LACATON & VASSAL ou l'architecture généreuse et économique

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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Architecture généreuse et épicurienne : trois mots délicieux [en ces temps gris] en guise d’invitation à découvrir le travail d’un duo brillant mais discret de l’architecture contemporaine : Lacaton & Vassal. Leur succès et leur reconnaissance internationale leur valent une belle actualité. Depuis le 26 novembre 2008 et jusqu’au 15 mars 2009, une exposition rétrospective leur est consacrée à la galerie haute des expositions temporaires de la Cité de l’architecture et du patrimoine. En juillet dernier, le Prix national d’architecture 2008, la plus haute distinction française en architecture, leur a été attribué. Ce prix récompense l’ensemble de leurs projets, qui tous reflètent la même façon de concevoir l’architecture : faire le maximum avec le minimum, être à l’écoute des désirs des commanditaires, favoriser l’usage du bâtiment plus que son image.
Au cœur des préoccupations et des réalités de notre époque, Lacaton & Vassal sont des architectes qui révolutionnent sans tambours ni fanfares, sans tours gargantuesques ni hôtels ultra design, l’architecture de Monsieur Tout le monde, dans laquelle nous vivons.

LACATON & VASSAL ARCHITECTES

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Anne LACATON
et Jean-PhilippeVASSAL
(Photo : Baudoin Picard)


Lacaton & Vassal, par Ilka et Andreas RUBY, Gustavo Gili.
Anne LACATON (1955) et Jean-Philippe VASSAL (1954) ont travaillé à l’agence Jacques Hondelatte à Bordeaux avant de fonder ensemble leur agence en 1987, à Paris, Lacaton & Vassal Architectes.



Comme l’exposition à la Cité de l’architecture et du patrimoine, cette monographie présente leurs constructions, réalisées ou non, depuis leurs débuts jusqu’à 2008. Des textes et des entretiens illustrent la rigueur et l’exigence avec lesquelles ces architectes ont œuvré pour une architecture économique dans son coût, mais généreuse dans sa mise à disposition de l’espace. Pour eux, « l’enjeu actuel de l’ingénierie est de réfléchir, à budget donné, à la manière de faire le maximum. Le challenge est désormais économique : comment produire plus avec moins ? » [1].

Sans bavardage esthétique, leur souci premier est donc celui de servir le bien être de ceux qui « habiteront » leurs réalisations, en offrant plus d’espace et donc plus de « luxe » : « Le luxe est dans la qualité de l’espace. Quand on réduit l’incidence de la matière au produit. Plus on arrive à être efficace sur le minimum de matière, plus on peut créer de luxe, d’espace. » comme l’explique Jean-Philippe Vassal [2]. Quant à Anne Lacaton, elle précise : « L’architecture consiste à créer de la capacité, quelle que soit la situation. C’est ce que nous

entendons par le terme “luxe”. »
[3]
Parmi leurs œuvres remarquables figurent la rénovation du Palais de Tokyo (2001), 14 logements sociaux à la Cité manifeste de Mulhouse (2005)

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Cité Manifeste, Mulhouse
(Anne Lacaton & Jean Philippe Vassal,
architectes)

, et l’Ecole d’Architecture de Nantes livrée en décembre 2008, magnifique synthèse d’un travail mené depuis 20 ans, où là encore, leur théorie s’est appliquée : « A l’Ecole d’Architecture de Nantes, au lieu des 10 000 m² de programmes demandés, 12 500 m² ont été réalisés, sans augmenter les coûts de construction. Les espaces intermédiaires aux étages proposent en plus 5 500 m² d’espaces protégés, et 8 000 m² d’espaces extérieurs (…) En plein cœur de Nantes, nous espérons que l’école d’architecture sera un lieu d’échanges, de connaissances, de débats, d’évènements multiples, une place, plate-forme ouverte sur la ville. ». [4]

Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal réalisé par Leonardo DI CONSTANZO, CNC Images de la Culture.

Dans ce documentaire, le duo d’architectes commente ses réalisations, in situ et apporte des précisions essentielles sur sa réflexion architecturale. Ils insistent sur les notions de plaisir et de liberté qu’ils s’évertuent à intégrer [incarner] à leurs constructions. Liberté, en libérant les espaces (plus d’espace, espaces flexibles) : « le luxe, ce n’est pas le marbre au sol, c’est pas les poignées dorées, c’est les 6,50 m sous plafond dont on fait ce qu’on veut ». Plaisir, à vivre dans les bâtiments : « « Il faut créer des espaces agréables autour des épaules des gens, de la maison à la rue, des jardins aux transports. ».

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Maison en Dordogne (1997)
(Anne Lacaton & Jean Philippe Vassal,
architectes)

Ils estiment également que le bâtiment doit être adapté au lieu, c’est-à-dire à l’environnement et au climat c’est-à-dire faire l’intérieur par l’extérieur :

« On se demande comment on peut se passer de cette nécessité de faire fonctionner une maison par l’extérieur, et non pas contre l’extérieur. Ca, c’est pour nous un mystère que les maisons traditionnelles soient aussi peu intelligentes vis-à-vis de ce que l’extérieur peut amener. Et là, on veut vraiment que ça soit le contraire. Et donc ça parle encore de faire que les limites soient de plus en plus évanescentes entre la maison et..en réalité, la maison est illimitée, elle va jusqu’au bout du jardin. Habiter un espace, un site, un paysage plutôt qu’habiter entre quatre murs, c’est fondamental. »._

Il fera beau demain, par Anne LACATON et Jean-Philippe VASSAL, Institut français d’architecture.
Publié à l’occasion de leur première exposition à l’Institut français d’architecture en 1995, ce petit ouvrage contient un texte original sur leur vision de l’architecture, leurs idéaux, leur éthique, dont voici un extrait : « Le coût : économie, des moyens justes, le moins cher possible pour construire plus. La rigueur des plans. Une certaine rage à organiser, caler, calculer, compresser, coter, recommencer, lire et relire le programme, économiser, simplifier ».

Une maison particulière à Floirac (Gironde), par Anne LACATON et Jean-Philippe VASSAL ARCHITECTES et Hubert TONKA et Jeanne-Marie SENS, Sens & Tonka.

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Maison Latapie (1993)
(Anne Lacaton & Jean Philippe Vassal,
architectes)

Le bâtiment initiateur de la pensée architecturale de Lacaton & Vassal est la maison Latapie (1993). Construite pour un couple d’agents SNCF et leurs deux enfants pour seulement 75 000 euros et 120 m², elle rompt radicalement avec la traditionnelle maison pavillonnaire. Formellement, ses allures de hangar, avec sa carapace grise en fibro ciment, détonne avec son intérieur, entièrement en bois, aux dimensions généreuses et aux espaces modulables et flexibles, selon les besoins et les désirs de lumière, d’intimité, de protection ou d’aération. Dès le départ, leur objectif était clair et assumé : « il fallait donner un maximum d’espace pour la plus grande liberté d’usage, cela grâce à une rationalité, une efficacité et une simplicité gérées avec imagination, précision et obstination. ».

Pour cela, Lacaton & Vassal emploient et optimisent des matériaux et techniques issues des constructions agricoles et industrielles, comme les serres horticoles, qui seront réutilisées dans d’autres constructions.

La maison Latapie est devenue une maison icône. Elle est « une conception intelligente d’une maison économique, autonome, pour un coût inférieur à celui d’un ridicule petit pavillon riquiqui pondu par des bétonneurs de banlieue » selon Hubert Tonka, auteur spécialisé en architecture.

L’ARCHITECTURE ECONOMIQUE

Construire moins cher est un vaste sujet de l’histoire de l’architecture et, de fait, de nombreux documents s’y rapportent. Ceux sélectionnés ci-dessous sont manifestes de l’engouement de ces dernières années, des pouvoirs publics et du grand public, pour la maison individuelle à moindre coût réalisée par un architecte.

Archi pas chère : 20 maisons d’aujourd’hui à 100 000 € par Olivier DARMON, Ed. Ouest-France.
Le véritable tour de force des réalisations de Lacatan & Vassal revient donc à concevoir des espaces aux dimensions généreuses, et ce, pour un faible budget. A ce titre, ils ont répondu à l’appel à propositions entrepris en 2007 par le Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement pour l’attribution de la norme CQFD « Coût, qualité, fiabilité et délais maîtrisés ». Leur projet de logements collectifs à Saint-Nazaire (2009), baptisé « Habitat Maximum », a été retenu avec 15 autres projets en cours de réalisations. Cette norme CQFD s’inscrit dans le programme national de recherche, d’essai et d’expérimentation sur les logements optimisés. Ce programme poursuit l’ « appel à propositions pour la maison à 100 000 euros » lancé en juillet 2005 par Jean Louis Borloo, ministre du Logement.



Dans cette dynamique d’intérêt pour les constructions à faible coût et aux matériaux innovants, sont parus deux tomes de l’ouvrage ci-dessus. Leur succès fut immédiat auprès du grand public. Ils démontrent, à partir de réalisations concrètes, une alternative séduisante à la maison préfabriquée uniforme et aux matériaux inadéquats, en présentant des maisons individuelles d’architecte à faible coût.

Le second tome présente vingt autres réalisations, toutes aussi variées, qui permettent à l’auteur de revenir sur les fondements de son projet, et de corriger quelques malentendus générés par l’édition du premier tome.

Votre maison maintenant : 36 modèles pour une maison, par Périphérique Architectes, IN-EX projects.
Deuxième édition actualisée de “36 modèles pour une maison” (1997), cet ouvrage reprend l’idée du premier catalogue (épuisé) qui accompagnait l’exposition du même nom organisée par Périphériques Architectes et présenté à Bordeaux en 1997, à Arc en rêve (centre d’architecture).
L’idée de cette exposition était de proposer des projets de maisons individuelles d’environ 100 m2 dont le coût global, honoraires d’architecte compris s’élevait à l’époque à 500 000 francs (76 224 euros) en détournant des matériaux, des techniques disponibles sur le marché pour d’autres types de bâtiments. Cette initiative soulignait la volonté de certains architectes de reconquérir le marché de la maison individuelle, devenu depuis quelques décennies le monopole des constructeurs. Cette exposition fait date dans l’histoire de la réflexion sur l’économie de l’architecture d’habitation puisqu’elle est quasiment la première initiative de sa mise en valeur auprès d’un large public. La parution de son catalogue fut saluée de centaines de lettres et de quelques commandes, signes d’une ouverture évidente d’une demande jusqu’alors estimée comme minime.

La maison contemporaine : maison individuelle et préfabrication : rencontre avec Lionel Engrand, Bibliothèque municipale de Lyon le mercredi 28 février 2007, par Lionel ENGRAND, Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement du Rhône, Bibliothèque municipale de Lyon.
Fort de cet engouement pour la maison individuelle en général, le CAUE du Rhône a organisé un cycle de conférences sur la maison contemporaine présentées à la Bibliothèque Municipale de Lyon. Construire moins cher est une préoccupation qui s’est fait ressentir dès les années 20. Les architectes d’avant-garde se sont alors intéressés à l’emploi de matériaux industriels, en série ou préfabriqués pour l’habitation. La conférence tenue à la Bibliothèque Municipale le 28 février 2007 par Lionel Engrand revient sur cet essor de la maison préfabriquée au XXe siècle, qui trouve sa consécration dans le développement de l’habitat pavillonnaire.

Les actes des conférences sont parus cette année sous le titre
La maison contemporaine, architecture et modes de vie (cycle 1), actes réunis par Philippe DUFIEUX, dirigé par Catherine GRANDIN-MAURIN.


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[1] Extrait de l’article du site du Moniteur du 19 novembre 2008

[2] Extrait d’une interview sur le site Archicool

[3] Citation extraite d’une conférence au Palais des Beaux Arts de Bruxelles

[4] Extrait de citations “Lacaton & Vassal par Vassal & Lacaton” sur le site du Moniteur.

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