Lectures estivales 2009

- temps de lecture approximatif de 20 minutes 20 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

N'attendez pas la rentrée avec les nouveaux 600 romans publiés pour trouver quelque chose à vous mettre sous la dent ! Voilà l'occasion d'une « lecture rattrapage » de tous les romans que vous n'avez pas eu le temps ou l'occasion de lire pendant l'année.

Lectures estivales © Pixabay
Lectures estivales © Pixabay

Prenez le temps de savourer, de déguster, de vous attarder sur ces ouvrages que nous avons choisis pour vous au cours des 12 derniers mois. Ils ont été lus et sélectionnés par plusieurs bibliothécaires aux goûts aussi variés que les vôtres. Vous trouverez certainement ceux qui vous intéresseront, ceux qui vous enchanteront, ceux qui vous délasseront, ceux qui vous emporteront, ceux qui vous feront voyager à la fois dans l’imaginaire des auteurs et dans les univers qu’ils décrivent… Appréciez-les allongés sur la plage, comme récompense le soir après une randonnée en montagne ou tout simplement pour vous évader depuis votre canapé ou votre jardin, ces romans sont à consommer sans modération !

Se laisser porter par le souffle léger des mots

La Reine des lectrices, d’Alan BENNETT, Denoël


Bien connu Outre-Manche, Alan Bennett est un touche-à-tout, auteur de pièces de théâtre et de romans, scénariste de séries télévisées, et comique grinçant. Il nous livre ici une farce jubilatoire : la reine d’Angleterre se découvre par hasard un goût pour la lecture en entrant dans un bibliobus et en y rencontrant un de ses employés, qui va devenir son “guide du débutant” en quelque sorte. Petit à petit, rien n’arrête son appétit dévorant et elle en vient à négliger ses engagements. Du valet de chambre au prince Philip, tout Buckingham grince des dents tandis que cette passion royale bouscule le protocole empesé.
Délicieux et acide comme un bonbon…Just read it !

Firmin : autobiographie d’un grignoteur de livres, de Sam SAVAGE, Actes Sud


Premier roman en forme d’hommage à la littérature, extravagant et drôlatique. Un rat né par hasard dans les pages d’un livre mythique, Finnegan’s Wake, perdu dans une librairie lépreuse d’un quartier tout aussi lépreux et dégradé de Boston, se découvre vite le goût de la lecture. Il se prend d’amitié pour le propriétaire. Et quand celui-ci le repère, Firmin en est certain : c’est le début d’une amitié sincère, deux grands lecteurs ne peuvent que se reconnaître ! D’ailleurs son intuition se confirme : il lui dépose de la nourriture. En fait, de la mort-au-rat… Empoisonné, recueilli et sauvé par Jerry Magoon, écrivain alcoolique et marginal, il va revivre et se plonger dans sa bibliothèque. Avec lui, il découvre la musique, le cinéma. Mais tout l’univers de Firmin va se déglinguer.

Je suis très à cheval sur les principes, de David SEDARIS, L’Olivier


Porter un nœud papillon nuit-il gravement à la vie sexuelle ? Peut-on larguer son petit ami quand on ne sait ni cuisiner ni lire un plan ? Faut-il avoir peur des microbes dans les salles de cinéma ? Comment peut-on être Français ? Voilà quelques-unes des questions que pose Sedaris.
A la manière de Woody Allen, il cingle de son humour noir les travers de notre société, dézingue tout et tout le monde, à commencer par lui-même. Complexé, capricieux ou exubérant, il nous raconte sa vie avec un sens de la comédie hors du commun. Il a l’art de façonner de simples anecdotes pour en former des récits uniques aux allures de confidences. Drôle, émouvant, cinglant, il s’engage à raviver les couleurs d’un quotidien devenu gris et sans surprise. Comme un chercheur d’or, il rassemble les petites perles égrainées de notre existence, tous ces précieux détails qui illuminent ou ternissent le chemin de la vie. Une plume tendre et caustique pour un recueil d’anecdotes aigres-douces.

Sous le charme de Lillian Dawes, de Katherine MOSBY, Quai Voltaire

Gabriel, dix-sept ans, renvoyé du pensionnat pour avoir fumé un cigare dans la chapelle, s’installe à Manhattan chez son frère Spencer, qui, rompant avec la tradition de leur aristocratique famille, a renoncé à la carrière diplomatique pour la bohème littéraire. Gabriel découvre avec délectation la liberté, les flâneries dans les rues new-yorkaises, le plaisir des bars des grands hôtels. C’est dans le grand monde, dont son frère lui ouvre les portes, qu’il croise le chemin de Lillian Dawes. Artiste ? Aventurière ? Espionne ? Cette jeune femme, indépendante, mystérieuse et captivante, semble mener plusieurs vies. Qui est-elle vraiment ? Les têtes tournent, les cœurs fondent, tandis que l’on porte des costumes de lin blanc dans les garden-parties en écoutant Nat King Cole. Tout est exquisément chic dans ce roman, les phrases sont en gin et martini, les sentiments, légers, en seersucker.

Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, de Mary Ann SHAFFER, Nil

Ce petit bijou est le seul roman de M.A. Shaffer (écrit avec sa nièce A. Barrows, elle-même auteur de livres pour enfants). Tandis que Londres se relève douloureusement de la guerre, Juliet, jeune écrivain, cherche un sujet pour son prochain roman.
Comment pourrait-elle imaginer que la lettre d’un inconnu, natif de l’île de Guernesey, va le lui fournir ? Au fil de ses échanges avec son nouveau correspondant, Juliet pénètre un monde insoupçonné, délicieusement excentrique, celui d’un club de lecture au nom étrange inventé pour tromper l’occupant allemand : “Le Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey”.
De lettre en lettre, Juliet découvre l’histoire d’une petite communauté débordante de charme, d’humour, d’humanité. Et puis vient le jour où, à son tour, elle se rend à Guernesey. Un roman épistolaire qui révèle l’histoire de l’île et l’impact de l’occupation allemande sur ses habitants. C’est enlevé, avec un petit charme désuet dans l’écriture pourtant vive et amusante.
Du Jane Austen avec un zeste de chick lit, isn’t it terrific ?

Se laisser surprendre par des inconnus

Le roi blanc, de György DRAGOMAN, Gallimard


Un garçon de onze ans voit son père partir, encadré par des étrangers. Nous sommes en Roumanie, au milieu des années 80, et très vite il devient évident que le père du narrateur a été déporté en tant qu’opposant au régime.
Les jours passent, sans la moindre nouvelle de lui. En attendant, le garçon s’occupe tendrement de sa mère qui ne lui dit rien et essaie de remplacer son père.
Outre le point de vue enfantin, tantôt fluide et tantôt chaotique, le style de Dragomán se caractérise par des descriptions extrêmement détaillées. Son récit déborde de souvenirs et d’objets : jouets, cartes, couteaux de poche, armes “faites maison” pour aller combattre les garçons de la rue d’à côté. L’enfance racontée est loin d’être idéalisée. Ses personnages font face à l’oppression constante d’un système qui infiltre la société, privant les individus de leurs âmes et de leur bonté.

Comme Dieu le veut, de Niccolò AMMANITI, Grasset

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Rino Zena et son fils Cristiano vivent dans une plaine trempée de pluie. Les services sociaux menacent le père, chômeur alcoolique et nazi, de lui retirer la garde de ce fils qu’il éduque dans la violence et la force brutale, malgré l’amour viscéral qu’il lui porte. Le père et ses deux étranges amis, décident d’améliorer leur existence misérable en préparant un casse. Cette nuit-là, la pluie, les crues du fleuve et les torrents de boue balaient tout sur leur passage. De cette tempête apocalyptique et meurtrière émerge la figure lumineuse d’une jeune victime expiatoire qui va changer à jamais le destin de chacun. Une Italie dévastée par la vulgarité et l’abrutissement consumériste, une société dans laquelle les exclus sont abandonnés à leur haine et à leur désespoir, mais la tendresse de l’auteur envers ses personnages imprègne d’une profonde humanité ce roman où cohabitent horreur et humour.

Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, de Darina AL-JOUNDI, Actes Sud


Darina Al-Joundi est née au Liban d’une mère libanaise chiite et d’un père syrien laïc qui, dans l’éducation de ses filles, a appliqué la formule “Il est interdit d’interdire” et “La liberté avant tout”. Darina, sa fille chérie, va l’expérimenter dans tous les domaines : celui du sexe, de la drogue, de la vie en couple. Mais le Liban est en guerre, le père meurt et le pouvoir religieux prend de plus en plus de place dans la vie des gens…
Ce récit raconte la folie de la guerre civile qui a ravagé le pays. On y voit l’effondrement progressif de tous les idéaux de la génération de l’auteure qui, elle, a payé cher les échecs des sociétés arabes dans lesquelles les envies personnelles se plient fatalement sous le poid de la religion. Ce livre est drôle, émouvant et révoltant à la fois. C’est une belle leçon de courage et de vie malgré tout.

Le livre de Rachel, d’Esther DAVID, Héloïse d’Ormesson


À Danda, un village près de Bombay, Rachel est la dernière représentante d’une communauté juive établie depuis deux mille ans, les Bnés Israël. Elle est veuve et bien que ses enfants soient partis vivre en Israël, elle veut rester dans ce pays où son mari est enterré. Sa vie repose sur deux piliers : la synagogue de son village, où elle s’est mariée et qu’elle entretient avec ferveur, et la préparation de recettes traditionnelles judéo-indiennes.
Lorsque des promoteurs cherchent à acheter la synagogue et ses terrains alentour pour un projet immobilier, Rachel décide de se battre, de façon plutôt inattendue, pour protéger ce monument de sa foi et le seul lien qui la relie à l’héritage juif de ses ancêtres.
La meilleure partie du livre est, cependant, la recette traditionnelle qui ouvre chaque chapitre du roman : curry masala, poulet kesari, patates tilkout, tchaï, qui font resurgir les saveurs du passé et jouent un rôle primordial dans le déroulement du roman. Foisonnant de couleurs et de saveurs.

Goûter le plaisir des relectures

Récits érotiques et fantastiques, d’André PIEYRE DE MANDIARGUES, Gallimard

Dans les années sordides ; Le musée noir ; Soleil des loups ; Marbre ou Les mystères d’Italie ; Le lis de mer ; Feu de braise ; Porte dévergondée ; Mascarets ; Sous la lame ; Le deuil des roses ; Monsieur Mouton : ces courts récits, formes littéraires que Mandiargues affectionnait, gravitent autour de thèmes récurrents : érotisme noir et fantastique avec une scénographie sophistiquée. Un avant-propos, une présentation de la vie et de l’oeuvre de l’écrivain ainsi qu’un autoportrait complètent cette édition.

Berlin, Alexanderplatz : histoire de Franz Biberkopf, d’Alfred DÖBLIN, Gallimard

Ce roman, que la rumeur a rendu mythique depuis sa parution en 1929 à Berlin, est publié aujourd’hui en France dans une nouvelle traduction signée Olivier Le Lay. Pendant 2 ans Olivier Le Lay s’est approprié le texte de Döblin et a réussi à « faire sonner la ville dans le texte ». En effet le titre de ce roman invite clairement à considérer que le rôle central est tenu par la ville même de Berlin. Pourtant ce roman porte en sous-titre : « l’histoire de Franz Biberkopf ». Franz Biberkopf, ancien débardeur et cimentier retourne à Berlin aussitôt libéré de prison ; il veut devenir honnête mais replonge au contact de Reinhold, un souteneur ; son parcours est une suite d’aventures, à l’issue duquel il affronte ses démons intérieurs ; en mettant de l’ordre dans son chaos, il prend encore des coups mais en sort debout, résigné. L’originalité de “Berlin Alexanderplatz”, est que la ville ne forme plus un simple décor. La métropole moderne vit, bouge, respire. Elle est grouillante, vociférante, effrayante. Pour traduire cette existence, Döblin se sert de collages : il reproduit des extraits de publicités, d’articles de journaux, d’affiches, de statistiques. Il jongle également avec tous les langages possibles qui la traversent, des rengaines aux chants militaires, des discours politiques à l’argot de la pègre et au yiddish. En intégrant tous ces éléments dans son récit, il donne au personnage de Biberkopf l’ampleur d’un héros épique. “Berlin Alexanderplatz” est l’un des rares romans qu’on peut ouvrir à n’importe quelle page, lire pendant une heure ou deux, abandonner et reprendre ailleurs sans en gâter le plaisir. Par sauts et gambades en quelque sorte.

Frissonner dans le soir avec des polars

Fakirs, d’Antonin VARENNE, Viviane Hamy

Dans la vie du lieutenant Guérin il y a un avant (au 36, quai des Orfèvres) et un après (au Suicides, placard particulièrement redouté par la Judiciaire). Il y a aussi son perroquet déplumé et dépressif et son stagiaire, pas très dégourdi.
Un jour, Guérin et Lambert vont croiser John Nicols, un Franco-Américain installé dans un tipi, au fin fond de la campagne française. Tous les trois vont essayer d’élucider la mort d’un ami américain de Nicols, un ex-marine reconverti dans un spectacle underground parisien. Celui-ci serait décédé tandis qu’il s’écorchait en direct sur la scène d’une boîte branchée sado-macho. Nicols qui, par ailleurs, détient des documents parlant du passé d’Alan, est convaincu que cette sinistre mise en scène a été préméditée par quelqu’un d’autre que son ami.
D’autant plus qu’ils assistent à une série de suicides très spectaculaires qui pourrait bien cacher une manipulation…

Un pays à l’aube, de Dennis LEHANE, Payot & Rivages


Etats-Unis, 1918, la première guerre mondiale se termine en Europe, l’Amérique se remet difficilement : l’inflation fait des ravages, en particulier dans la classe ouvrière. C’est l’époque des premières grandes luttes syndicales, de la formation de groupes anarchistes issus de la révolution bolchévique, des mouvements de lutte contre la ségrégation raciale.
Dans cette histoire, d’une densité incroyable, Dennis Lehane mêle magistralement la fiction et l’Histoire. Luther est un jeune ouvrier noir qui fuit son passé, et deviendra militant malgré lui, sa route le conduira à Boston. Dans cette ville, Danny, agent de police chargé d’infiltrer les milieux syndicaux, se retournera contre ses patrons et sa famille et prendra la tête du mouvement de grève de la police de Boston en 1919. Le destin va réunir les deux hommes…
La construction de ce livre, loin des sentiers battus du roman policier, est magistrale.

Noir béton, d’Eric Miles WILLIAMSON, Fayard


Le personnage central de ce roman c’est le béton, ou plus exactement la gunite : une glaise collante faite de ciment et d’eau, projetée sous pression sur les fondations des immeubles, les piles de ponts, les tunnels et les digues. C’est un travail dur, fatigant et dangereux. Dans la gunite il y a du béton, du sable, de l’eau, mais il y a aussi des doigts, des bouts d’os, de la chair, du sang des ouvriers qui ressentent cependant cette fierté d’atteindre le « Two-up » (titre original du roman), c’est-à-dire une cadence maximale et la projection à fond de la gunite. Les hommes s’appellent : Broadstreet, Rex, Juan, Don Gordo, Colby Root.
Il y a longtemps, Broadstreet a du avoir une vie, une femme, un enfant ; mais aujourd’hui il n’est plus que son travail, il dort sur les chantiers, il hante les quartiers mal famés de San Francisco et ne se nourrit plus que d’alcool. De chantier en chantier nous suivons l’équipe des guniteurs, au rythme des accidents et des visites du patron Mazzarino qui n’envisage que le rendement des hommes et des machines. La dureté de ce milieu, est adoucie grâce à un art maîtrisé de l’ellipse et une succession de scènes courtes où certaines réflexions des personnages frôlent la métaphysique et atteignent le sublime.

Little Bird, de Craig JOHNSON, Gallmeister


Absacora, une petite ville de Wyoming, est administrée par le shérif Walt Longmire depuis des années. Celui-ci se prépare à une retraite bien méritée. Ces collègues le regrettent déjà, car Walt a un sens de l’humour et de la répartie qui anime la vie, parfois monotonne, du service.
Pas loin de la réserve indienne voisine, on a retrouvé le corps sans vie d’un jeune homme, Cody Pritchard, personnage pas vraiment sympathique, qui, quelques années plus tôt, a participé au viol collectif de Melissa Little Bird, une jeune indienne. Les accusés, à l’époque, ont écopé d’une peine minime et la balle qui a tué Pritchard pourrait bien venir du fusil de Henry Standing Bear, meilleur ami de Walt et oncle de Melissa. Acte de vengeance ou accident de chasse ?
Les personnages bien dessinés et attachants, le cadre naturel exceptionnel, l’intrigue bien ficelée : tout est là pour notre grand plaisir de lecture.

S’évader au-delà du monde réel

En panne sèche, d’Andreas ESCHBACH, L’Atalante

Ce roman est à la fois un efficace thriller au présent et une fiction d’anticipation proche basée sur des données réelles. Dans le contexte contemporain de la raréfaction du pétrole, un autodidacte cherche à commercialiser, avec l’aide d’un ambitieux partenaire, un système de son invention permettant de repérer de vastes réserves du précieux carburant. Les compères vont, bien sûr, se retrouver rapidement confrontés à de nombreux groupes d’intérêts opposés, craignant la remise en cause de la configuration géopolitique de la Planète. Las, ce qui doit fatalement arriver finit néanmoins par se produire, et voici le monde confronté à la fameuse « panne sèche » dont tout le monde préfère ignorer l’éventualité. Andreas Eschbach, rare et talentueux représentant de la SF allemande, explore ici les multiples facettes d’un des enjeux les plus problématiques du monde contemporain : la dangereuse dépendance à une source d’énergie en voie de disparition et ses désastreuses conséquences sur l’avenir des sociétés humaines. Grâce à une habile construction éclatée entre les différents lieux et “temps” du récit, le croisement des points de vue de nombreux personnages humanisant son propos, l’auteur réussit le tour de force de rendre passionnant un roman de 700 pages, sans temps mort, tout en transmettant une information dense et très documentée, propice à une saine réflexion. Et ça fait froid dans le dos…

Roi du matin, reine du jour, de Ian McDONALD, Denoël

D’une grande densité, ce roman anglo-irlandais relève à la fois du Fantastique (par son enracinement dans une réalité socio-historique concrète) et de la Fantasy (par le constant affleurement du monde mythologique et de ses créatures).
Il prend la forme de trois « portraits » de femmes irlandaises, situés respectivemùent au début, au milieu et à la fin du 20e siècle. Chaque histoire est narrée dans un style adapté au contexte et à l’époque où il se déroule, mais chacune des trois « passeuses », Emily, Jessica et Enye, considérées comme folles ou sorcières suivant les interlocuteurs, a pour point commun d’être, malgré elle, en relation avec le monde des mythes.
Ce subtil entrelacs de visions et de points de vue, d’approches religieuse, politique, psychanalytique, affective, dresse à travers ces femmes, une carte de l’Irlande, Terre d’imaginaire, et propose une plongée ébouriffante dans l’inconscient collectif de l’humanité.

Le Rare, de Didier TALMONE, Interkeltia

Voici un « petit » livre plutôt réjouissant. Sur une trame classique de roman d’aventure/science-fiction, ce premier roman voit un « Rare » (c’est comme cela qu’on appelle les étrangers en cette île particulièrement inhospitalière) découvrir l’étonnante communauté autarcique du seul village épargné par le mystérieux nuage acide qui recouvre ce lieu depuis quelques années.
Scientifique et prêtre, Elvis est venu avec un compagnon (vite terrassé, comme les rares visiteurs, par la brume que l’on n’affronte pas sans équipement) dans un but de repérage pour la construction d’un temple dont les études ont montré qu’il trouverait sur cette île l’emplacement idéal. Ethnologue malgré lui, Elvis se retrouve confronté à cette véritable Cour des miracles et finira peut-être, avec ou malgré eux, par percer le mystère du volcan dont la brume a enseveli le lieu.
L’humour omniprésent et la poésie dont l’auteur parsème les péripéties débordantes d’imagination du roman, sont admirablement servis par un style très personnel et d’une « rare » inventivité.

Les âmes vagabondes, de Stephenie MEYER, J.C. Lattès


Le premier roman pour adulte de l’auteur de la trilogie encensée “Fascination”, “Tentation”, “Hésitation”, “Révélation”. La Terre est envahie par des extraterrestres invisibles, des « âmes » qui, petit à petit et sans violence, s’emparent du corps des hommes pour les habiter, annihilant l’esprit humain qui y réside. Melanie Stryder fait partie du dernier groupe d’hommes libres. Lorsqu’elle est capturée par les Traqueurs, une sorte de milice, on lui insère Vagabonde, une âme exceptionnelle qui a déjà connu plusieurs corps. Vagabonde est expérimentée, douce mais forte, persuadée du bien fondé de la philosophie des âmes. L’esprit de Mélanie refuse de lui céder la place.
L’âme explore les souvenirs de Melanie dans l’espoir de découvrir l’endroit où se cachent les derniers résistants humains. Mais à la place de ces informations, Melanie submerge Vagabonde par les images de l’homme qu’elle aime, un humain encore en cavale. Incapable de se dissocier des pulsions de son corps d’emprunt, Vagabonde commence à aimer l’homme qu’elle est censée livrer aux autorités. Face aux pressions extérieures, Melanie et Vagabonde se retrouvent alliées malgré elles et s’enfuient ; commence alors pour elles une quête incertaine et périlleuse.

Novice, d’Octavia BUTLER, Au Diable Vauvert

Une jeune fille, presque une enfant, se réveille dans le noir. Elle est mutilée et totalement amnésique. Autour d’elle, tout n’est que ruines. Un homme, Wright, passe en voiture et lui propose son aide qu’elle accepte ; ils entament immédiatement une relation amoureuse ambiguë. D’indices en recherches sur les lieux du drame, elle va retrouver quelques parents qui vont lui apprendre qui elle est et surtout ce qu’elle est.
Shori est en fait un vampire hors du commun, (elle possède des gènes humains), une « Ina », qui peut vivre à la lumière du jour. Elle parvient à fuir en compagnie de Wright devenu son symbiote (celui qui lui donne son sang pour qu’elle vive) et de deux autres symbiotes alliées à sa famille. Ensemble, ils cherchent d’autres Ina qui lui permettront peut-être de comprendre le pourquoi de ces tueries de Communautés et l’identité des assassins. Haletant, original, attachant, ce livre aborde également des thèmes sous-jacents tels que le racisme et la différence.

Parcourir le siècle en bonne compagnie

Le lièvre de Patagonie : mémoires, de Claude LANZMANN, Gallimard

Roman d’aventures, récit de voyages, souvenirs intimes, ce livre est comme le lièvre du titre : fou de vie et en perpétuel mouvement. Ecrit pour ne pas oublier le lièvre qui parvenait à s’enfuir des camps de concentration en passant sous les barbelés. Ce livre est l’histoire d’un homme libre à la pensée vive. C’est un texte multiple, foisonnant, contraire à la pensée unique. C’est l’histoire du 20e siècle, avec ses lumières et ses horreurs, retracée par le biais d’une foule de micro-histoires d’amour, d’amitié, de guerre, de cinéma,…Claude Lanzmann est un conteur qui nous tient en haleine tout au long des 500 pages où se bousculent tragique et humour, passion et réflexion.

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Mémoire, de Catherine CLEMENT, Stock

Catherine Clément est un personnage si public que l’on sait plus ou moins tout d’elle. Alors, l’on se dit pourquoi lire Mémoire, puisqu’elle a tout raconté ailleurs de façon dispersée et à de multiples reprises – 30 livres, des centaines d’articles. L’on s’empare quand même de Mémoire par goût des livres appartenant à ce genre, tout en remarquant que Mémoire ne porte pas de « s ». C’est que Catherine Clément – 70 ans – ne s’est appuyée sur aucune archive !
L’on s’en empare pour rafraîchir sa propre mémoire, pour se plonger avec délectation dans cet univers et ce temps où le mouvement des idées était primordial. Force est d’admettre que la vivacité de ses souvenirs, le dévoilement de ses secrets, l’analyse de son drame intime – être née d’un père catholique et d’une mère juive durant la guerre -, ses retrouvailles tardives avec son frère émeuvent.
Tout en progressant dans la lecture, on est fasciné par tout ce peuple de gauche – extrême, communiste puis socialiste – qu’elle nous fait rencontrer. Avec qui a-t-elle oublié d’étudier ? d’enseigner ? de militer ? Cependant, passés les portraits des trois grands maîtres – Jankélévitch, Lévi-Strauss, Lacan – l’on est alors aux deux tiers du livre, subitement, l’on se met à ne plus supporter Catherine Clément et sa fausse modestie permanente, du genre, N’allez pas croire que c’est moi qui suis allée chercher Mitterrand, il est venu vers moi, comme un agneau, pareil pour Chirac, ces hommes-là, savez-vous, sont de grands enfants, et d’ailleurs il leur est arrivé, il leur arrive de me faire pleurer d’émotion. Car Catherine Clément pleure beaucoup, de joie, de tristesse, de tant s’éblouir elle-même.
Alors une recommandation : ne lisez pas de façon linéaire ce livre, attaquez le par son index, de cette façon vous n’aurez pas le temps de vous fatiguer de la dame et vous découvrirez des croquis époustouflants, des scènes mémorables, des épisodes historiques.

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Composition française : retour sur une enfance bretonne, de Mona OZOUF, Gallimard

A l’instant de mourir, Jean Sohier, jeune instituteur de Plouha (Côtes-d’Armor), murmure à l’oreille de sa femme, Anne, d’ultimes recommandations concernant leur fille, Mona, alors âgée de 4 ans : « Ne l’ennuie pas avec nos idées ; plus tard, elle lira et comprendra. » Elle a en effet beaucoup lu, elle a écrit, aussi. Des ouvrages magistraux sur la Révolution française, la république des instituteurs. Avec ce livre, Mona Ozouf retrouve le chemin de la Bretagne d’avant-guerre où elle est née et a grandi. Dans ce territoire exigu et clos, entre école, église et maison, il fallait vivre avec trois lots de croyances disparates, souvent antagonistes. À la maison, tout parlait de l’appartenance à la Bretagne. L’école, elle, au nom de l’universelle patrie des droits de l’homme, professait l’indifférence aux identités locales. Quant à l’église, la foi qu’elle enseignait contredisait celle de l’école comme celle de la maison. Plein d’émotions, de parfums d’enfance ce récit montre comment on peut épouser les valeurs universelles sans être infidèle à ses origines.

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