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Intoxication

Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates : une bataille d'influence contre la santé

Stéphane Horel

Comment les lobbyistes des grandes entreprises exercent leur pouvoir d'influence et mettent en place une stratégie d'empêchement législatif autour des perturbateurs endocriniens.

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Stéphane Horel, journaliste mais aussi auteure de nombreux documentaires, aborde ici le sujet des perturbateurs endocriniens, des lobbyistes et des bureaucrates, ou comment une bataille d’influence acharnée est mise en place auprès des décideurs européens. En effet, l’Europe a décidée, depuis 2009, de réglementer les perturbateurs endocriniens, voire de les interdire, au grand désappointement des entreprises du secteur. Cette perspective agite ainsi toute la basse cour lobbyiste européenne. Quand on prend la mesure de l’impact de la pollution environnementale sur notre santé, la contamination progressive de l’eau, de l’air et de l’alimentation, il existe de nombreuses raisons de s’inquiéter. Une menace invisible souvent mesurée en terme d’impacts économique mais rarement en terme de coûts pour la santé. L’objectif de Stéphane Horel est d’alerter les citoyens, les scientifiques septiques et les autorités politiques parfois plus aptes à être sensibilisés aux pressions économiques qu’aux dangers en terme de santé.

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De plus, Stéphane Horel se livre à une véritable enquête policière, elle analyse et dissèque les méthodes utilisées par les lobbyistes pour arriver à leurs fins, et on en reste sidérés. Nous prenons connaissance des “éléments de langage” utilisés par ces groupes. Leur capacité à argumenter autour d’une science “sensée”, le rejet du principe de précaution, leur crainte pour l’innovation, les pinailleries sur la définition même de perturbateur endocrinien, toutes les armes à leur disposition pour freiner voire supprimer la reconnaissance et la législation autour de cette problématique. Ils construisent leurs propres critères d’évaluation et biaisent les résultats, aidés en cela par des scientifiques acquis à leur cause, en mettant en avant l’absence de relation de cause à effet. Un seul but : fabriquer du mensonge et de la désinformation pour que le doute s’installe et bloquer ainsi toute réglementation à ce sujet. En plus de cette arme, les entreprises du secteurs de la chimie n’hésitent pas à faire du chantage économique aux pays. Certains prétendent même que ce ne sont pas les perturbateurs endocriniens qui sont en cause dans les déséquilibres hormonaux mais le mode de vie des citoyens qu’il faudrait revoir !
Quand à la progression exponentielle des maladies chroniques et cancers liés à la pollution environnementale, le coût en vies et en soins, les industriels s’en moquent tant que les bénéfices sont au rendez-vous…

: :> A voir : un débat sur Perturbateurs endocriniens : combien vaut notre santé ?
Perturbateurs endocriniens : combien vaut notre… par publicsenat

: :> A lire :

“Intoxication” : comment les lobbys ont eu le dernier mot (au détriment de notre santé)
Extraits du livre :

Quand l’industrie fait la loi (p. 31)

“Ainsi, la plupart des chantiers législatifs européens impliquent dès le départ des acteurs privés – que ce soient les lobbies industriels ou des organisations qui représentent la société civile. Mais pour quel résultat, si la majorité des experts représentent des intérêts commerciaux ? “La personne à qui vous allez poser la question détermine en grande partie la réponse”, décrypte Martin Pigeon. “Si vous demandez à l’industrie chimique ce qu’elle pense d’une réglementation, vous n’allez pas obtenir la même réponse que si vous demandez à un médecin, un universitaire ou un économiste qui n’aurait pas de liens d’intérêt avec l’industrie – ce qui est assez rare, malheureusement.”

Or ce “dialogue avec les parties prenantes” qui remplace le débat démocratique à Bruxelles correspond en tous points à une stratégie d’influence. Écrire la loi (ou la détricoter), n’est-ce pas la raison d’être du lobbying ? (…)

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Décrédibiliser les scientifiques : un métier (p. 67)

Parce qu’elle n’a pas réussi à se débarrasser du scientifique, l’industrie déplace son attaque sur la science elle-même. Sur le rapport Kortenkamp [rapport du toxicologue Andreas Kortenkamp, publié en 2012 et qui fait le bilan des pathologies imputables aux perturbateurs] tout particulièrement. Peu de temps avant la conférence de la DG Environnement [l’une des directions générales de la Commission de Bruxelles], le 26 mai 2012, une revue scientifique a publié une “critique” du rapport.

Les auteurs se plaignent de son approche “anecdotique” qui ne permet pas d’offrir une “analyse équilibrée” de la littérature scientifique sur les perturbateurs endocriniens. “Nous en appelons à des études supplémentaires, fondées sur les données, pour développer les bases scientifiques nécessaires aux futures décisions politiques”, concluent-ils. Certes, la critique et le débat sont consubstantiels à la science. (…) Mais certains débats n’en ont que l’apparence (…)

La “critique”, en effet, ne remet pas en question les données scientifiques sur les perturbateurs endocriniens à proprement parler. Si les reproches sont nombreux, ils sont principalement d’ordre méthodologique. Les auteurs chicanent sur des omissions de référence, des choix de vocabulaire, ergotent sur des détails. (…)

Comme c’est désormais la règle dans toute revue scientifique, [les auteurs de cette “critique”] déclarent leurs conflits d’intérêts dans une section à part. Warren Foster, de l’université McMaster (Canada), offre régulièrement ses services de consultant à American Chemistry Council, la puissante organisation de lobbying de l’industrie chimique américaine. Glen Van Der Kraak, de l’université de Guelph (Canada), est consultant pour les industriels de la chimie et des pesticides Syngentaet BASF. Christopher Borgert possède sa propre société de consultants (…) qui travaille principalement pour l’industrie (…)

Le destin de ce genre de matière scientifique, c’est de servir de pièce jointe dans un email envoyé à un décideur public. Le trouble que jettent simultanément la “critique” (…) sur le rapport Kortenkamp est avant tout utilitaire. Il s’agit pour ces consultants de saper les bases scientifiques de la réglementation, de susciter le doute sur la qualité du travail effectué, sa pertinence. De laisser les traces d’une insatisfaction dans la littérature scientifique et dans l’esprit des régulateurs. Ces consultants scientifiques facturés à l’heure n’improvisent pas, ils suivent un script. Cet usage de la science comme d’un instrument d’influence est une stratégie parfaitement rodée.

Les lobbys contre-attaquent (p. 179)

Depuis le début de l’année 2013, une multitude de manifestations mettent en scène les questions des perturbateurs endocriniens, du risque et, plus largement, du principe de précaution. “On peut vraiment citer 2013 comme l’année de la bataille contre le principe de précaution”, constate Axel Singhofen, le conseiller des Verts au Parlement. (…). Codirecteur du rapport et ancien conseiller de l’agence, David Gee parle lui aussi et sans hésitation d'”attaque très concertée”.

Workshops, lunch-debates, lunchtime discussions, ou plus sobrement “conférences” : difficile de dire combien d’events de ce genre ont lieu chaque semaine à Bruxelles. Et on ne parle même pas de ceux qui ont lieu au Parlement européen. “Je pourrais passer mes journées à aller de l’un à l’autre”, soupire un fonctionnaire de la Commission, constamment assailli d’invitations. Les associations professionnelles et surtout les think tanks (laboratoires d’idées) financés par les grandes firmes organisent la plupart d’entre eux, souvent par l’intermédiaire de cabinets de lobbying et de relations publiques. Leur fonction dans l’écosystème bruxellois : organiser la proximité, créer des opportunités d’influence au quotidien (…)

Impossible de s’y tromper : ces “événements” sont tous calqués sur l’agenda législatif, réglementaire, parlementaire. En guise de débat démocratique, l’Union européenne se satisfait de ces pince-fesses sponsorisés. Mondanités et présentations Powerpoint ont remplacé la discussion de fond. Leur objectif : façonner l’opinion – des décideurs, car il n’y a, ici, pas de “public” – en pratiquant le blanchiment d’idées. Ici, “quelque chose qui est répété dix fois devient la vérité, quand bien même les faits démontrent le contraire”, raconte le fonctionnaire, qui préfère rester anonyme. Surtout quand ils sont enveloppés dans un vocabulaire emprunté (sans son consentement) au monde universitaire. D’où les guillemets autour du mot “conférence”.

Tous ces raouts sont également de hauts lieux du networking (réseautage), du pied dans la porte : ce sont les préliminaires du lobbying. Il est plus cruel de refuser un rendez-vous à l’homme dont on a serré la main plutôt qu’à une signature automatique en bas d’un message électronique. La monnaie d’échange : cette carte de visite où le chef d’unité de la Commission ou l’eurodéputé de passage, cajolé comme une pop star éreintée par sa tournée, ajoute à la main son numéro de “GSM” – le téléphone portable dans le dialecte régional.”

 

Voir dans le catalogue de la BML

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