Petite histoire des prix littéraires

Saison des prix littéraires : top départ

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 18/10/2016 par mj

Comme à chaque fin d’été la littérature fait sa rentrée. Entre mi-août et mi-octobre, vous l’aurez remarqué, la production éditoriale de romans est foisonnante. Cette rentrée littéraire donne le top départ pour la course des prix de l’automne. Les maisons d’édition sortent bien souvent leurs meilleurs poulains pour affronter ce tourbillon littéraire et espérer décrocher le Saint-Graal.

Une étude démontre que la rentrée littéraire représente près de 20 % du chiffre d’affaire annuel de la «fiction moderne grand format». Un roman sur cinq est acheté durant cette période.

L’événement médiatique par excellence est la proclamation du Goncourt qui, depuis la fin du 19e siècle, met ainsi à l’honneur la littérature française. Les prix littéraires de l’automne ne sont pas les seuls de l’année bien sûr mais ils bénéficient d’une très large audience du fait de leur forte médiatisation et sont portés par l’effervescence que connait le milieu littéraire durant cette période. Ce sont les prix « historiques ».

Mais d’autres prix viennent élargir l’espace de la compétition littéraire, les prix populaires créés par les médias, ceux des professionnels du livre, les prix numériques…

Il existe en France pas moins de 2000 prix littéraires et il en apparait chaque année de nouveaux. Mais seulement 2% d’entre eux sont connus du grand public !

Afin d’y voir plus clair parmi tous ces prix nous allons en dresser un inventaire non exhaustif et en pointer quelques enjeux.

 

Les prix historiques

Photographie des frères Goncourt prise par Félix Nadar

Photographie des frères Goncourt
prise par Félix Nadar

Le prix Goncourt : Né de l’imagination des frères Jules et Edmond de Goncourt, il est décerné pour la première fois le 21 décembre 1903.

« Notre idée a été d’aider à l’éclosion des talents, de les tirer des difficultés matérielle de la vie, de les mettre en mesure de travailler efficacement, en un mot de leur faciliter la tâche de produire une œuvre littéraire.» Edmond de Goncourt.

C’est le prix le plus connu et le plus honorifique. A l’origine le lauréat se voyait attribuer un prix de 5000 francs or. Il n’est plus aujourd’hui que de dix euros. Mais les tirages exceptionnels que génère le prix offrent au lauréat de quoi se « tirer des difficultés matérielles de la vie », du moins pour quelques temps ! L’Académie Goncourt décerne son prix chaque année début novembre lors d’une cérémonie ultra médiatisée et ritualisée au restaurant Drouant. Le prix Goncourt se décline sous plusieurs formes, Goncourt de la Poésie Robert Sabatier, Goncourt du Premier roman, Goncourt de la Nouvelle, Goncourt de la Biographie. Lydie Salvayre  et Mathias Enard  sont les derniers lauréats.

L’Académie française créé elle aussi son prix récompensant un écrivain et son roman, ce sera le Grand Prix du Roman de l’Académie Française mis en place dès 1914. En 2015 Hédi Kaddour  et Boualem Sansal  se sont vu couronner.

Source : prixfemina.org

Source : prixfemina.org

Le Prix Femina , voit le jour un an après le Goncourt en 1904 à l’initiative de deux revues féminines Femina et La Vie heureuse pour répondre au cercle machiste du Goncourt qui ne consacrait que des hommes. En effet pour la petite histoire, en 1904 Myriam Harry  est donnée favorite pour le Goncourt mais la célèbre exclamation de Huysmans « pas de jupons chez nous ! » rappelle combien la misogynie est de mise à l’époque. Le jury du Femina est depuis exclusivement féminin et est censé représenter « le jugement des femmes sur la littérature » mais ouvert à la mixité littéraire en se laissant la possibilité d’octroyer le prix à un homme. Cette équité se retrouve ces deux dernières années avec Yanick Lahens  en 2014 et Christophe Boltanski   en 2015.

L’inflation des prix littéraires

Les déçus des prix académiques peuvent toujours espérer se voir attribuer une récompense si l’on en juge par l’inflation des prix littéraires à l’heure actuelle.

Dans la lignée des prix classiques, on trouve le Prix Médicis qui récompense depuis 1958 de nouveaux auteurs et entend donner toute sa place à la création littéraire. Il est également décliné pour les romans étrangers et les essais.

Le Prix Décembre, créé en 1989 il se veut une sorte d’anti-Goncourt. En pleine période de remise des prix d’automne, il tente de diriger les projecteurs de l’actualité littéraire sur un livre, roman ou essai, publié en marge des circuits commerciaux.

Pour le prix le plus mondain, le café parisien le Flore accueille chaque année au mois de novembre depuis 1994, le jury du Prix de Flore créé par Frédéric Beigbeder, qui récompense un jeune auteur au talent jugé prometteur.

En parallèle des circuits de prix décernés bien souvent à des écrivains par des écrivains, le journalisme s’est fait une place dans le champ de la légitimation de la cause littéraire. Dès 1926, avec la création du Prix Théophraste-Renaudot, les journalistes se placent désormais de l’autre côté et s’organisent jurys littéraires. La particularité du Prix Renaudot est d’être décerné simultanément avec le Prix Goncourt.

En 1930 sous l’impulsion d’un groupe de journalistes le Prix Interallié voit le jour et se donne comme objectif de  récompenser de préférence un romancier journaliste. Ces principes de rester cloisonné à la profession se perdront peu à peu, les limites des genres entre romancier et journaliste devenant aussi de plus en plus floues.

La donne littéraire se voit reconfigurée par ces prix, qui se muent en labels vendeurs

Cette démultiplication des prix littéraires est bien moins la cause d’une volonté de tirer vers le haut la littérature que la somme d’enjeux, économiques et éditoriaux en premier lieu…

prix_litteraires_603x380Pour beaucoup le marché littéraire est devenu une véritable industrie où la qualité d’un auteur et de ses écrits n’est pas le plus important.

Les prix littéraires, une histoire d’éditeurs et de gros sous avant tout ?

Il est bien sûr évident que l’obtention d’un prix pour un ouvrage génère des tirages très importants et devient promesse de vente. Quelles que soient les qualités pour lesquelles un livre a été primé, depuis les années 1970, les prix littéraires génèrent de véritables succès commerciaux. La semaine suivant l’annonce d’un prix marque l’augmentation des ventes du titre lauréat de 8 %, et ce sont entre 500 000 et un million de français qui achètent un livre qui a gagné l’un des grands prix. Un classement publié par le cabinet CfK  en 2015 permet de voir l’impact des prix littéraires sur les ventes des livres primés, en moyenne, 395 000 ventes pour le Goncourt, 220 500 exemplaires pour le Grand Prix du Roman de l’Académie française, 178 000 pour le Renaudot, 97 000 pour le Femina, et environ 45 000 pour le Médicis et l’Interallié.

 

etude-gfkLe prix littéraire est indiscutablement une manne financière salutaire pour les éditeurs et ce depuis le début.

Beaucoup reprochent à ces prix de toujours récompenser les mêmes maisons d’édition et de ne pas mettre en avant de nouveaux auteurs ou de petits éditeurs. Pour preuve, les maisons Gallimard, Grasset, Le Seuil et Albin Michel ont gagné à elles seules les deux tiers de l’ensemble des six grands prix littéraires qui ont été décernés depuis leur création.

On parle d’ailleurs dans le milieu de l’édition du triumvirat Galligrasseuil.

En 1932  l’Académie du Goncourt commet l’une de ses plus cuisantes erreurs en attribuant le prix à Guy Mazeline  face à Céline pour son Voyage au bout de la nuit. Céline étant grand favori, cette nomination révèle pour la première fois les pressions éditoriales qui pèsent sur le dos des jurys. Mazeline étant publié chez Gallimard alors que Céline vient d’une toute jeune maison d’édition à l’époque, Denoël.

Si l’on peut constater un certain favoritisme pour certaines maisons d’édition dans l’attribution des  prix, il est tout aussi pertinent de parler de l’hégémonie masculine qui est de mise pour ces récompenses. En effet depuis la création du Goncourt, les auteurs françaises n’ont reçu que 113 prix sur les 623 récompenses décernées et ce malgré des jurys souvent mixtes, bien que pour le Goncourt seulement 3 jurées sur les 10 soient des femmes.

Cette année, le festival de Bandes-Dessinées d’Angoulême a connu la polémique pour sa sélection initiale pour le Grand Prix de la Ville d’Angoulême qui était à une exception près exclusivement masculine. La mobilisation d’un certain nombre d’auteur a permis de modifier la sélection.

À chacun son prix

Dans les années  1960-1970  un glissement que l’on peut qualifier de populaire se produit : de prix décernés par des pairs ou des experts on passe à des prix décernés par des lecteurs amateurs. C’est par l’intermédiaire des médias qui se plaisent chaque année à alimenter l’effervescence que suscite l’attribution des prix que s’opère cette prise de position du lecteur.

C’est la création du Prix des Lectrices de Elle en 1970 et du Livre Inter et de RTL/Grand public en 1975, plus récemment Le prix du Monde en 2013. Les médias encouragent ainsi leurs lecteurs/auditeurs à se mobiliser et à s’exprimer et ceci sans enjeu économique ou de favoritisme envers tel ou tel éditeur.

La presse a ainsi intégré la vie littéraire à l’actualité et a ainsi en quelque sorte désacralisé la littérature.

Le Prix Wepler crée par des libraires prime « des écrivains qui mettent à l’épreuve la forme romanesque et défrichent la langue ». L’originalité du jury est d’être tournant et mixte (lecteurs et professionnels du livre). Ce prix revendique son engagement pour la littérature et son indépendance vis-à-vis de l’économie du livre.

Les « mauvais genres » de la littérature ont aussi leurs prix.

La Bande-Dessinée connait depuis quelques années un relatif pic médiatique lors du Festival d’Angoulême  et la remise du grand prix de la ville récompense chaque année depuis 1974 un auteur de bande dessinée pour l’ensemble de son œuvre. Le dernier lauréat est le Belge Hermann.

Pour le Roman Policier, outre le Grand prix de littérature policière, peu connu du grand public, on trouve le prix SNCF du Polar, beaucoup plus grand public et décerné par les lecteurs.

prix-quai-des-orfevresLa police a aussi son prix du polar, c’est le Prix du Quai des Orfèvres qui récompense chaque année, depuis 1946, un roman policier de langue française inédit qui sera publié par l’éditeur Fayard. Son jury est présidé par le Directeur de la Police judiciaire.

Pour la Science-fiction, on trouve le Grand prix de l’Imaginaire créé en 1974, ou plus participatif le Prix Planète SF des Blogueurs qui récompense chaque année depuis 2011 le meilleur de science-fiction, fantasy ou fantastique inédit publié durant l’année écoulée.

Internet et le web participatif se sont effectivement immiscés, mais de manière confidentielle dans le paysage des prix littéraires. On trouve entre autres le Prix Audiolib.

Avec Internet on a vu apparaitre un renforcement et une accélération de la promotion du jugement amateur, que ce soit sur les sites, les blogs ou les réseaux sociaux.

L’auto-édition également et les prix qui l’accompagnent se développent, par exemple le Prix Amazon de l’auto-édition.

Le calendrier des prix

25 octobre : Femina, Femina étranger, Femina essai
27 octobre : Grand prix du Roman de l’Académie française

2 novembre : Médicis, Médicis étranger, Médicis essai
3 novembre : Goncourt, Renaudot
7 novembre : Décembre
8 novembre : Interallié

Pour aller plus loin

AISSAOUI, Mohammed, « Goncourt, Renaudot… Pourquoi les prix littéraires sont si précieux ? », Le Figaro, novembre 2015.

DUCAS, Sylvie, La Littérature, à quel(s) prix ?, La découverte, coll. « Cahiers libres », 2013 (http://catalogue.bm-lyon.fr/?fn=ViewNotice&Style=Portal3&q=2193742)

KOPP, Robert, Un siècle de Goncourt, Gallimard, 2012 (http://catalogue.bm-lyon.fr/?fn=ViewNotice&Style=Portal3&q=2122137)

ORAIN Grégoire, Les prix littéraires français sont-ils sexistes ? Le Monde, novembre 2015 http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/11/03/les-prix-litteraires-francais-sont-ils-sexistes_4802462_4355770.html

 

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