Mort d'un écrivain aventurier

Edouard Limonov RIP

- temps de lecture approximatif de 2 minutes 2 min - par gdamon

Le 17 mars 2020, alors que le monde s'apprêtait à se confiner, l'écrivain et activiste politique russe Edouard Limonov mourait au cours d'une intervention chirurgicale à Moscou.

Si on s’en tient aux rares nécrologies que lui ont consacré les journaux français, Edouard Limonov, décédé le 17 mars, fut, au choix, un chef de parti politique de seconde zone et aux options pour le moins discutables, ou le personnage principal d’un roman d’Emmanuel Carrère.

Si aucune de ces deux définitions n’est totalement dénuée de fondement, on se doit de rappeler qu’Edouard Veniaminovitch Savenko, né en 1943, a surtout été un écrivain de premier ordre.

Après une jeunesse de petite délinquance à Kharkov (Ukraine), il fut tout à tour poète prometteur dans les cercles branchés de la Moscou des 60’s, exilé miséreux aux Etats-Unis, figure provocatrice des milieux littéraires parisiens, guerriero proserbe avant, au milieu des années 1990, de revenir en Russie et de fonder le parti national-bolchévique.

Oublié en occident, il fera ensuite de nombreux séjours en prison, se présentera plusieurs fois aux élections présidentielles, sera le compagnon de route de tous les leaders de l’opposition à Poutine, avec lesquels il se fâchera tour à tour, sans jamais cesser d’écrire des romans (autobiographiques) et des recueils de poésie à un rythme quasi industriel.

S’il fut redécouvert en France en 2011 après la la publication d’un roman qui valut le prix Renaudot à Emmanuel Carrère, il demeure un des grands écrivains méconnus de notre époque. Il suffit pourtant de se replonger dans ses livres pour s’apercevoir qu’il n’ont rien perdu de leur acidité.

 

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Journal d’un raté, écrit à New York à la fin des années 1970, est peut-être le plus jouissif. À cette époque, l’écrivain, inconnue et en pleine rupture sentimentale, vivote cloîtré dans une chambre d’hôtel minable ou fait le majordome chez un businessman aux idées larges ; de là, il fait le procès d’une Amérique-mirage qui dévore les espérances de ses nouveaux enfants. Ces pages, animées d’une rage nihiliste, débordent pourtant d’humour et d’énergie – et on en a bien besoin, en ces temps :

 

“À mon âge, à force d’observer toujours à distance, je connais tout des gens. Je les trouve cocasses. Ceux-là dansent, ceux-ci chantent. Beaucoup sont ivres ou ont trop fumé. Un respectable monsieur à cheveux blancs, qui s’est tu toute la soirée, bondira soudain pour exécuter une danse subconsciente saugrenue.

Jamais de surprise. L’ennui. Celui-ci a vieilli, celui-là est en train. Cet autre y vient.

Comme si le but de la vie était que N. trouve le job de ses rêves, M. sorte son livre, E. fasse un bon mariage et D. s’achète son brownstone à New York.

Moi je suis un Tataro-Mongol. Ma mère est de Kazan. Nous, les Mongols, nous sommes rusés et sages. Ici j’évolue parmi les gens avec ma frange jusqu’aux sourcils et un sourire poli, dissimulant mon farouche ennui mongol forgé dans les steppes noircies, devant des villes en ruine, après qu’on eut égorgé tous les hommes, mangé toute la viande, baisé toutes les prisonnières, et Dieu sait quoi encore. La plénitude de la vie. Oh, mes frères, quel ennui !”

 

 

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