La bande dessinée québécoise est “rendue” en France

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Depuis quelques années, les dessinateurs québécois pointent progressivement le bout de leurs cases dans le paysage de la bande dessinée du Vieux Continent. Ce n'est pas le moindre mérite du Lyon BD Festival (23 et 24 juin) que de mettre en valeur les artistes du Québec, régulièrement invités dans le cadre d'un partenariat durable.

Bibliographie "My New York Diary" par Julie Doucet
Bibliographie "My New York Diary" par Julie Doucet
Voici l’occasion de faire ici mieux connaissance avec une bande dessinée dynamique, à la croisée de diverses influences mais dont l’identité s’affirme désormais avec talent.

Une naissance difficile, entre traditions européenne et américaine

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C’est dès le 20 décembre 1902, dans le quotidien La Presse que fut publiée la première bande dessinée québécoise : quatre cases intitulées Pour un dîner de Noël, signées par Raoul Barré.

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En 1904 Albéric Bourgeois publie Les aventures de Timothée dans La Patrie, avant de reprendre, dans La Presse, Les aventures du Père Ladébauche créées par Hector Berthelot.

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Mais, bien vite, les Comic books issus des Etats-Unis s’imposent au Canada. Sauf la parenthèse de la Guerre qui permet (grâce au War Exchange Conservation Act) à quelques artistes québécois, dont Albert Chartier, d’émerger, cette situation perdure jusqu’aux années 1970.

Apparaissent alors des fanzines et des revues locales à la durée de vie éphémère dont la particularité est de s’adresser aux adultes et non plus seulement aux enfants. Malheureusement les coûts et l’absence de réelle politique éditoriale ne font pas le poids face aux albums franco-belges plébiscités par les lecteurs et largement distribués grâce à l’implantation au Québec de maisons d’éditions telles Dargaud ou Dupuis.

Sous la direction de Pierre Fournier, naissent les éditions de “L’Hydrocéphale entêté” et la revue Capitaine Kébec dont l’unique numéro marque les esprits et devient l’emblême de la BDQ.
En 1976 la première grande rétrospective de la bande dessinée québécoise a lieu à Montréal, et peu à peu des ouvrages critiques puis des cours à l’université donneront une légitimité à cet art.
En 1979 est fondé le magazine Croc, d’humour social et satirique, dans lequel apparaît Red Ketchup de Real Godbout et Jérôme Bigras de Jean Paul Eid, puis Safarir son concurrent.

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Les années 80 voient apparaître des petites maisons d’édition spécialisées : Kami Case (1988), Falardeau (1993), Mille-îles (1988) qui développe une collection de BD alternatives puis une filiale française des Editions Les 400 coups.
Les années 2000 : La Pastèque publie la revue Spoutnik et les albums de Rabagliati, L’Oie de Cravan édite Julie Doucet (L’Affaire Madame Paul) et Mécanique générale propose les œuvres de Leif Tande, Philippe Girard et Jérémy Beaulieu, alors que Glénat Québec nous fait découvrir Zviane.
Peu à peu la bande dessinée québécoise tente de s’imposer sur le marché face aux mastodontes européens et américains.

La première édition du Festival de Montréal
exclusivement consacré à la BD a eu lieu les 2 et 3 juin 2012

Florilège de la bande dessinée québécoise en 10 albums

Une piquante petite brunette, par Albert Chartier, Les 400 coups

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Nous l’avons vu, Albert Chartier (1912-2004) est un des pionniers de la BD québécoise moderne. Cet album recueille des strips publiés dans divers journaux entre 1962 et 1967. Ces bandes muettes, à l’humour burlesque, mettent en vedette un personnage baptisé successivement Suzy, Suzette, Elsinore, Zizi, puis Kiki, jeunes femmes définies par l’auteur comme « piquantes », « ingénues », « glamourisées » ou encore « typically French ». Avec ces brefs épisodes bien urbains, il laisse libre cours à son sens du dessin et de la composition, et laisse éclater toute la finesse de son art.

Red Ketchup, par Réal Godbout et Pierre Fournier, La Pastèque

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A l’origine Red Ketchup est un personnage secondaire de la série Michel Risque, du dessinateur Réal Godbout (né en 1951), figure emblématique de la BD québécoise des années 1970, fort influencé par l’école franco-belge. Red, l’agent fou du FBI devient bientôt le héros ( ?) d’une série spécifique : massacres, bombes atomiques, phalanges occultes et assassinats politiques sont au menu. L’humour est noir, le rire est jaune et le rouge coule à flots.

L’affaire Madame Paul, par Julie Doucet, L’Association

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Dans un style graphique proche du graffiti, on suit ici au long d’aventures au quotidien partiellement auto-biographiques, ancrées dans la vie de la métropole Montréalaise contemporaine, des personnages doux amers au parler québécois brut de décoffrage.

Originellement auto-publié en épisodes d’une page dans le fanzine Dirty Plotte (14 numéros entre 1988 et 1990), cet album est représentatif du style de l’auteur. Née en 1965, et « entrée » en BD dans les années 1980, Julie Doucet fut l’un des premiers auteurs québécois à apparaître sur le marché européen. Il est vrai que sa patte est particulièrement en phase avec celle de “L’Association”, éditeur français indépendant né à l’aube des années 1990.

Paul à Québec, par Michel Rabagliati, La Pastèque

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C’est en 1998 que Michel Rabagliati (né en 1961) crée son personnage le plus connu, Paul. Les aventures de cet alter-ego de l’auteur forment, au fil des volumes, une sorte de « BD d’apprentissage » autobiographique. Elles sont publiées aux éditions de la Pastèque en français et aux éditions Drawn and Quarterly en anglais.
En 2003, le deuxième titre, Paul a un travail d’été, remporte le prix Bédéis Causa décerné par le Festival de la bande dessinée francophone de Québec, ainsi qu’un Harvey Award aux États-Unis.
Le 6e album de la série, Paul à Québec (il s’agit de la ville et non de la Province) a reçu le prix du public lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême de 2010.
On y voit Paul acheter sa première maison et faire face à la mort d’un proche, autant d’étapes initiatiques sur le chemin de la vie d’un jeune québécois.

Je ne t’ai jamais aimé, Chester Brown, Les 400 Coups

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Avec Seth et Joe Matt, Chester Brown, né en 1960, fait partie de cette petite communauté d’auteurs québécois anglophones qui cultivent la bande dessinée introspective. Ses premières productions, publiées en traduction française par les éditions des 400 coups à l’aube des années 2000, relèvent effectivement de l’autobiographie. C’est le cas de cet album regroupant diverses histoires publiées originellement en anglais dans Yummy Fur, la revue créée par l’auteur.

Dans cette chronique d’une adolescence en banlieue de Montréal, l’auteur décrit avec subtilité les doutes et les contradictions de cet âge compliqué, entre les difficultés à communiquer avec les proches, la pression sociale des copains de lycée, les relations jamais simples avec les filles et les premiers émois amoureux. Son trait délicat et sa mise en page originale (de petites cases dispersées sur un fond noir) sont en harmonie parfaite avec les états d’âme de son personnage.

Chroniques birmanes, par Guy Delisle, Delcourt

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Auteur prolifique et adepte de genres très divers, Guy Delisle est né en 1966. Au début des années 2000, il tire de ses expériences de superviseur d’animation en Asie la matière de deux albums autobiographiques, entre récits de voyage et BD de reportage , Shenzhen (2001) et Pyongyang (2003). Paru en 2007, Chroniques birmanes relate un séjour d’une année à Rangoon où il suit son épouse, en mission avec Médecins sans frontières.

Ed. Delcourt

Quatre ans plus tard, dans la même veine, paraît Chroniques de Jérusalem qui relate l’année 2008-2009 passée par la famille Delisle en Israël. Ce travail est récompensé par le Prix du Meilleur Album au festival d’Angoulême en 2012.

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Rupert K, par Gilles et Bruno Laporte, Les 400 coups

Le jeune Rupert K. arrive à l’âge critique de l’adolescence, période difficile parsemée de gloires minuscules et, surtout, d’épreuves cruelles : une série déjantée aux couleurs acidulées, héritage d’un Gotlib bien ancré dans le 21e siècle, fruit de l’imagination fertile des frères Laporte, Gilles (né en 1961) et Bruno (1964-2009).

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Comédie sentimentale pornographique, par Jimmy Beaulieu, Delcourt

Entre Corrine et Louis, tout commence de façon très conventionnelle. Pourtant, très vite, Corrine prône l’amour libre. Louis, lui, plonge en pleine crise existentielle. En parallèle, l’écrivain Martin G. soigne ses chagrins d’amour en se lançant dans l’écriture pornographique. Pour ces trentenaires, la vie est un jeu mais cette apparente légèreté masque une quête plus profonde.
Avec cet album de petit format, aux faux airs de blog sur papier, Jimmy Beaulieu (né en 1974), poursuit l’élaboration d’un ambitieux et cohérent roman graphique existentialiste de près de trois cents pages, déclinées au fil de plusieurs albums en écho, composant ainsi une subtile approche contemporaine du Désir.

Rapide blanc, par Pascal Blanchet, La Pastèque

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Cet album de Pascal Blanchet (né en 1980) relate l’histoire de la centrale hydroélectrique de Rapide-Blanc, construite entre 1930 et 1934 par la Shawinigan Water and Power Company, à une soixantaine de kilomètres au nord de La Tuque, et du village aménagé à proximité pour loger les travailleurs et leurs familles.
Dans un style narratif elliptique soutenu par son fameux graphisme pleine page aux dominantes brunes proche des affiches des années 1950, Blanchet évoque la grande et la petite histoire de cette oasis au cœur de la forêt québécoise, de ses débuts dans les années 1930 jusqu’à l’étatisastion de la Shawinigan en 1963 et de la fermeture du village par Hydro-Québec en 1971.

Chroniques sauvages : Teshkan, par François Lapierre, Glénat Québec

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Dans la mythologie du peuple amérindien des Anishnabegs, le cerf est un animal maudit, voué à être toujours chassé par le loup. Animal-totem du clan du cerf, ses membres sont des parias parmi leur propre peuple. Mais avec l’arrivée des colons français, le chef du clan pense pouvoir rompre la malédiction en se soumettant au dieu des blancs. Ainsi il charge Teshkan, son fils, de ramener au village une de ces “robes noires”, comme on surnomme les jésuites. Lors de cette quête, Teshkan doute que la conversion soit la solution et pense qu’il faut plutôt affronter le loup mythique. A mi-chemin entre aventure et ethnologie fantastique, cet album d’un auteur né en 1970, allie à l’inspiration culturelle québécoise l’esthétique dominante des productions populaires européennes contemporaines.

Lyon BD Festival et la bande dessinée québécoise

Lyon BD 2012

L’alliance du 9ème art entre le Québec et Lyon se consolide en 2012 avec de nouveaux projets et de nouveaux auteurs.
Lyon et le Québec dessinent ensemble une belle histoire : après Jimmy Beaulieu, Real Godbout et Zviane en 2011, c’est au tour de Michel Rabagliati, Guy Delisle, Delaf et Dubuc de fouler le sol de la Capitale des Gaules en 2012. Les liens créés par la délégation de Lyon BD à l’occasion de leur séjours au Québec à la découverte des auteurs, illustrateurs et scénaristes locaux, ont donné lieu à de nombreux projets qui se poursuivent sur le web par l’écriture collaborative d’un feuilleton Web trip comics à l’échelle mondiale.

Le week-du 23 et 24 juin 2012 sera fort en découvertes, alors rendez-vous au Palais du Commerce, où la Bibliothèque municipale de Lyon vous accueillera dans son coin lecture avec une sélection des albums de nos amis québécois entre autres.

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