L'automne littéraire

- temps de lecture approximatif de 22 minutes 22 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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En France, l’automne est littéraire. La “rentrée littéraire” est une exception culturelle à la française. C’est un moment décisif et incontournable dans le monde du livre : 676 romans ont été publiés entre la fin du mois d’août et le mois d’octobre 2008. Les ventes du mois de septembre sont généralement de 30% supérieures à celles des autres mois. Et pourtant la rentrée littéraire n’est qu’une goutte d’eau. Tout au long de l’année, 125 titres, tous genres confondus, sortent chaque jour.

Une rentrée littéraire à quoi ça sert ?

“3, 2, 1… Partez ! Comme chaque année, les éditeurs, libraires et journalistes s’activent pour mettre en place la traditionnelle rentrée littéraire. Elle bat son plein début septembre, pour retrouver un second souffle fin octobre, lors de la remise des fameux prix. 676 romans cette année… Une véritable avalanche sur les étals des libraires : coup marketing des gros éditeurs ou réelle actualité culturelle ?

Comme personne ne pourra se vanter d’avoir lu l’ensemble du millésime, à quoi bon conserver ce rite franco-français ? Pour mettre en avant de nouveaux talents, dynamiser le secteur de l’édition, redonner à la lecture une place centrale dans la consommation de biens culturels…”


Vous pouvez prendre connaissance de ce débat sur : Contre-feux : site d’analyses et de débat interactif sur le monde contemporain

Pierre Assouline s’exprime sur le phénomène “Rentrée littéraire” à l’occasion d’un “chat” modéré par Raphaëlle Besse Desmoulières sur le site du “Monde” : “La qualité d’une rentrée littéraire ne se jauge pas à l’aune des grands noms”



Le calendrier de l’édition française se calque bizarrement sur le modèle scolaire : les écrivains doivent d’abord faire leur “rentrée”, puis se montrer assidus dans les salons et à la télévision et répondre aux questions des journalistes. Ensuite certains se voient décerner des prix.

Les auteurs de la rentrée

Ainsi on peut retrouver chaque année les “réguliers de l’automne” comme Amélie Nothomb avec : Le fait du prince ; Laurent Gaudé avec : La porte des enfers ; Jean-Paul Dubois avec : Les accommodements raisonnables ; David Lodge avec : La vie en sourdine, etc.

Mais pour avoir une vision plus large des romans dont on a parlé et/ou dont on va parler, la consultation de certains sites s’impose :


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Le cabinet de lecture de Rue 89

Les auteurs de la rentrée présentés par Michel Field

La confrontation entre Christine Angot et Catherine Millet

On peut aussi faire ses pronostics en suivant au jour le jour l’actualité des prix littéraires : Le blog de Prix-littéraires

Pour tordre le cou à l’idée que les jeunes ne lisent plus, nous vous invitons à découvrir la fraicheur et la rigueur d’analyse des jeunes lycéens à propos des romans proposés dans le cadre du Goncourt des lycéens : Le blog du Goncourt des lycéens

L’outsider de la rentrée 2008 : J.-M.G. LE CLEZIO, Prix Nobel de littérature 2008 : Un dossier assez complet, avec une bibliographie commentée et des documents audiovisuels venant des archives de l’INA lui est consacré sur le site : Bibliobs

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J.-M. G Le Clézio

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Mais, pour aimer un livre, nul n’est obligé de succomber à la fièvre du marketing, ni contraint de partager les goûts des jurys de prix littéraires.
Nous vous proposons ici quelques titres issus de cette production automnale. Des textes et des auteurs dont vous avez entendu parler mais aussi des romans de jeunes écrivains français et étrangers. Les romans que nous vous présentons nous ont surpris et enthousiasmés par la tonalité et la qualité de leur écriture et par la façon dont ils racontent en le recréant le monde actuel. Nous vous proposons de partager ces découvertes.

De jeunes auteurs français et étrangers :

Polichinelle, par Pierric BAILLY, POL

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P. Bailly

- « Des corps débiles, langues bien pendues, traits tirés, l’été jurassien, de nos jours, campagne française qui lorgne sur tout ce qui bouge de l’autre côté de l’Atlantique, qui saute sur la première occasion de se donner des coups, qui se dépêche de tout casser, de tout gâcher, au cas où il y aurait quelque chose à en tirer. » Voici, rédigée par l’auteur, la jolie quatrième de couverture d’un surprenant premier roman. Il raconte une histoire actuelle : une histoire de jeunes crétins de milieux plutôt aisés – c’est l’année du bac, un peu avant pour certains, un peu après pour d’autres – qui écoutent du rap, qui s’ennuient, qui ont de petites histoires de sexe, qui boivent, qui fument, qui font des bêtises, de grosses bêtises finalement puisqu’il y aura mort d’homme et qu’ils se retrouveront en première page du journal… L’histoire en elle-même est, sinon banale, ordinaire : c’est aussi ce qui fait le prix de ce livre, cette plongée dans une atmosphère et un esprit, une culture, peut-être assez répandus, en tout cas vraisemblables. Et quel langage !… Car, à vrai dire, ce texte nous séduit encore plus par la manière qu’a trouvée l’auteur de le rendre vivant. Il explose littéralement le cadre lexical en mélangeant le patois, le slam, l’argot et, pourquoi pas, la désuétude. C’est drôle, féroce et revigorant à souhait !

Zone, par Mathias ENARD, Actes Sud

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Ed. Actes Sud

- Dans son magistral roman, Mathias Enard nous embarque à bord d’un train de la mémoire et de l’Histoire. Son narrateur, l’homme à plusieurs facettes et plusieurs identités, déroule le récit de sa vie dans une seule et unique phrase qui s’accommode parfaitement du rythme ferroviaire. La première surprise passée, on se sent absorbé par la narration et littéralement propulsé dans une Europe où se jouent de multiples conflits. L’homme est français d’origine croate, issu d’un père résistant, d’un grand-père oustachi et d’une mère patriote-bigote : un conditionnement qui l’oblige presque naturellement à prendre part dans ce bourbier yougoslave où les Serbes, les Bosniaques, les Slovènes et les Croates se livrent la guerre sans merci. Par la suite, il devient porteur de valises dans la Zone, cet espace méditerranéen énigmatique, où la tuerie (plus feutrée peut-être) continue et où personne ne se fait d’illusion sur la bonté de l’homme… A lire de toute urgence.

Le voyage de Gaspard, par Eric PAUWELS, L’Oeuvre

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Ed. L’Oeuvre

- Cinéaste et ethnologue, Eric Pauwels a écrit un premier roman fascinant. Agréablement illustré, ce roman raconte les folles aventures d’un jeune garçon embarqué sur un navire à la découverte d’un monde fabuleux. Dans cette aventure à la logique vertigineuse et aux rebondissements sans fin, on traverse des paysages fantastiques, des villes qui défient le gigantisme : comme s’il s’agissait du roman de la création d’un monde. Ce livre est une fresque romanesque époustouflante dont la lecture est aussi agréable que celle d’un conte. Voici un roman de formation qui pourrait bien enchanter un large public…

Salogi’s, par Barlen PYAMOOTOO, L’Olivier

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B.Pyamootoo

- Ce troisième livre de Barlen Pyamootoo est un récit autobiographique qui prend comme point de départ le décès tragique de sa mère, Salogi, renversée par un bus. Face à ce drame, ses souvenirs affleurent, relayés par les témoignages des membres de la famille, qui se retrouvent tous, venus des quatre coins du monde, pour ses funérailles à l’Ile Maurice, berceau de leur famille.

Issus de la communauté indienne, majoritaire sur l’île Maurice, les Pyamootoo, petits commerçants, subissent la crise économique des années 70 et n’ont d’autre choix que d’émigrer en France. C’est ainsi qu’une grande partie de la famille va s’établir pendant plusieurs années à Strasbourg comme ouvriers. Pour le jeune Barlen, l’arrivée dans un nouveau pays, synonyme de découvertes et d’émancipation, creusera une distance culturelle avec ses parents.

D’une écriture sobre mais émouvante, l’auteur brosse le portrait d’une mère foncièrement généreuse malgré sa pauvreté, attachée à ses origines et à ses traditions malgré les discriminations, et dont le courage force le respect. D’une enfance mauricienne à l’exil français, du retour sur l’île aux funérailles de Salogi, on tourne avec émotion les pages de ce livre, construit en petits paragraphes, comme un album de photos familiales loin des clichés de cartes postales sur la vie insulaire.


Syngué sabour : pierre de patience, par Atiq RAHIMI, POL

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Ed. P.O.L.

- Quelque part en Afghanistan ou ailleurs, une femme veille son mari, blessé pendant un combat. L’homme est dans le coma ; elle s’en occupe, change sa perfusion, et surtout elle lui parle. Que dit-elle à cet inconnu auquel elle a été mariée sans l’avoir vu ? D’abord des prières, “Al-Qahhâr”, mots censés le guérir au rythme du chapelet égrené. Puis un flot de mots pour dire sa vie, sa souffrance, ses humiliations, son corps. Le soir venu, elle retrouve ses deux filles que garde sa tante, femme bannie parce que stérile, femme libre cependant. Elle lui est comme un repère lumineux dans une vie de ténèbres, comme le fut son beau-père, mystique. C’est lui qui lui parla de Syngué sabour, “pierre de patience”, à laquelle, dit la mythologie perse, on peut tout dire jusqu’à ce qu’elle éclate et vous libère. Atiq Rahimi a écrit directement en français. Mais comme dans le persan de ses livres précédents, il racle ses mots sur la terre sèche. Syngué Sabour est une tragédie antique qui laisse résonner le si long silence des femmes d’Afghanistan. Ou d’ailleurs.

Jerusalem, par Gonçalo M. TAVARES, traduit du portugais par Marie-Hélène Piwnik, Viviane Hamy

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Ed. V. HAmy

- L’histoire se passe dans une ville non identifiée.

Le temps d’une nuit, celle du 29 mai, dans une sorte de ballet expressionniste, vont se croiser les chemins des différents personnages. Mylia, qui souffre terriblement, est en quête d’une église ouverte dans la nuit. Ernst est parti à sa recherche. Theodor, pour rejoindre la prostituée Hanna, a laissé son fils Kaas seul à la maison. L’enfant veut retrouver son père, sa route croisera, pour son malheur, celle de l’ancien soldat Hinnerk.

Theodor est médecin et travaille à la rédaction d’une « histoire de la terreur » ; spécialiste du cerveau humain, il s’occupera de Mylia avant de l’épouser, puis de la faire interner à l’asile psychiatrique… Gonçalo M. Tavares éclaire chaque personnage à tour de rôle ; il tisse peu à peu les liens qui relient ces hommes et ces femmes. L’écriture, empreinte de simplicité, les descriptions incisives de l’âme des personnages, l’ironie sous-jacente, constituent la force de ce beau roman sur l’enfermement et l’oppression, par un auteur portugais traduit pour la première fois en français.

Monsieur Valéry, par Gonçalo M. TAVARES, traduit du portugais par Dominique Nédellec ; dessins de Rachel Caiano, Viviane Hamy
- Une autre facette de ce jeune écrivain portugais : un recueil de courtes nouvelles illustrées qui présentent un personnage pratiquant une logique très particulière. Facétie oulipienne où l’on découvre, par exemple, comment Monsieur Valéry organise sa vie quotidienne en ne séparant jamais l’argent de la littérature : « Monsieur Valéry tenait toujours sous le bras un livre entouré d’un élastique et d’une couverture en plastique. En plus de lire le livre, il l’utilisait comme portefeuille pour ranger ses billets… Dans les premières pages il disposait les petits billets, et dans les dernières les plus gros…” Mais aussi comment Monsieur Valéry organise sa maison pour toujours prendre avec sa main droite les objets qui sont à droite et avec sa main gauche ceux qui sont à gauche. Vous découvrirez aussi que : « Monsieur Valéry dormait toujours debout pour ne pas s’endormir ». Tous les textes sont accompagnés de dessins au trait censés rendre claires des situations si logiques qu’elles en deviennent absurdes.

Des écrivains confirmés :

Comme Dieu le veut, par Niccolo AMMANITI, traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, B. Grasset

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Ed. Grasset

- Rino Zena et son fils Cristiano vivent dans une plaine désolée, dans une ville qui pourrait être n’importe où. Si Cristiano est un collégien ordinaire, Rino n’est pas un père comme les autres : chômeur alcoolique et profondément fasciste, il vit sous la surveillance des Services sociaux qui menacent de lui retirer la garde de son fils. Malgré l’amour viscéral qu’il a pour Cristiano, il l’éduque dans la violence et la force brutale. Tous deux luttent pour survivre et pour rester ensemble, avec une sorte de dignité dénaturée. Rino et ses deux amis Danilo et Quattro Formaggi forment un trio de petits malfrats. Un jour, ils décident qu’il est temps d’améliorer leur existence misérable en fracturant un distributeur automatique de billets. Cette nuit-là, la pluie, les crues du fleuve et les torrents de boue balaient tout sur leur passage. De cette tempête apocalyptique et meurtrière émerge la figure lumineuse d’une jeune victime expiatoire, qui va changer à jamais le destin de chacun. La tendresse de l’auteur envers ses personnages imprègne d’une troublante humanité ce récit dans lequel cohabitent horreur et humour désenchanté. Ce roman fort et palpitant nous accroche de bout en bout, en dépit de la noirceur du sujet.

Terre sans maître, par Yann APPERRY, B. Grasset

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Ed. grasset

- Cet étrange et court roman se situe dans un pays germanique, probablement entre les deux guerres mondiales. Un jeune homme un peu perdu tente d’atteindre et de franchir un mur situé au sommet d’une montagne, dont on dit qu’il attire les fous. Pendant ce périple semé de dangers et de rencontres étranges, la mémoire de son passé lui revient peu à peu. Dans un style à la fois simple et travaillé, cette quête d’identité baigne dans une ambiance qui frise le fantastique.

Quelque chose à te dire, par Hanif KUREISHI, traduit de l’anglais par Florence Cabaret, C. Bourgois

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A. Kureishi

- L’auteur de My beautiful laundrette nous revient au mieux de sa forme dans cette chronique familiale épicée dans une société britannique déboussolée. Jamal, le narrateur, est anglo-pakistanais et psychanalyste. Il mène une existence tranquille, en apparence, pimentée par deux personnages hauts en couleur : Henri, un vieux metteur en scène de théâtre libidineux, et Miriam, sa soeur, mère célibataire excentrique, abonnée aux fiascos amoureux. Impassible, il recueille les confidences de l’un et de l’autre, auxquelles s’ajoutent les tourments de son ex-femme, Josephine, les problèmes de son fils de 12 ans et bien sûr les fantasmes de ses patients. Mais c’est sans doute lui le plus ravagé de tous car il va passer à son tour sur le divan pour raconter comment il a survécu à un amour de jeunesse brutalement saccagé.

S’enroulant autour de cette quête amoureuse, le roman restitue au passage, trente ans d’histoire politique britannique, des années 1970 à nos jours, des luttes de classe et des espoirs des familles immigrées, de l’époque où “tout le monde fumait partout, même à la télévision”, jusqu’aux attentats de juillet 2005.

Le tout est vu avec la nostalgie tendrement auto-ironique d’un Jamal-Kureishi confronté à l’angoisse de vieillir.

La minute prescrite pour l’assaut, par Jérôme LEROY, Mille et une nuits

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Ed. Mille et une Nuits

- Comment vivre ses derniers jours quand la fin du monde est pour tout de suite ? C’est la question que tentent de résoudre Kléber, professeur dans un collège du Nord, écrivain, homme de culture et d’hédonisme (qui ressemble beaucoup à l’auteur lui-même) et quelques-uns de ses ami(e)s, dans une épopée dérisoire et décalée.

C’est à peine un roman d’anticipation tant l’action se situe dans un contexte familier (notre belle planète, avec notre petit pays, ses petits soucis). Toutes les menaces qui planent sur nous depuis quelques décennies se cristallisent enfin comme dans un pervers jeu de dominos.

La température est caniculaire, une guerre nucléaire éclate entre l’Inde et le Pakistan, un nuage radioactif venu du Kazakhstan submerge l’Occident, des virus mutants sévissent dans le monde, partout des adolescents ordinaires se transforment en assassins compulsifs par le biais d’un jeu vidéo, la guerre civile fait rage dans la plupart des pays « civilisés » rongés par un libéralisme sécuritaire galopant.

C’est bien notre monde et ses dérives qui sont ici scalpélisés au bord du gouffre par la plume critique et l’humour noir d’un Jérôme Leroy déchaîné.

Sur la plage de Chesil, par Ian McEWAN, traduit de l’anglais par France Camus-Pichon, Gallimard

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Ed. Gallimard

- Les boutiques n’ont pas encore sorti leurs guirlandes de Noël et de toute façon on s’en fiche car on leur préfère en effet, et de loin, la longue guirlande de mots de la plage de Chesil, mis bout à bout pour dire, paradoxalement, l’impossibilité de dire et d’agir. L’essence du roman est résumée par une petite phrase anodine, en dernière page : Voilà, se dit l’un des deux personnages. Voilà comment on peut radicalement changer le cours d’une vie : en ne faisant rien.

Un récit court, ciselé, en cinq actes. Nous sommes dans la prude Angleterre des années 1960. Un jeune couple d’étudiants se marie. Une nuit de noces ratée. Une lune de miel qui tourne au fiasco pour cause de maladresse au lit. Ces deux destins unis et amoureux ne vont pas vivre ce qui était prévu.

Le héros n’a rien fait pour retenir son premier amour et se le reproche. Que s’est-il passé ? Trois fois rien, si l’on y songe. Une non-histoire en somme. Le langage empêché. Le silence étouffant. La paralysie. Le Rien…

Aussi McEwan s’empare-t-il de ce presque rien, d’une importance capitale, qu’il va détailler, fragmenter, dilater à l’extrême pour nous offrir ce petit bijou d’analyse psychologique d’une grande subtilité. On ne peut qu’admirer la manière si juste qu’a McEwan de se glisser dans la peau d’une femme. Une prouesse.

Les mains gamines, par Emmanuelle PAGANO, POL

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E. Pagano

- Que ce soit avec Le Tiroir à cheveux, Les Adolescents troglodytes, ou avec ce dernier roman, Les mains gamines, Emmanuelle Pagano a coutume de malmener son lecteur. Les mains gamines est une histoire de révélation et d’enfouissement. Ce qui est révélé : comment une élève de CM2 a pu être violentée chaque jour de l’année scolaire par les mains gamines des gamins de sa classe. Ce qui a été enfoui : la même chose. La victime, elle, tente de surmonter le traumatisme en confiant à un carnet secret des poèmes épars, crus, où abondent les sexes meurtris et recousus. La femme de son employeur, lequel employeur, enfant, a fait partie des bourreaux, voit son propre malaise existentiel accru par la présence de cette domestique aux comportements insolites. Deux femmes savaient : la mère du seul garçon qui ne se soit jamais joint aux autres et l’institutrice de l’époque. La culpabilité les ravage. Les quatre voix, chacune dans son registre, disent l’innommable. Emmanuelle Pagano est un écrivain dont les sujets dérangent, mais dont les trouvailles stylistiques, syntaxiques, lexicales stimulent suffisamment notre intelligence pour nous épargner de fondre en larmes lorsque nous la lisons.

L’amant des morts, par Mathieu RIBOULET, Verdier

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Ed. Verdier

- Mathieu Riboulet construit son œuvre loin des chemins de la grande renommée. Dans une langue superbe, dénuée de pathos mais empreinte de sensualité, Mathieu Riboulet nous fait pénétrer dans la vie de son héros Jérôme : “Jérôme Alleyrat avait seize ans quand son père prit l’habitude de coucher avec lui, et lui avec son père. La mère a décidé de s’enfuir. Quand il arrive à Paris, un matin de septembre 1991, il a vingt ans. À cette date, l’épidémie de sida bat son plein. Peu concerné par cet événement, tout entier concentré sur la quête d’un plaisir qui frôle l’anéantissement de soi, Jérôme est arrêté au beau milieu de son accomplissement par l’irruption sous son toit de la maladie, en l’espèce : son voisin de palier qu’il recueillera, soignera, accompagnera jusqu’à la fin. De cet épisode fondateur découlera l’orientation de sa vie tout entière. Sa trajectoire remet au centre de notre attention ce qui désormais a disparu derrière le rideau de fumée de la réification triomphante : le goût du sexe, l’élan vers l’autre, la tentation du bien…“.

Le nouveau roman de Mathieu Riboulet nous laisse sans voix. Il y a des passages saisissants, à pleurer, où l’on frémit. On sort différent de ce texte, grandi, bouleversé. On comprend qu’à l’évidence un souffle littéraire fort vient de naître.

Bonbon Palace, par Elif SHAFAK, traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy, Phébus

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Ed. Phébus

- Le nouveau livre d’Elif Shafak, après La bâtarde d’Istanbul. L’auteur met magistralement en scène Bonbon Palace, un immeuble pas comme les autres et ses locataires hauts en couleur. Cet immeuble à l’élégance désuète fut bâti en 1966 à Istanbul, sur le site d’un ancien cimetière musulman et arménien, par un riche Russe. Il l’a fait construire pour sa femme qui ne s’émouvait plus qu’à la vue de friandises…

Si l’édifice a gardé une élégance surannée, il est aujourd’hui infesté par la vermine et les ordures, au grand dam de ses habitants, Bonbon Palace abritant dix appartements. S’y côtoient des personnages variés, composant une mosaïque de la société turque actuelle, reflétant ses aspirations, ses tensions et ses contradictions. Il y a d’abord le narrateur, un professeur abandonné par sa femme. Puis le gérant de l’immeuble, le très religieux Hadji Hadji, conteur cruel à ses heures, au grand désespoir de sa belle-fille. Il y a aussi Djemal et Djelal, les jumeaux coiffeurs, Hygiène Tijen, obsédée par la propreté de son appartement, la mystérieuse Maîtresse bleue…

Quand le narrateur décide de donner un coup de pied dans cette fourmillière et d’inventer un “saint” tutélaire de l’immeuble, c’est tout ce petit microcosme qui s’émeut et se retrouve poussé dans ses retranchements.

Ce roman à voix multiples, celles des différents locataires, nous enchante et nous transporte dans cette ville vibrante qu’est Istanbul la flamboyante. Elif Shafak est une formidable conteuse.

Un second outsider de cette rentrée littéraire : Mark TWAIN, dans une nouvelle traduction.

Les aventures de Tom Sawyer, par Mark TWAIN, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Hoepffner, Ed. Tristram

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M. Twain

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Aventures de Huckleberry Finn : le camarade de Tom Sawyer, par Mark TWAIN, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Hoepffner, Ed. Tristram
- Il existait onze traductions en français des Aventures de Tom Sayer (1876) et des Aventures de Huckleberry Finn (1884), les livres fameux dits « pour enfants » de Mark Twain, ce reporter et grand voyageur, devenu l’un des écrivains les plus célèbres de son temps. Les éditions Tristram viennent de publier la douzième, que signe Bernard Hœpffner. Ce dernier jugeait les précédentes versions françaises fades, c’est pourquoi il a décidé de restituer l’inventivité et la drôlerie des originaux. Il s’est particulièrement attaché à faire entendre le parler des Noirs américains tel que Mark Twain l’a rendu, lui qui fut le premier à se livrer à cette recréation. Bernard Hœpffner a dû également rendre les différents autres dialectes : celui des Blancs du Missouri, celui des enfants, sans en faire ni un charabia, ni une caricature. Pari tenu.

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