Lumière 2009

Sur la route de Clint…

- temps de lecture approximatif de 14 minutes 14 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Lumière 2009 : Lyon concrétise sa déclaration d'amour au cinéma (une histoire immarcescible de 114 ans) par un premier festival singulier (du 13 au 18 octobre 2009) organisé par l'Institut Lumière. La passion devrait enflammer les 57 communes du Grand Lyon avec un florilège de démonstrations : rétrospectives, hommages aux metteurs en scène, acteurs... Il fallait donc un invité d'honneur d'envergure, charismatique, fédérant les publics : Clint Eastwood, réalisateur, producteur, compositeur... acteur avant tout.

Clint Eastwood © Wikipedia
Clint Eastwood © Wikipedia

Acteur : un métier qui fait l’objet d’analyses nouvelles depuis quelques temps. Cela nous donne l’occasion d’en effleurer quelques subtilités (jeux, formation, corps) et de saluer arbitrairement un grand directeur d’acteurs français, sensible à la crédibilité lorsqu’elle émane du naturel : Jean Renoir.

Afficher l'image d'origine

Lumière 2009 (Institut Lumière)

Clint Eastwood : portrait

« une exception culturelle à lui seul », selon Christian Authier.

Acteur, réalisateur, producteur, compositeur, Eastwood incarne avant tout la liberté, le non-conformisme. Du héros emblématique du western spaghetti dans les années 60, il va vite créer sa propre maison de production, Malpaso (1967) et passer à la réalisation (1971). Tout au long de sa filmographie, on découvre un regard singulier sur l’Amérique, son histoire, ses valeurs, sa culture.

A travers des histoires et des thèmes qui vont souvent à l’encontre de la mode, quitte à, quelques fois, bouleverser et déranger, il dresse un tableau de la société américaine où la violence et l’injustice broient l’individu, où les institutions doivent être remises en question afin que la liberté et la justice individuelle triomphent.

Le plus important, pour lui, est la responsabilité de l’individu, son indépendance et sa singularité.
Il a le talent de se renouveler sans cesse, passant d’un thème à un autre, cherchant toujours à innover, abordant, tour à tour, la plupart des genres majeurs tout en détournant les codes et les règles, en ne se conformant à aucune mode. L’injustice, mais aussi le temps, la famille, l’amour et l’amitié traversent tous ses films. Il excelle à nous parler de sentiments et de rapports humains, et l’émotion est une constante de sa poétique.

Ses personnages incarnent ce qu’il est : « un être qui affirme ce qu’il veut être, y compris contre les codes et les diktats du moment, en étant prêt à maintenir des permanences et des fidélités ».

Livres

JPEG - 5.2 ko

Cette dernière citation est elle aussi extraite de A l’est d’Eastwood, de Christian AUTHIER, la Table Ronde, ouvrage que l’auteur définit lui-même comme un hommage et non une biographie ou un essai cinéphilique. Partant du principe que son œuvre offre des va-et-vient incessants, que Clint Eastwood n’est pas un homme de rupture mais de chassés-croisés et de superpositions, il délaisse le récit chronologique pour nous inviter à prendre toute la mesure de l’œuvre du grand cinéaste.

Clint Eastwood : entretiens avec Michael Henry WILSON, Ed. Cahiers du cinéma retrace la carrière de l’acteur-réalisateur de façon chronologique sous forme d’entretiens. Michael Henry Wilson interroge Clint Eastwood sur ses années d’apprentissage, aborde ses thèmes de prédilection à travers les films qu’il a tournés, son travail de réalisateur.

Noël SIMSOLO, lui, dans Clint Eastwood, un passeur à Hoolywood, ed. Cahiers du cinéma, met en évidence le fait « qu’il n’appartient à aucune école, présente ou passée. Il a évolué sans se fondre dans les courants de l’évidente modernité, se forgeant peu à peu une place unique, décalée et atypique dans l’histoire du cinéma… On peut le considérer comme un passeur entre le grand cinéma populaire d’hier et celui d’aujourd’hui. »
L’ouvrage, par ailleurs, propose une présentation de chaque film de Clint Eastwood, jusqu’à « Mémoires de nos pères » et « Lettres de Iwo Jima ».

Quant à Clint Eastwood : biographie, filmographie illustrée, analyse critique, Patrick BRION, ed. de La Martinière, il mise sur l’illustration pour vous faire retrouver le souvenir et l’atmosphère des films de Clint Eastwood réalisés jusqu’en 2000.

Jeux d’acteurs

Nacache
C’est Clint Eastwood, l’acteur qui est l’invité d’honneur de ce premier Festival de cinéma lyonnais. Et dans L’acteur de cinéma,
Jacqueline Nacache, Professeur d’études cinématographiques à Paris 7, se penche sur le travail de l’acteur de cinéma. Habituellement les livres sur les acteurs et les actrices évoquent plus facilement le charisme particulier, la beauté ou le sex appeal de la star que véritablement le travail de comédien. Bien sur, les acteurs eux-mêmes témoignent régulièrement, au travers d’interviews ou d’autobiographies, de leurs parcours ou de leur travail.

Mais sont-ils les mieux placés pour expliquer les spécificités de ce métier ? Ce travail consistant à jouer ou à mimer un naturel via une gestuelle, un phrasé…?
Dans ce livre, Jacqueline Nacache parcourt l’historique du statut d’acteur de cinéma. Elle questionne les différentes manières d’incarner ou non un personnage, les méthodes variées (Cinéma soviétique, Actor’s studio… ), les écoles de direction d’acteurs et le rapport du comédien avec le réalisateur. Elle s’attarde ensuite sur la particularité de l’acteur américain, révélatrice de la société américaine et de l’évolution de ses pratiques.

A la lecture de l’ouvrage on se demande pourquoi il existe aussi peu de livres analysant le travail de l’acteur alors qu’il existe des milliers d’ouvrages sur la réalisation ou sur le travail d’écriture cinématographique, voire sur la composition de bandes originales de films. L’auteur amène ainsi l’idée que la disparition de l’acteur est peut-être ancrée dans l’histoire du cinéma et du comédien : “Devenir soi-même, ne jouer que soi-même, étaient depuis les débuts, à tort ou à raison, les objectifs de tout acteur de cinéma”.

Pour compléter la lecture :
Le pétillant ouvrage de Luc Moullet La politique des acteurs, dans lequel le réalisateur et critique de cinéma propose une analyse de quatre grandes stars du cinéma américain (Cary Grant, James Stewart, Gary Cooper, John Wayne). C’est pertinent, drôle et intelligent.
Dans un brillant essai Le secret du star-system américain Paul Warren explique les ressorts du cinéma hollywoodien et la technique de “vedettarisation” qui repose selon lui sur le procédé du “reaction shot” , soit « le regard de réaction des protagonistes de l’écran » qui induit la réaction du spectateur face à l’acteur principal. Autrement dit on admire un héros car il est admiré à l’écran.

Formation d’acteurs : l’exemple de l’Actors Studio

Parler du jeu d’acteur américain sans évoquer l’Actors Studio serait un peu comme ôter le cigare de Clint Eastwood (pourtant, la bouche nue de toute perversion fumante, c’est tendance…) dans la scène mythique du “duel” entre le bon / la brute / le truand. Ce serait un peu comme amputer son histoire…

Parce que l’Actors Studio c’est LA référence américaine qui a marqué l’histoire de la formation du jeu d’acteur.
Fondée en 1947 entres autres par Elia Kazan, l’Actors Studio est d’abord un atelier où l’on apprend la « Méthode ». Elle fut adoptée par Marlon Brando, Al Pacino, Robert de Niro, Steve McQueen, Harvey Keitel ou encore Sean Penn.
Dans une série documentaire DVD intitulée « Hello Actors Studio », acteurs et réalisateurs témoignent de l’extraordinaire bouleversement de la « Méthode », de leur engouement sans égal pour cette façon de jouer :
« C’est la charpente de mon travail » Paul Newman
« La Méthode a changé l’art dramatique dans le monde entier » Elia Kazan

JPEG - 11.1 ko

Marlon Brando et Vivien Leigh dans “Un tramway nommé désir” de Elia Kazan, 1951

« L’essence de « la Méthode », c’est de prendre comme point de référence son propre vécu ». Arthur Penn.
Pour exploiter son vécu, l’acteur doit pratiquer des exercices “sensoriels” et de relaxation où il doit se libérer de ses tensions physiques et psychologiques en poussant gémissements et autres sons gutturaux, parfois jusqu’aux pleurs. Impressionnant.
Mais le documentaire ajoute que cette méthode peut être « dangereuse » : l’identification au personnage doit être mesurée. Le tome 2 est consacré aux limites : « la Méthode a détruit plus d’un élève » Sydney Pollack
« Il faut savoir jouer “Médée” et rentrer coucher ses enfants » Ellen Burstyn
Aujourd’hui dépassée ? Sans doute, car les jeunes acteurs américains aujourd’hui écartent l’Actors Studio de leur formation de base. Régulièrement critiquée car jugée trop outrancière, trop caricaturale, les Etats-Unis restent néanmoins attachés à cette forme de jeu. En témoigne, ces dernières années, les prix décernés aux héros de biopic, où le travail de ressemblance est le plus évident : Charlize Theron (Monster), Jamie Foxx (Ray), Philip Seymour Hoffmann (Capote) ou encore Marion Cotillard dans La Môme, biopic à l’américaine.

Hello Actors Studio, réalisé par Annie TRESGOT, 1987 . Tome 1 : « L’atelier des acteurs », Tome 2 : « Une solitude publique » et Tome 3 : « Une communauté de travail ».

Travail à l’Actors Studio, par Lee STRASBERG (cours recueillis et présentés par Robert H. Hetmon)

Site de l’Actors Sudio

Un tramway nommé désir, réalisé par Elia KAZAN(1951).

Corps d’acteurs

JPEG - 3.6 ko

Million Dollar Baby © Mars Distribution

Souvenez-vous de cette scène pathétique pour certains, triste certainement, surprenante forcément, où le mythique, immuable, alerte, sémillant….Clint Eastwood (Frankie Dunn) dans “Million dollar baby”, s’agenouille péniblement pour prier…On se questionne : rhumatismes avérés ou feints (pour servir le personnage) ? Le vrai Clint dont on admire le physique athlétique semblait hors d’âge…le voilà rattrapé par son alias, septuagénaire perclus.
Parmi les problématiques reconnues et discutées sur le jeu d’acteur de cinéma, le corps devient objet central d’une étude dont les approches se multiplient.

Comme le disait Gilles Deleuze « c’est par le corps que le cinéma noue ses noces avec l’esprit, avec la pensée ». Le corps peut faire obstacle, être aliéné, morcelé, tout puissant, fantasmé, instrumentalisé, impossible….
De plus en plus le cinéma le met en scène, use et abuse de ses possibilités créatives, narratives, évocatrices voire réelles. Le Corps, outil premier, premier medium du langage cinématographique, plus que l’intrigue ou l’action, à travers la mise en scène des attitudes et leur coordination, construit le film…

Pistes pour étoffer l’évidence

Livre

Le corps au cinéma, par Vincent Amiel, Éd. Presses Universitaires de France
Trois réalisateurs : Keaton, Bresson ou Cassavetes, leurs regards et façons très personnelles de monter, cadrer …offrent une dimension du corps non convenue.

L’acteur de cinéma : approches plurielles, sous la direction de Vincent Amiel, Jacqueline Nacache, Geneviève Sellier, Christian Viviani , Éd. Presses Universitaires de Rennes
Ce colloque explore toutes les facettes du métier d’acteur sous des angles extrêmement variés : historiques, esthétiques, sociologiques, anthropologiques…

De la Figure en général et du corps en particulier , par Nicole Brenez, Éd. De Boeck université
L’ouvrage montre comment gestes, mouvements et corps sont utilisés, traités par le cinéma et aborde plus largement, la question du figuratif.

[actu] Revue [actu]

Le corps filmé,par Andrea Grunert, CinémAction ; n° 121, oct. 2006.
Comment des corps hors normes et hors limites nourrissent le cinéma…

Figures du corps au cinéma , sous la dir. de Emanuel Ethis et Jean-Louis Fabiani, Culture et Musées ; n° 7, 2006.
Il est question des inventions permanentes du cinéma autour de son appropriation du corps : manière de le montrer, de le mettre en scène, de le transgresser parfois…

Direction d’acteurs

DVD

La direction d’acteur par Jean Renoir, réalisation de Gisèle Braunberger, CNC Images de la culture
Gisèle Braunberger, comédienne, réalisatrice de courts métrages, a l’idée de ce film en voyant Renoir diriger les figurants de French Cancan. Contrairement aux autres réalisateurs, Renoir prenait la peine de s’intéresser personnellement à chacun d’eux, s’informant de leur bien-être sur le plateau et leur indiquant un jeu de scène spécifique. Émue par cette attitude familière, elle décide de monter une expérience où Renoir appliquerait sa méthode de direction d’acteur sur elle-même, pour mieux nous la faire partager.

Bien que le dispositif scénique soit très limité dans le temps et dans l’espace, ce film se révèle instructif sur la façon dont Renoir avait l’habitude d’aborder le travail de l’acteur. Après avoir situé le contexte de la scène à jouer, par rapport à son auteur, aux personnages et à l’action précédente, ce dernier recommande à l’acteur de lire le texte sans aucune idée préconçue, avec un ton neutre, comme s’il s’agissait de lire l’annuaire téléphonique, c’est-à-dire « à l’italienne ». A cette phase, l’écueil serait de donner une expression toute faite, de produire un cliché, en désaccord avec le sens profond défini par l’auteur. Une fois le texte parfaitement compris, l’acteur doit travailler à la construction du personnage, le faire émerger de l’état de fiction. Le talent de l’acteur résidera dans sa capacité à être le personnage, à parler, bouger, penser, marcher à sa place, tout en étant crédible. Une fois l’incarnation du personnage établie, le tournage peut alors commencer.

L’exigence de Renoir se perçoit tout au long de ce film. Son attention au jeu de l’acteur est intense et permanente, et il n’hésite pas à faire reprendre l’acteur dès que sa prestation sonne faux, à la manière d’un chef d’orchestre en répétition. Pour lui « Faut pas être sentimental. Nous ne sommes pas sentimentaux, nous sommes vrais… ou plutôt nous essayons de l’être ». Dans le même temps, son amour de l’acteur dans son travail transparait. Il lui fait confiance, lui autorise ses propres manières de s’exprimer, sa gestuelle, l’encourage dans sa tentative d’habiter le personnage, et le révèle à lui-même. C’est toujours dans un climat de bienveillance que Renoir commande une reprise de scène, avec une formule du genre : « c’était merveilleux, on la refait ! ».

Lors du tournage de ses films, Renoir développe une réelle complicité avec ses acteurs, conscient qu’un film se bâtit à plusieurs, que chacun apporte sa pierre à l’édifice et participe à sa réussite. Il aime les acteurs et leur laisse la bride sur le coup le moment venu, car c’est la vie qui doit passer à l’écran. S’entretenant avec Michel Simon, il lui confie : « le procédé de la création chez vous est insensé…Ça vient comme ça… Ça vient inconsciemment, et c’est la seule façon de faire les choses. »

Pour aller plus loin

L’Avant-scène cinéma, Spécial Renoir, n° 251/252, 1er/15 juillet 1980
Découpage intégral du court-métrage, précédé d’une présentation par Claude Beylie, suivi d’extraits de presse en 1970.

Le travail du film, réal. de Lorenzo Recio, Gisèle Braunberger, Souad El Bouhati, L’agence du court métrage
Le film se retrouve dans le DVD, accompagné de trois bonus très intéressants pour approfondir le sujet. Chacun consiste en un commentaire sur le film au fur et à mesure de son visionnage. L’un recueille les propos de Gisèle Braunberger, l’autre du réalisateur Erick Zonca, le dernier de l’actrice Nathalie Richard.

Jean Renoir le patron, réal. de Jacques Rivette, CNC Images de la culture
Pour avoir une idée de la connivence et de la fraternité qui unissaient Jean Renoir et l’acteur Michel Simon. Un réel bonheur d’assister en direct aux retrouvailles de deux amis qui ont une conception commune des rapports entre l’art et la vie.

Boudu sauvé des eaux, réal. et scénario de Jean Renoir, René Chateau Vidéo
La chienne, réal. de Jean Renoir, Opening
Le génie de Michel Simon, sous la direction de Jean Renoir, éclate particulièrement dans ces deux films.

Partager cet article