « vraie vie », monte à Paris et trouve un travail à l’usine. Elle y rencontre Arezki, un algérien, dont elle s’éprend.
Grand succès populaire, le roman a également été remarqué par la justesse de sa description socioculturelle, notamment du travail ouvrier et des relations entre Français et Algériens. Prix Fémina 1967

Histoire, par Claude SIMON, 1967
- Comme l’Ulysse de James Joyce, ce livre de Claude Simon est le récit non-chronologique de la journée d’un homme, passant en revue des cartes postales ayant appartenu à sa mère. Son observation attentive sert de prétexte à une rêverie sans fin. Prix Medicis 1967

La marge, par André-Pieyre de MANDIARGUES, 1967


- Après un choc affectif atroce, un homme se retrouve ” en marge ” de sa vie.
A Barcelone, dans le sordide quartier de la prostitution, où il a rencontré un semblant de tendresse, il prend conscience de la situation tragique du peuple catalan. L’amour des opprimés l’exalte. Ainsi s’opère la transmutation de la mort volontaire en espoir de vengeance et de libération prochaine. Prix Goncourt 1967.

L’Oeuvre au noir, par Marguerite YOURCENAR, 1968


- En créant le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle, Marguerite Yourcenar, l’auteur de Mémoires d’Hadrien, ne raconte pas seulement le destin tragique d’un homme extraordinaire.
C’est toute une époque qui revit dans son infinie richesse, comme aussi dans son âcre et brutale réalité ; un monde contrasté où s’affrontent le Moyen Âge et la Renaissance, et où pointent déjà les temps modernes, monde dont Zénon est issu, mais dont peu à peu cet homme libre se dégage, et qui pour cette raison finira par le broyer. L’œuvre au Noir a obtenu en 1968 le prix Femina à l’unanimité. Prix Fémina 1968.

Les fruits de l’hiver, par Bernard CLAVEL, 1968
- Les années noires et la guerre s’achèvent, et les parents de julien arrivent au terme d’une longue vie de labeur, de courage et de privations.
Sans nouvelles de leur fils qui court le maquis, ils s’aigrissent dans l’horizon étroit de leur petit jardin, sans bien comprendre la sanglante tragédie qui se joue autour d’eux. Vient enfin la Libération et le retour de Julien, accompagné d’une jeune femme portant un enfant de lui, à l’aube de ces temps nouveaux que le vieux couple ne connaîtra pas. Et c’est la fin – déchirante – de l’une des œuvres majeures de Bernard Clavel. Prix Goncourt 1968

Le devoir de violence, par Yambo OUOLOGUEM, 1968


- Nos yeux boivent l’éclat du soleil, et, vaincus, s’étonnent de pleurer, Maschallah ! oua bismillah !….
Un récit de l’aventure sanglante de la négraille – honte aux hommes de rien ! – tiendrait aisément dans la moitié de ce siècle ; mais la véritable histoire des Nègres commence beaucoup, beaucoup plus tôt, avec les Saïfs, en l’an 1202 de notre ère, dans l’empire africain de Nakem, au sud du Fezzan, bien après les conquêtes d’Okba ben Nafi et Fitri. Censuré en France depuis plus de trente ans, étudié dans le monde entier, briseur de tabous, Le Devoir de violence est une œuvre puissante et unique, un roman-culte du continent africain.
Vaste saga historique, il retrace, depuis le XIIIe siècle, la geste des Saïfs, conquérants et maîtres du mythique empire Nakem. Fabuleux prosateur de tous les excès et de tous les crimes, Yambo Ouologuem dit les complexités de l’Histoire de l’Afrique où l’esclavage et la colonisation sont même antérieurs à l’arrivée des Européens qui ne firent peut-être que reprendre à leur compte et en l’amplifiant dramatiquement un système fou qui existait déjà.
Prix Renaudot 1968.

Pour compléter cette liste se reporter au site de l’INA et consulter :
- Les Archives de l’émission de Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet : Lectures pour tous

Quelques écrivains et romans qui ont nourri la génération de 1968

Belle du seigneur, par Albert COHEN, 1968 ; Place de l’étoile, par Patrick MODIANO, 1968 ;Le Procès-verbal, par JMG LE CLEZIO, 1963 ;
Les choses, par Georges Perec, 1965

-Mai 68 expliqué par Georges Perec ?

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Georges Perec

et aussi des œuvres traduites :
Cent ans de solitude, par Gabriel GARCIA MARQUEZ, 1965 ; La plaisanterie, par Milan KUNDERA, 1967 ; Le pavillon des cancéreux, par Alexandre SOLJENITSYNE, 1967 ; les romans de YASUNARI KAWABTA, prix Nobel de littérature en 1968.


- Sans oublier les textes fondateurs de la :Beat generation par William BUROUGHS, Allan GINSBERG, Jack KEROUAC, Brion GYSIN, Flammarion, 2005

Et pour finir par un clin d’œil : ce film dont le titre emblématique représente bien la période de Mai 68, période pendant laquelle la lecture de romans s’est effacée devant une lecture poétique et politique du monde :

- Jetons les livres, sortons dans la rue, film de Shûji Terayama, 1971

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