L’érotisme à l’œuvre

- temps de lecture approximatif de 35 minutes 35 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Une nuque qui scintille, les recoins d'un jardin, la frénésie d'un rapport, la chair qui ruisselle, un souffle en fin de phrase, un regard sans un mot, une étoffe qui baille, une orgie baroque...

© Pixabay
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Autant de déclencheurs érotiques que de sensibilités.
Pour pourfendre la morosité de fin d’été, nous nous sommes mouillés et avons choisi de finir l’été en pente douce.
En s’émouvant d’un petit pan de mur jaune.
En découvrant l’érotisme de l’art, l’érotisme dans l’art.
Ce n’est pas nous qui l’inventons, c’est Gustav Klimt « Tout l’art est érotique ».

Sommaire

1. Les perles d’Eros

2. Shunga : les estampes japonaises érotiques

3. Le silence érotique des étoffes

4. Architecture du paysage : l’érotisme au jardin

5. Caligula de Tinto Brass

6. Toucher avec les yeux

1. Les perles d’Eros

Suggestif et subjectif : l’Empire des signes

« Utilise mon corps comme les pages d’un livre, ton livre ! » telle est l’invitation dans The Pillow Book .
The Pillow Book

Lorsque l’écrit, la peau et l’amour ou le désir d’être pris(e)comme page d’écriture par ses amants se mêlent, le livre de chevet donne vie à un ouvrage médiéval japonais : les Notes de Chevet de Sei Shōnagon.
L’érotisme relève alors d’un monde sans âge, au carrefour des civilisations occidentale et extrême-orientale.
Le corps est révélé par la beauté calligraphique du sens comme du geste. Peter Greenaway fait de lui un opus vivant dont il libère une prose particulière, hymne à un amour défunt mais néanmoins vivace.

De chair de peau

Alain Resnais explore la plasticité sensuelle du grain de peau par le biais d’une approche hypnotique et graduée dans Hiroshima mon amour à l’instar de David Cronenberg : Crash (adapté du roman éponyme de James Graham Ballard) et Matthew Barney : Drawing Restraint.

Illust : Crash de David Cronenb, 5.6 ko, 231x130

Illust : Matthew Barney, 8.4 ko, 140x176

Pour eux, un nouveau corps se figure et se défigure, s’invente et se délite violemment, Matthew Barney un corps « posthumain », hybride,… soumis « aux questionnements de la bioéthique ». Une nouvelle cartographie des sens se dessine où amputation et mécanique, cicatrices et tôle froissée condensent [*une charge érotique disons…d’une nouvelle teneur !
Les sangles et prothèses magnifient les femmes, non le souvenir des jambes qu’elles eurent… La quête du désir se colore de notes dramatiques . Les couples s’enlacent couteaux en main (instant de trêve ou de « je t’aime moi non plus »).

Pour Helmut Newton et Romain Slocombe, les minerves s’emparent des nuques et parent les cous…
L’érotisme des autres peut être…furieusement dérangeant et déplacé !

Illust : Romain Slocombe, 15.5 ko, 412x438

Michel Henry philosophe, en fait une description phénoménologique ainsi que de la relation amoureuse dans son livre Incarnation, une philosophie de la chair.
L’érotisme serait-il la promesse de la coïncidence comme il l’affirme ?

Illust : Helmut Newton, 7.3 ko, 130x196

Des histoires « d’O »

A l’instant privilégié du bain des cheveux des héroines de Cyclo, ou de l’odeur de la papaye verte de Tran Anh Hung et sous la pluie d’In the Mood for love ou de La main de Wong Kar Wei in Eros, l’érotisme ruisselle, inonde…

Illust : Printemps, été, automn, 24.2 ko, 220x320

Dans les îles refuges, de perdition, ou de rédemption de Kim Kee Duk, peintre avant d’être cinéaste (l’Ile, Printemps, été, automne, hiver…printemps et en écho à L’île nue de Kaneto Shindo), le climat érotique peut frôler la subversion…

Art de la retenue, frémissements et mouvements ondulatoires, regards intenses et furtifs, l’érotisme est vibratoire et se modèle aux aléas des fantasmes. « L’île est un lieu exilé où les hommes doivent faire la paix avec eux-mêmes et se racheter. Un lieu dans lequel une nymphe a pour dessein d’emmener les hommes pour les perdre. Loin, très loin, dans le centre du monde,”l’origine du monde” ». Cette même origine du monde peinte par Gustave Courbet et reformulée par Marcel Duchamp.

Illust : Marcel Duchamp, 16 ko, 245x325

Probable et impossible

Ce serait donc cela « un jeu avec l’ambiguïté » comme l’écrit Olivia Gazalé : “Le corps était presque parfait” (in Philosophie magazine n°3, août-septembre 2006).

On montre mais suffisamment peu, on cache avec science, on dit mais à demi-mot, on bavarde avec le silence, compose avec des détails, des conjugaisons, des ellipses, des illusions…
L’érotisme échappe aux critères communs d’évaluation esthétique peut-être parce qu’il appartient à l’intime et que celui-ci ne s’uniformise, ne se globalise pas.
Il s’inscrit dans le mystère des êtres dans ce qu’on ne peut pas atteindre, une espèce de part réservée donnée à entrevoir que chacun va s’approprier ou pas.

Zones érogènes non exhaustives

La nuit sexuelle de Pascal Quignard
Mauvais genre(s) : érotisme, pornographie, art contemporain de Dominique Baqué.

Des écrits faute d’estampes :
De la chair à l’extase de Li Yu
Le secret de la petite chambre de Kafû et Akutagawa ; ed. Picquier.

Des designers joueurs :
Féminin en solo : le 8ème ciel de Mattali Crasset ; en duo :le double stéthoscope Quisaz-Quisaz de Pupsam pour écouter vos cœurs en simultané et pour les inspirés : Yes for Love de Philippe Di Meo pour écrire sur la peau …écrire seulement !

2. Shunga : les estampes japonaises érotiques

Le printemps des délices : art érotique du Japon , Ed. Philippe Rey

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Ce catalogue d’exposition est consacré aux « shunga » ou « peintures de printemps », plus connues du grand public sous l’appellation d’estampes japonaises érotiques. Le « Shunga » constitue l’un des six genres de l’« Ukiyo-e » ou « image du monde flottant ». Les autres sujets abordés se répartissant en représentations d’acteurs (yakusha-e), de jolies femmes (bijinga), de guerriers (musha-e), de paysages (fūkeiga), de fleurs et d’oiseaux (kachōga).

Une définition du « monde flottant » a été formulée ainsi par l’auteur Asai Ryōi : « Vivre seulement pour l’instant, porter notre entière attention sur les plaisirs procurés par la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les érables rouges. Chanter des airs, boire et se divertir en se laissant flotter, flotter, sans se soucier de la pauvreté qui nous saute au visage, sans se laisser démoraliser, comme flotte la gourde au fil de l’eau. Voilà ce que nous appelons le monde flottant. »

Le livre propose un ensemble important de plus de 270 œuvres à caractère érotique, depuis les années 1660, début d’une période faste de production à Edo (ancien nom de la capitale Tokyo), jusqu’au début du XXe siècle. Ces illustrations étaient principalement diffusées sous la forme de livres, d’estampes, ou bien de rouleaux. On suit avec beaucoup d’intérêt l’évolution au fil du temps de ces estampes, en fonction des innovations de la technique xylographique – qui va passer du noir et blanc à la couleur -, des lieux de productions, des écoles et des artistes aux styles divers, y compris les œuvres paillardes de l’artiste Kawanabe Kyōsai, à l’ère Meiji. Outre l’étendue du corpus, l’ouvrage présente l’avantage d’examiner le contexte d’où proviennent ces images.

Sur le plan économique, le développement d’Edo, par l’obligation de résidence une année sur deux des seigneurs féodaux (daimyō) et la prospérité des commerçants et artisans qui en découla, entraina une forte demande en loisirs variés : théâtre kabuki, littérature légère, arts populaires et divertissements sexuels. Cette richesse attira de nombreux hommes célibataires en quête de travail et assura le succès du quartier de Yoshiwara, lieu réservé aux plaisirs, où se retrouvaient comédiens, artistes, courtisanes et prostituées. En 1869, Yoshiwara comptait 153 « maisons vertes » et 394 maisons de thé.

Le quartier de Yoshiwara obéissait à des règles strictes. Les prostituées étaient réparties en trois catégories – tayū, kōshi et hashi – et les visiteurs devaient apprendre à se comporter en homme raffiné (tsū). Pour les courtisanes de haut rang, un visiteur, qui par ailleurs était restreint à n’avoir qu’une seule partenaire régulière, n’était autorisé à faire l’amour qu’au troisième rendez-vous. Pour chacun d’eux, le passage au préalable à la maison de thé, agrémenté de conversations, de chants, de danses, de contes, faisait partie du parcours obligatoire.

Les rouages de Yoshiwara trouvaient leur place dans un genre littéraire populaire spécifique (gesaku) qui comprenait les « kibyōshi » (couvertures jaunes) et les « sharebon » (livres d’esprit). Dans le texte même, ou dans la préface, de nombreux jeux de mots ajoutaient de la saveur aux livres, et les thèmes de la culture traditionnelle étaient réinterprétés au goût du jour (mitate) procurant d’autres notes d’humour et de dérision. Si Yoshiwara fournissait le cadre à de nombreuses histoires, l’usage sur place de ces livres n’apparaissait pas dans les descriptions, probablement à cause du souci constant de maintenir la respectabilité du lieu, et du rejet de la vulgarité sous toutes ses formes par les courtisanes.

Les scènes érotiques, quant à elles, surprennent par la présence fréquente du voyeurisme. Il n’est pas rare qu’un spectateur, homme ou femme, assiste à la dérobée à l’accouplement en train de se produire, ou bien qu’une partie de l’acte se reflète dans un miroir. D’autres scènes insistent sur le caractère impérieux de l’acte qui se déroule dans un lieu public, jouant de la tension érotique du danger d’être surpris. Le viol existe également dans des scénarios où le violeur opère sous les traits d’un homme disgracieux. La zoophilie aussi, mettant en scène chiens, souris, chats et, plus exotique, poulpes.

Pour un regard occidental, ces images frappent par l’apparente obscénité des scènes où sont représentés nettement les organes génitaux. En rester là, limiterait le plaisir de regarder ces œuvres dans lesquelles les artistes déploient des trésors d’habilité pour composer l’image des personnages dans le cadre, pour dessiner les contours des corps et les traits du visage, pour suggérer la frénésie du rapport ou l’abandon, pour exacerber les contrastes entre les parties nues et celles recouvertes par les étoffes. Ce dernier aspect a été repéré par Tanka Yuko : « Avant tout, les shunga cherchaient à mettre l’accent sur les organes génitaux. En disposant soigneusement des rideaux, des vêtements, des pagnes ou jupons sur les corps, l’artiste faisait ressortir des parties intimes. Ainsi le pouvoir érotique de l’estampe était-il généré de manière détournée… Les textiles fusionnaient en quelque sorte avec la peau en agrémentant le corps nu par le biais de motifs, de couleurs et de plis riches et subtils. » On peut remarquer notamment la grâce d’expression du trait chez Kitagawa Utamaro, la richesse du dessin et des coloris chez Katsushika Hokusai. Sitôt apparues en Occident, ces estampes ont bouleversé Edmond de Goncourt, Monet, Van Gogh, et bien d’autres, entraînés par la vague du japonisme.

3. Le silence érotique des étoffes

Parfois, ce qui affole les sens et l’esprit est inexplicable, ineffable. Comparable à l’expérience que l’on peut faire d’une oeuvre d’art
Nous savons souvent avec une évidence aveuglante, ce que nous essayons de dire de notre relation ou de notre absence de relation au poème, au tableau, à la sonate. Et pourtant, nous ne savons ni comment le dire, ni exactement, en un sens matériel, réfutable, de quoi nous parlons.” [1].
D’autant plus ineffable si ce qui nous affole relève de l’invisible ou du “à peine visible“.
Le vêtement sert ce jeu de petits riens, ces silences entendus.

“A qui sont ces manches” ?

Les kimonos affolent, l’air de rien, explique Aude Fieschi dans Kimono d’art et de désir.

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Car ils dissimulent la quasi-totalité du corps. Or dissimuler la beauté fait partie intégrante de l’élégance traditionnelle du kimono. Dans la peinture japonaise, l’art de la suggestion atteint son paroxysme dans les peintures de kimonos suspendus, abandonnés ou pliés sur des portants. Au début de l’époque Edo, ces peintures sont souvent affectées aux paravents et on les appelle des tagasode « à qui sont ces manches ? ».

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L’absence de la femme revêt un fort pouvoir érotique.
Yojhi Yamamoto irrigue toute sa création de la plastique et de l’esthétique du kimono, de l’absence du corps fantasmé. ” Je préfère montrer le corps caché. Je suis un homme, mais je pense que c’est à l’intérieur que se trouve le plus sexy ; je n’aime pas montrer le corps de façon ostentatoire, je préfère faire rêver. [2]
En peinture, on redécouvre avec Georges Didi-Huberman qu’un “grand artiste“, au sens où les philosophes grecs dont Pline l’entendaient, sera d’abord celui dont l’oeuvre “suggère toujours plus que ce qui est peint (intellegitur plus semper quam pingitur)(…)l’oeuvre sera supérieure à la nature car elle donne à deviner un au-delà du visible, jusqu’à donner à voir, qui sait, l’invisible comme tel”. [3]]

Petit interlude suggestif : cacher les mots pour mieux les imaginer.
Entendre “plage de la grande grange” mais imaginer “souffle chaud au creux d’une épaule“. La Carte du tendre sur Arte Radio (Casque obligatoire).

Dissimuler jusqu’à disparaître

Même esthétique de la disparition chez Kengo Kuma, architecte japonais, qui expose sa maison du thé en ce moment au Centre international d’art et du paysage de Vassivière.

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Pour lui, l’architecture doit tout simplement disparaître pour laisser place à une architecture dissoute ou phénoménale (on pense au “korper“, au “corps phénoménale” de Merleau-Ponty) qui aurait les propriétés d’un nuage ou d’un arc-en-ciel. Dissoudre l’architecture pour la fondre dans la nature. Laisser place à l’imagination. “L’architecture profite à chacun pour son être et son imaginaire ». Comme une invitation sensuelle. Pour rentrer en finesse dans son oeuvre : “Kuma Kengo, une monographie décalée” de Sophie Houdart et Chihiro Minato.

Entre-aperçevoir

Parfois, l’invisible, l’obscur objet de notre désir se dévoile, sans pour autant s’ouvrir tout à fait. Car s’ouvrir, dévoiler entièrement le mystère, c’est déjà le détruire. On pense à l’image ouverte de Georges Didi-Huberman et sa “poétique du voile” : “Il faut voir dedans [l’image] pour comprendre, il faut ouvrir pour voir dedans mais, pour ouvrir, il faut détruire.” [4]
Dans cette esthétique du “mi-montrer”, certains vêtements excellent.
Le kimono laisse apercevoir une partie du corps très érotique au Japon : la nuque.

Jeu d’étoffe : elle se trouve libérée en pente douce par le col du kimono qui redescend. Le vêtement baille. On peut alors apercevoir la peau qui scintille à dessein car elle ne porte ni fard ni poudre. Fausse négligence. C’est la simultanéité du corps dissimulé par le kimono puis sa découverte qui électrise, comme l’a exprimé Roland Barthes « L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement baille. C’est l’intermittence qui est érotique : celle de la peau qui scintille entre deux pièces ; c’est le scintillement même qui séduit ou encore : la mise en scène d’une apparition – disparition. » [5]

Illust : Kitagawa Utamaro (...), 24.7 ko, 235x373

De nombreux peintres d’ukiyo-e (voir partie précédente sur les estampes érotiques) ont représenté des belles vues de dos, nuques à l’air, comme en Occident chez Ingres, Le Bain turc ou encore Nadar avec cette photographie de Cléo de Mérode.

Nouveau jeu de dupes ?

En Occident certains attributs érotiques vestimentaires jouent ce même jeu d’entre deux, d’intermittence, de suggérer sans tout montrer. Parmi eux, les bas, et dans leurs sillages les collants des femmes.

Illust : A fleur de peau (...), 104 ko, 417x475

Leurs voiles dissimulent et révèlent, éloignent et attirent. Entrapercevoir les formes ou la peau. Imaginer le reste. « l‘histoire de la mode occidentale pourrait être entièrement revue sous l’angle du dévoilement. » [6]

A fleur de peau : le bas : entre mode et art de 1850 à nos jours aborde la charge érotique et traditionnelle du bas.

Bien moins traditionnel : on a des doutes sur la charge érotique du collant quand la Maison Martin Margiela s’en empare, comme dans son défilé pour la présentation Martin Margiela “Artisanale” au Palais de Chaillot en 2009.
Quoique…comme Martin Margiela le laisse entendre : les vêtements ne font pas tout, “Leur sensualité dépend de la personne qui les porte [7]… et de la personne qui la regarde.

Et si vous aviez des doutes, l’art du dévoilement n’est pas l’apanage des femmes. Pour le voir, parcourez l’incontournable Men in skirts, petit bijou sur les hommes en jupes. Effet garanti.

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Et si vous doutiez de l’actualité de la jupe pour hommes, sachez qu’une fameuse marque de prêt-à-porter a déjà lancé son premier modèle, que Jean Paul Gaultier l’a réintégrée dans sa collection Eté 2010, tout comme le précurseur Comme des Garçons et aussi Yohji Yamamoto et Number(N)ine ou pour l’été 2011 Givenchy et Miharayasuhiro mais aussi Vivienne Westwood, Etro, Miu Miu, Gaspard Yurkievich et Raf Simons, ou Agnès B

Pour qui sont ces jupes ? Qui sont ces hommes en jupes ? Christine Bard, qui travaille sur les marques vestimentaires du genre, a mené l’enquête et livre une analyse très fine, nuancée et extrêmement référencée, de ces questions dans son ouvrage Ce que soulève la jupe, paru cette année.

Vue et revue sur Marc Jacobs, certain(e)s se languissent de la voir portée dans la rue, pour jouer à cache cache avec les jambes des hommes.
Parce qu’un un homme en sarong et collants Gerbe (les premiers à faire des modèles hommes) ou meggings Kenzo, peut être diablement plus sexy qu’un Thierry la Fronde (non ?).

4. Architecture du paysage : l’érotisme au jardin

L’érotisme au jardin, Jean-Paul PIGEAT, Flammarion

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Chaumont-sur-Loire

Haut lieu de la création paysagère, Le Festival international des jardins associe chaque année architectes, paysagistes, artistes, designers ou encore sculpteurs et jardiniers afin de créer un jardin sur un thème spécifique. En 2002, l’érotisme était à l’honneur.

Le livre de Jean-Paul Pigeat présente l’historique de l’érotisme au jardin tout en évoquant certaines créations du Festival sur ce thème.

Une nature sensuelle

Sentir la caresse du vent, la douceur des feuillages, s’étendre dans l’herbe fraîche et accueillante, entendre le gazouillis des oiseaux ou le chant de l’eau des fontaines, se laisser entêter par les parfums enivrants, goûter les fruits juteux offerts sur le passage ; observer les plantes, dont certaines revêtent des couleurs captivantes, des parfums capiteux, des formes suggestives ; voir mais aussi se cacher ou chercher le dissimulé : le jardin est promesse pour tous les sens, lieu de l’intime et de l’érotisme.

Le langage même de l’amour nous emmène au jardin : conter fleurette, effeuiller, déflorer…

Les premiers jardins

Plantes médicinales, aphrodisiaques et aromatiques sont cultivées dans les jardins religieux et profanes. La myrrhe et l’encens, la cannelle et le cinnamome, plantes au parfum aphrodisiaque, sont aussi des offrandes cultuelles d’anciennes religions dont a hérité le rituel chrétien.
Les jardins se développent au Moyen-Orient (Mésopotamie), en Grèce ou à Rome, en l’honneur de l’aimée (les jardins suspendus de Babylone construits par Nabuchodonosor II pour rappeler à sa femme les montagnes de son enfance), ou pour abriter rites cultuels ou amoureux. A Pompéi, les représentations érotiques sont nombreuses.

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Au Moyen-âge, les Arabes diffusent tout autour de la Méditerranée leur art des jardins de plaisir. L’espace clos, protégé du monde extérieur, devient amène. Ce sont eux qui ont créé ces premiers paradis, ces cours fermées (patios, en espagnol) où chantent les fontaines, où la surabondance de fleurs embaume le soir.
Le jardin chrétien n’est pas en reste : au jardin clos des moines, parfois ambigu, s’oppose rapidement le jardin des délices, lieu de prédilection des princes et des poètes. Il est fortement imprégné des traditions arabes. Le jardin secret se développe : verger cachant tonnelles mais aussi petits pavillons de branchages, ancêtres des futures folies du XVIIIe siècle. La tradition des jardins de plaisance et des jardins secrets va se perpétuer tout au long de la Renaissance.

Des symboles suggestifs

Le labyrinthe est un symbole à la fois érotique et religieux, il représente le fait que l’homme risque à tout moment de se perdre dans les difficultés et la vie et les méandres de l’amour ; par la pratique de la vertu et la recherche patiente d’une meilleure connaissance de lui-même et du monde, il peut atteindre la vie, la Connaissance et l’Amour…
Les labyrinthes voient le jour dans les jardins romains. Au Moyen-âge, on en trouve dans les propriétés princières et surtout dans les églises. Au XVIIe siècle, le labyrinthe gagne de nombreux jardins. Ici, plus rien de sacré. Parce qu’on s’y perd, le labyrinthe permet toutes les transgressions.

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L’eau joue un rôle prépondérant dans l’érotisation du jardin : elle est symbolique de l’acte sexuel, de la vie. Le bain et la toilette sont un prétexte pour les jeux de groupes. L’eau jaillit souvent d’une grotte, séjour des nymphes. Dans ces grottes, de la Renaissance jusqu’au XVIIIe siècle, la mode est aux jeux d’eau, pas toujours innocents, conçus pour surprendre et créer un climat propice à l’érotisme…
Isola Bella, construite à partir de 1620 par les princes Borromée sur le lac Majeur, offre un parcours des plus sensuel où grottes, végétation aux parfums entêtants, nymphée, chants d’oiseaux et bruits des fontaines rythment l’ascension des ses dix terrasses.

Des artistes au service d’Eros

Au XVIIe siècle, un goût pour les grands jeux d’eau et les perspectives élargies apparaît. Avec l’arrivée de Le Nôtre, l’échelle des aménagements change. L’ordonné et le labyrinthique rivalisent dans les jardins de Versailles, comme alternent espaces réglés et bosquets secrets. Sage équilibre… pour un lieu propice aux rendez-vous, aux jeux et intrigues amoureuses…
Toute une sculpture galante s’offre à la vue : Proserpine, Bacchus, Vénus et Jupiter, et de nombreuses nymphes érotisent la promenade.

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Au XVIIIe siècle, une peinture galante se développe : Watteau met en scène des situations bucoliques et oniriques. Fragonard, lui, va décliner toutes les figures de style du ballet amoureux. (Le Rendez-vous, panneau des Progrès de l’Amour (1771-1772) ou encore les fameux Hasards heureux de l’escarpolette (1767).)

L’heure de gloire de l’érotisme

A la même époque, le jardin se fait plus intime : treillages, constructions légères, bassins et haies dessinent un parcours propice au marivaudage. Le libertinage s’ouvre aux influences orientales avec les pavillons chinois ou les ottomanes, grands sofas rapportés de Turquie.

A Wörlitz, au sud de Berlin, est créée une véritable arcadie de plus de 120 hectares dans laquelle se succèdent scènes de paysage, pavillons, îles et folies.
A Potsdam, en Prusse, Frédéric II fait construire le petit château de Sans-Souci, entièrement dédié à Priape et à la vigne.

Des soins…et plus (si affinités)

A partir du milieu du XIXe, le thermalisme fait fureur dans toute l’Europe. On redécouvre les vertus magiques des sources chaudes. L’érotisation des cures est extrême, la situation des bains facilitant la promiscuité et les contacts. On vient dans les stations thermales pour se soigner, mais surtout pour faire des rencontres. Les programmes de festivités sont chargés. Les jardins publics remplissent parfaitement leur fonction de lien social. Cette période faste disparaîtra avec les années soixante. L’érotisme s’installe alors au bord de la mer, sur des plages de sable sec…

Du jardin d’Eden au Bois de Boulogne, le jardin peut être pour chacun un lieu propice à l’imaginaire, aux rêveries, au plaisir, aux jeux, à la liberté, aux fantasmes. Il reste un espace de tous les possibles…

A consulter également, l’ouvrage Une histoire sensuelle des jardins, Catherine LAROZE, Olivier Orban


Caligula
5. Caliga de Tinto Brass

L’histoire est connue. Dans les années 70, Bob Guccione, fondateur du magazine de charme Penthouse, et l’une des plus grandes fortunes des USA, s’intéresse au cinéma. Mais comme pour le reste, il choisit de faire les choses en grand et à sa manière. Il apprend qu’un scénario sur l’empereur romain Caligula est en cours de traitement, il décide de le coproduire. Il embauche le neveu de Roberto Rossellini, à l’origine du projet, et confie le soin de modifier le script à Gore Vidal, auteur de best-sellers. Sur sa lancée, il engage Danilo Donati, responsable costume et directeur artistique de Federico Fellini. Guccione décide alors de faire du film une superproduction érotique, dotée d’un budget à la hauteur des blockbusters de l’époque, soit 17 millions de dollars (pour mémoire le budget du film Les dents de la mer (1975) est de 12 millions USD).
Emballé par Salon Kitty, le film sulfureux de Tinto Brass, Guccione engage ce dernier pour réaliser le film. Commence le casting : en tête d’affiche, on trouve Malcolm McDowell encore auréolé de son rôle dans Orange mécanique et If. Pour compléter la distribution Guccione recrute les acteurs shakespeariens John Gielgud, Peter O’Toole et Hellen Mirren. Maria Schneider, la maîtresse de Marlon Brando dans le Dernier tango à Paris est sollicitée, mais laisse finalement sa place à Teresa Ann Savoy. Enfin c’est Renzo Rossellini (frère de) qui composera la musique.
Le tournage commence en Août 1976 à Rome dans le plus grand secret, entouré des plus folles rumeurs. En décembre de cette même année, le réalisateur considère le film comme terminé. Mais ce n’est pas du goût du magnat américain, qui trouve que le film n’est pas assez osé. Avec l’aide de quelques acteurs, il tourne de nuit dans les décors d’origine des scènes érotiques supplémentaires. Il part ensuite à Londres pour monter le film, mais craignant la censure britannique, il se refugie à Paris pour terminer la postproduction. Le film est finalement présenté au Festival de Cannes en 1979, et sort en salle l’année suivante. Si bien qu’il aura fallu quatre ans pour réaliser ce film, soit autant que la durée du règne sanguinaire de l’empereur romain.

Au delà de la production chaotique du film, du délire mégalomaniaque de son producteur, des aspirations artistiques de son réalisateur, de la débauche de figurants et de la somptuosité des décors, le film présente pendant 2 h 30 l’ascension et la chute du célèbre empereur.
Au milieu des tirades poétiques récitées par les plus grands acteurs, de nombreuses nymphettes plus dénudées les unes que les autres gambadent. Les scènes de sexe sont très présentes et bien filmées, y compris les scènes supplémentaires tournées à la va-vite par Guccione. Ces séquences ne sont pas que prétexte à montrer des vulves et des verges, mais participent à la démesure de l’histoire, concourant à la folie et à l’atmosphère hypersexuelle du film. Tout y passe : triolisme, émasculation, saphisme, fellations… Et si au départ l’idée de Guccione était de faire un immense spot publicitaire pour ses revues, le film acquiert par sa démesure un statut hors norme. Véritable orgie baroque et décadente, le film est encore de nos jours un OVNI cinématographique et érotique.

6. Toucher avec les yeux

Une expression populaire veut que l’esprit soit mal tourné lorsque la découverte en pleine rue d’une belle paire de jambes toute en résilles ou un torse taurin chez un beau mâle des Pouilles déroule en nous des fantasmes d’alcôve qui feraient rougir notre maman.
Comme dirait Jérémy Freud (un parent cascadeur du Viennois), laissez votre esprit mal tourné à votre mère et jouissez pleinement de la vie.
Jouir pleinement, un peu court quand même. Et facile à dire, docteur.

La frustration est au cœur de notre vie. Et sans doute un moteur dont on n’a pas à rougir. Mais il y a frustration ET frustration. Deux poids deux mesures. Deux et deux font toujours quatre (hélas).
Cas numéro 1
Je me rends au travail, je m’arrête devant une pâtisserie, le mille-feuille derrière le carreau me regarde avec ses yeux feuilletés et sa moue crémeuse. Problème : je n’ai pas d’argent sur moi. J’arrive au boulot : frustré.
Cas numéro 2
Je m’appelle Paul-Arnaud, j’ai 36 ans, je viens de m’installer à Londres où j’ouvre une galerie d’art contemporain. Mon appartement donne sur Hyde Park et tous les matins, rituellement, alors que je sirote mon thé chaud sur le balcon, je surprends mes voisins en train de se béquoter dans leur peignoir, béats d’amour transi. Résultat : j’arrive à la galerie, pieds nus dans mes mocassins : frustré.

Vous sentez la différence ?

La frustration sensuelle et sexuelle est au coeur de nos vies et agite par un effet de miroir naturel nos plus belles créations artistiques.
Dans les années 80, une chanson des Rita Mitsouko pointait le désarroi d’une jeune fille caliente face à son Andy qui pour la rime était enjoint à dire oui.

Comme maugréait en son temps l’amiral Coligny au mariage d’une reine Margot bien récalcitrante : c’est pourtant pas compliqué de dire oui quand même. Non ?

Pointons au cinéma quelques pépites de rétention maladive, des tentatives de compression du désir, des pétages de plomb thermo-vasculaires qui feraient passer les crises d’hystérie à répétition de Liv Ullman chez Bergman pour des ritournelles de cajun dans le bayou.

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Je peux pas, oh mon dieu je peux pas

Il est majordome, elle est intendante. Evidemment ils s’aiment mais le majordome, moulé par une éducation stricte dans les meilleurs ateliers puritains anglais, n’arrivera jamais à lâcher le morceau.
LE film définitif qui démontre combien dire Je t’aime peut se révéler aussi difficile que siffler la Traviata la bouche pleine.
Trois syllabes contre une vie gâchée. De quoi finir la dernière plaquette de chocolat planquée sous votre sommier. Les vestiges du jour de James Ivory.

Le spectateur pense qu’ils devraient dire oui, le réalisateur pense (hélas) autrement. Le réalisateur a toujours raison.

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Souvenir de jeunesse : j’ai douze ans et je partage la souffrance d’Ugolin qui n’en peut plus d’amour et de désir pour sa Manon. Il s’est même tricoté un ruban sur le cœur, c’est dire comme il l’aime. Le lendemain, dans la cour de récréation, il y a ceux qui révisent leur algèbre et ceux qui ugolinisent. Généralement les Ugolin dans mon genre ont de très mauvaises notes en maths et rendent des copies en forme de cœur d’artichaut.
Dix ans plus tard je découvre le cinéma de Fassbinder. Le droit du plus fort. J’ai grandi.
Manon des sources de Claude Berri.

Ils aimeraient bien et pis non et pis si, en fait le spectateur ne sait plus.

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Il y a comme ça des films dont on ne se souvient plus très bien, on se rappelle seulement de bribes, on se souvient que ce n’est pas un chef d’œuvre mais on se souvient qu’on s’en moque un peu, puisque le film s’appelle In the cut et qu’il est signé Jane Campion. Ah, Meg Ryan et Mark Ruffalo dans In the cut (si l’un d’entre vous me les compare à Cotillard et Canet, je vous préviens, je sors la tronçonneuse et j’vous refais un remake d’un certain carnage culte et, promis, vous faites partie du casting….)

Là, c’est plus possible !!!

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Dans la série comédie régressive à l’américaine, je voudrais Supergrave, le film américain qui, contrairement à ce que le titre laisserait supposer, n’est pas une adaptation libre du Génie du christianisme de Chateaubriand. Si vous voulez savoir comment un trio d’amis improbable tente une nuit de séduire la fille de leur rêve et de renforcer une amitié bien mise à mal par la loi du désir, regardez ce film conseillé par les plus grands cliniciens et mon voisin Roger.

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Hervé et Camel sont deux adolescents qui ne pensent qu’aux filles. Le problème, c’est que les filles ne pensent vraiment pas à eux. Dur. Et c’est là aussi le côté irrésistible du film qui redonne un peu de ses lettres de noblesse à la comédie française de qualité. Merci qui ?
Les beaux gosses de Riad Sattouf.

Le film Dis-lui oui qu’on n’en parle plus

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Il a des yeux de braise, elle a l’œil des grands soirs. Elle sait qu’il faudra être patiente avec ce genre de garçon ténébreux. Attendre toute une vie, c’est long, non ?
Elle s’appelle Jane et lui n’est pas du genre à crier son amour au bout d’une liane. Le roman de Charlotte Brontë se lit avec la goutte à l’œil que seuls les ophtalmos rompus aux jeux de l’amour et du hasard soignent avec ferveur. Le film de Franco Zeffirelli se regarde chrono en main avec l’angoissante question : le frigo est-il plein ? On s’ennuie ferme pendant 2 heures et on voudrait être déjà tassé dans son lit. Comme avec les enfants, on aurait aimé dire à Franco : Jane Eyre, tu touches pas ! Mais c’est plus fort que lui, il touche au jouet. Et le cinéma ne s’en trouve pas grandi.

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Le film définitif, aussi définitif que Gena Rowlands dans Opening Night ou Victor Lanoux dans Sailor et Lula (où, génial, il n’apparaît pas)
ALL I DESIRE

A l’origine, les producteurs avaient toute une liste de titres possibles.

Les bouillottes du coeur
C’est moi ou j’ai chaud ?
Saunas de l’amour
Hammams du désir
Cocotte minute et contrariétés

Douglas Sirk a tranché : ça serait ALL I DESIRE. Trop fort.
Douglas Sirk aurait pu faire sienne cette citation de Schopenhauer : entre les désirs et leurs réalisations s’écoule toute la vie humaine.
Les cinéastes de la trempe de Sirk l’avaient bien compris.
Et les spectateurs ne le remercieront jamais assez !

Allez, bel fin d’été à tous.
Vous pouvez vous rhabiller.


[1] Extrait de Réelles présences], George Steiner

[3] Extrait de L’image ouverte de Georges Didi-Huberman

[4] Extrait de L’image ouverte de George Didi-Huberman

[5] Extrait de Le plaisir du texte, (1973) de Roland Barthes

[7] Extrait de Vivre habillé

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