Comment filmer la littérature ?

Littérature et cinéma documentaire

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 10/11/2016 par FLO L

Le mois de novembre est depuis 17 ans le mois du film documentaire ; c'est l’occasion de découvrir comment le cinéma documentaire évoque la littérature et les écrivains.

Ciné
Ciné

écrivain à sa table

Portrait, écrivain

caméra

Portrait, Ecrivain

 

pellicule

 

 

 

 

 La littérature n’est ni sociable ni aimable, quoiqu’on fasse semblant d’en penser, c’est un art du secret, un secret dont il faut seulement espérer s’approcher . (Jérôme Prieur, écrivain et cinéaste)


Lorsque le cinéma documentaire approche la littérature il peut se contenter de filmer la table de travail de Flaubert ou la chambre de Proust… on frôle le simple reportage et ce n’est en effet qu’une approche, une illustration de l’univers de l’écrivain qui n’en révèle pas grand-chose. Lorsqu’il porte une intention, un point de vue, lorsqu’il tire la réalité à lui en s’emparant de l’œuvre écrite, lorsque la subjectivité du réalisateur se laisse voir, alors le documentaire n’est pas seulement porteur d’informations mais également d’émotions. C’est un film, tout simplement.

Notre sélection souhaite illustrer deux grands thèmes du documentaire littéraire : faire le portrait d’un écrivain, montrer la littérature à l’écran.

 

 

caméra

Réaliser le portrait d’un auteur

Le poids lourd du cinéma documentaire littéraire c’est le portrait d’écrivain. Il faut rappeler ici l’importance de la télévision, une fois n’est pas coutume, pour la création et la diffusion dans ce domaine.

Je ne sais pas qui sera le Flaubert de notre temps, mais si une équipe de la télévision est venue l’enregistrer, je suis content et nos descendants le seront aussi. (Pierre Dumayet (1923 – 2011) créateur de Lectures pour tous la première émission littéraire de la télévision française)

Sous l’impulsion du Ministère de la Culture, la télévision a engendré des collections telles que Les hommes-livres , Préfaces  ou encore, la plus connue, Un siècle d’écrivains. Cette dernière, parcourant le XXème siècle, rassemble 257 portraits du monde des lettres. Confiée à des réalisateurs différents, la série offre un beau catalogue de ce genre documentaire, quelques titres sont d’une grande créativité.

portrait de Lovecraft

Howard Phillips Lovecraft : toute marche mystérieuse vers un destin de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic est un portrait littéraire et psychique, construit comme un récit d’épouvante, au plus près de l’univers trouble et angoissé de Lovecraft.

 

Citons encore dans la même collection :

 

Certains portraits ne sont portés par aucune collection, sorte d’électrons libres, il est bon de les mettre dans la lumière de temps en temps. En voici trois pépites :

  • Le film de Jean-Marie Drot  sur l’écrivain Joseph Delteil : Vive Joseph Delteil ou la Grande Journée, film savoureux qui prend son temps pour une rencontre à la « fortune du pot et du mot »
  • Qui était Kafka ? de Richard Dindo qui réalise un portrait à partir des plus belles lettres et du journal de l’écrivain dontjaquette dvd la femme aux 5 éléphants la voix s’incarne dans celle de Sami Frey. Des acteurs tiennent le rôle des personnes de l’entourage proche de Kafka. Dans cet article  le réalisateur commente son travail et ses choix.
  • La femme aux 5 éléphants de Vadim Jendreyko : un film qui évoque le plaisir d’un grande rencontre et l’amour de la littérature en faisant le portrait intime de Svetlana Geier, traductrice en allemand des œuvres de Dostoïevski.

 

Enfin, dans la catégorie des portraits documentaires, évoquons ceux consacrés aux auteurs de bande dessinée. Ces derniers créent avant tout par le dessin qui fournit un matériau aisé à filmer en comparaison du langage, matériau impalpable, mais sonore il est vrai…, des écrivains. Les films suivants ne se limitent pas à montrer des images de dessins mais portent bien ce supplément d’âme qui fait la valeur des documentaires réussis. Ils ont en commun de prendre leur temps : le temps de voir, le temps d’écouter.

  • Edmond un portrait de Baudoin de Laetitia Carton dont voici quelques mots à propos de son film : Pendant ce tournage, j’ai cherché quelque chose d’essentiel. Il m’est difficile d’y mettre des mots. Est-ce cela qu’il appelle l’impuissance ? Mais je dirais quelque chose d’une humanité, de la vie à l’état pur.
  • Tardi en noir et blanc de Pierre-André Sauvageot. Un portrait de Jacques Tardi au travail, à travers deux bandes dessinées en cours de réalisation : Le petit bleu de la côte ouest d’après un roman de Jean-Patrick Manchette, puis Le secret de l’étrangleur adapté d’un livre de Pierre Siniac
  • David & Fritz de Nathalie Marcault« Le temps d’un voyage qui nous mène à Bruxelles, Berlin, Wroclaw et Jérusalem, ce film cherche à comprendre pourquoi David Vandermeulen a décidé de consacrer vingt ans de sa vie à dessiner la biographie du Prix Nobel de chimie Fritz Haber. »
caméra
Filmer la littérature

Certes, les films biographiques occupent la plus grande place dans le paysage du documentaire littéraire. Cependant, certains documentaires font de la littérature leur thème premier, en se plaçant, en quelque sorte, au-delà d’un auteur particulier.

  • La littérature pour quoi faire ? est le titre de la leçon inaugurale d’Antoine Compagnon prononcée au Collège de France ; l’historien de la littérature française s’interroge, non pas sur « qu’est-ce que la que la littérature ? » à l’instar de Sartre en son temps, mais sur ce « que peut la littérature ? » à notre époque. De nombreuses leçons sont d’ailleurs accessibles en ligne sur le site du Collège de France. Ces films bien que sans recherche cinématographique, mettent à disposition de tous des analyses souvent d’une grande richesse et d’une intelligence salutaire. C’est pourquoi nous avons choisi de les mentionner dans cet article.
  •  Autour de la littérature américaine Romans made in New-York de Sylvain Bergère et Nelly Kaprièlian interviewe la génération des écrivains tels que Rick Moody, Jonathan Safran Foer, Nicole Krauss, Jonathan Franzen, Marisha Pessl, pour savoir, entre autre, quelle est la réponse de la littérature au 11 septembre 2001.
  • Le film suivant est doublement remarquable : il s’intéresse bien à la littérature mais de plus il s’agit de petite littérature d’un mauvais genre, et même de sous-littérature. Dans Barbara tu n’es pas coupable la réalisatrice islandaise Solveig Anspach interroge, en douceur, des lecteurs de romans-photos. Les rencontres sont entrecoupées d’images d’un tournage pour « Nous deux ». L’intérêt du film réside avant tout dans le regard franc et respectueux que porte la réalisatrice sur ces lecteurs. Il s’agit d’humanisme,… loin de tout mépris.

 

Encore un pas de côté par rapport à la littérature, mais il serait dommage de ne pas signaler ces films autour de l’usage de la langue :

  • couverture journal de klempererD’abord le remarquable documentaire de Stan Neumann La langue ne ment pas. A partir du journal de Victor Klemperer (écrivain et philologue allemand) le film, d’une réalisation ciselée, étudie comment la langue nazie s’est formée et imposée. Certes, les récompenses ne font pas la valeur d’une œuvre, signalons cependant que ce film a reçu : Grand Prix des Escales Documentaires 2004 / Grand Prix du Documentaire International Urti Monte-Carlo 2004 / Mention spéciale Prix du documentaire historique de Pessac 2004 / Prix Scam de la meilleure œuvre documentaire 2005.

 

En guise de bouquet final, nous terminerons en mentionnant trois films qui prennent plaisir à flouter les frontières classiques entre le documentaire et la fiction. Ce sont des œuvres cinématographiques construites à partir de textes d’écrivains utilisés en tant que matière première. Il ne s’agit pas tant d’analyser que de créer, de filmer à partir des émotions ressenties et des questions qui en découlent. Ces films font de la littérature à partir de la littérature.

  • Jean-Daniel Pollet, dans Dieu sait quoi, souhaite mettre en images, et en sons, l’œuvre de Francis Ponge ; voici ce qu’il dit à propos de son film : Ce monde muet est notre seule patrie”, cette courte phrase peut être considérée comme l’emblème de l’ensemble de l’œuvre de Francis Ponge, dont je me suis nourri pendant le travail que j’ai fait autour de cette œuvre. Les textes de Francis Ponge jouent dans le film une partition presque à part, comme la musique d’Antoine Duhamel. Je considère ce film comme “naturel”, et il me déplairait qu’on le fasse entrer dans quelque catégorie que ce soit. Je pense qu’il n’a pas de véritable ascendant et qu’il est inutile qu’il ait un successeur.
  • Une nouvelle fois une œuvre de Stan Neuman qui adapte l’énigmatique roman de l’écrivain allemand W. G. Sebald, Austerlitz. Le film, au montage rigoureux, illustre comment un réalisateur interroge une œuvre pour mieux se trouver soi-même. J’ai cherché mon chemin dans le labyrinthe de son récit, ses mots et ses images en trompe l’œil, cette fiction faite de fragments bruts arrachés au réel. Guidé par la certitude, totalement absurde, que ce livre n’avait été écrit que pour moi,  déclare le documentariste à propos de son projet et de ses motivations. C’est Denis Lavant qui incarne le personnage de Jacques Austerlitz.couverture automne allemand
  • Enfin, le dernier mais non le moindre : un film de Michaël Gaumnitz : le magnifique 1946, Automne allemand. Pendant quelques semaines en 1946, Stig Dagerman, journaliste et écrivain suédois, va parcourir les ruines de l’Allemagne vaincue. Il va observer, questionner, descendre dans les caves à la rencontre de ceux qui s’y terrent, s’interrogeant lui-même. Gaumnitz réalise un film à partir du texte de Dagerman, de sons et d’images d’archives complétées ou remplacées par des dessins peints et animés par ses soins. Texte et image se complètent pour donner une œuvre puissante et riche qui traite de la soufrance et de l’angoisse, de la haine et de la culpabilité.

 

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