La deuxième vie des friches industrielles et urbaines

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Usines désaffectées, hôpitaux psychiatriques d'un autre temps, villes fantômes, mines abandonnées, iles-prisons... La liste de ces lieux insolites est longue. Entre crainte et curiosité, réappropriation et reconversion, les friches témoignent aussi d'un regain d'intérêt pour le passé et drainent tout un monde d'artistes et de créateurs.

© Pixabay
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On ne veut plus les voir, on les cotoie sans y penser, comme une sorte de kyste honteux qu’on n’arrive pas à extirper, symboles d’échec et d’un passé (forcément) meilleur, vouées à la mort lente, la rouille et la décrépitude comme si même leur destruction semblait impossible, générant dépenses inutiles et mauvaises consciences… Mais ces lieux, parfois fantastiques (au sens littéral) inspirent tout un monde créatif : photographes, cinéastes, artistes, architectes… Entre reconversion et mort lente, quelle place pour les friches ?

Inspiration

Nombreux sont les amateurs qui se transforment en explorateurs urbains, bravent les panneaux d’interdiction et les portes murées pour aller voir et rendre compte de ces lieux qui furent souvent une fierté avant de devenir une honte.

Le site Uzines nous montre des friches de toutes sortes : mines, entrepôts, gares, ponts, et usines donc… Avec des possibilités de recherche par lieux et par thèmes, photographiées par des amateurs et des professionnels
et avec des descriptifs complets sur l’histoire, l’atmosphère. Pour tout ceux qui veulent savoir ce qui se trouve près de chez eux (où plus loin, d’ailleurs).

Un site amateur centré sur les usines en ruines avec de très belles photos (couleur) au parti-pris esthétique s’opposant volontairement à l’atmosphère mortifère des lieux visités.

Encore un site avec un inventaire à la Prévert : une brasserie, des chateaux, un sanatorium ou encore un fort militaire.
Il y en a pour tous les goûts.

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Symbole parmi les plus forts du passé industriel de notre pays, Billancourt, de François Bon et Antoine Stéphani revient sur cette incroyable île-usine fermée en 1992 après 63 ans de fonctionnement et où se fabriquèrent bien plus que des automobiles : une mythologie ouvrière et syndicale, modèle pour un pays tout entier.

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Bern et Hilla Becher ont passé leur vie à photographier des lieux originaux : ensembles industriels, châteaux d’eaux… toujours sous la même lumière, le même angle de prises de vues, et les ont archivés, indexés, selon le lieu ou le thème, donnant ainsi à leur travail une dimension rigoureuse, systématique donc scientifique.

Fascination

Hashima : le vaisseau fantôme
Quand on l’aperçoit l’île au loin, on croirait voir un cuirassé blindé et armé jusqu’au sommet des ponts, on raconte d’ailleurs que la Marine américaine bombarda l’endroit, l’ayant prit pour un navire de guerre japonais… Pour exploiter correctement la mine de houille qui s’y trouvait on fit venir des familles entières et on construisit toutes les infrastructures nécessaires à leur bien-être : hôpital, écoles, commerces, cinéma… Entièrement urbanisée, l’île comptât jusqu’à 5300 habitants pour 6,3 ha, ce qui en fit l’endroit avec la plus forte densité de population au monde, telle une micro-société fière de sa différence. Le remplacement de la houille par le pétrole précipita son déclin et l’île fut totalement évacuée par les autorités en 1973. Longtemps interdite, même pour ses anciens habitants, elle apparut à leurs yeux comme un paradis perdu, seulement visible les jours de beau temps au large dans la baie de Nagasaki.

HASHIMA, Japan, 2002 documentary version from Thomas Nordanstad on Vimeo.

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Detroit : friche city ?

Nés en 1981 et 1987, Yves Marchamp et Romain Meffre n’ont connu que notre ère post-industrielle. On ne peut donc parler de nostalgie, et pourtant on sent leurs regards fascinés par ces décors se décomposant petit à petit, jusqu’à leur destruction. Selon eux : “Prendre des images de ruines est toujours une course contre la montre” . Détroit symbolise l’Amérique prospère des 60’s, la “motor town” où l’on fabriquait l’emblême numéro un de la réussite estampillée US : la voiture aux dimensions de paquebot (et à la consommation similaire). Avec dans le sillage des industries lourdes, une vie culturelle, des théatres, une maison de disques (fameuse). A la prospérité a succédé une crise industrielle sans précédent, transformant des pans entiers de la ville en un immense champ d’actions pour nos deux photographes. Témoins de ce travail un site web et un livre : Detroit : vestiges du rêve Américain.

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Sous les pavés (parisiens) : la friche (ou presque)

Peu le savent mais, parmi les 300 stations du métropolitain parisien, quelques unes sont inaccessibles au public. Certaines sont des anciennes stations fermées en raison d’affluences trop faibles, d’autres n’ont jamais été ouvertes (et n’ont d’ailleurs pas d’accès), ou encore sont réservées à la formation ou aux tournages de cinéma. Le fait qu’on les appelle stations fantômes participe beaucoup à leur légende. On peut en voir le détail sur ce site : les stations oubliées.

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On pourrait continuer longtemps ce parcours fascinant en évoquant bien d’autres lieux :
De Centralia, la ville où une mine de charbon se consume depuis 49 ans et qui inspira Silent Hill (à lire ce reportage paru dans Libération du 22/03/10),
aux mines de salpêtres abandonnées de Humberstone dans le désert chilien,
jusqu’à la cité fantôme (et hantée…) de Sanzhi à Taïwan
ou celle de Kolmanskop en Namibie,
on constatera que le phénomène des friches humaines se retrouve dans le monde entier.
Qui sait combien restent à (re)découvrir ?

Et puis impossible de clore ce chapitre sans évoquer les villes fantômes américaines.Vite baties pour faire face à un afflux massif de migrants venus chercher fortune, elle furent encore plus vite abandonnées lorsque les gisements épuisés sonnèrent la fin des illusions.

Reconversion

Loin du squat sauvage, la reconversion d’une friche industrielle ne se fait pas sans règles précises : le site doit avoir été répertorié, éventuellement identifié comme potentiellement polluant, d’où son inscription au BASOL, base de données nationale sous l’égide du ministère de l’environnement qui répertorie à ce jour plusieurs milliers de sites potentiellement dangereux.

Une fois dépollué, le site est inscrit au BASIAS qui inventorie les anciens sites industriels. Ceci en vue d’une protection accrue de l’environnement, d’une meilleure gestion des risques, et d’une information objective en vue des futurs acquéreurs.

Ce n’est qu’une fois que le site est considéré comme sûr, tant du point de vue environnemental que du point de vue des normes de construction et de sécurité qu’il peut entamer sa nouvelle vie. Quelques exemples :

Usines reconverties : Avec plus de 200 photographies couleurs, Usines Reconverties présente, au travers d’une sélection attrayante et suggestive, l’étonnante transformation des bâtiments industriels d’Europe, d’Asie, d’Amérique et de l’Australie. Des exemples emblématiques tels que la Tate Modern de Herzog & de Meuron à Londres, l’Auditorium Paganini de Renzo Piano à Parme, ou bien le Caixa Forum de Roberto Luna et Arata Isozaki à Barcelone, sont un échantillon de la multitude de possibilités de réutilisation offertes par ces constructions

Usine : 70 artistes contemporains (photographes, peintres, sculpteurs, graveurs, vidéastes, plasticiens) exposent leurs travaux. La reproduction des oeuvres est accompagnée de textes d’écrivains (François Bon, Yves Bonnefoy, Michel Onfray, Robert Piccamiglio) et d’analyses de spécialistes des relations entre usine, patrimoine industriel et art.

Les fabriques : Depuis 1983, TransEurope Halles regroupe des acteurs culturels installés dans d’anciens sites marchands ou industriels. En s’appuyant sur 16 initiatives, cet ouvrage présente les diverses problématiques et enjeux dont le réseau est porteur : témoignages de savoir-faire et modes de fonctionnement propres à ces lieux, question sur leur inscription urbaine, sociale, culturelle et politique.

L’esprit des friches : Ce documentaire nous convie à une sorte de tour d’Europe des friches industrielles réhabilitées en “fabriques culturelles”. On visite d’anciennes usines de France, de Belgique, d’Allemagne, de Pologne et de Grèce reconverties en territoires artistiques. Le film vaut le détour grâce aux interventions passionnées et souvent passionnantes d’une dizaine d’architectes dont Patrick Bouchain, Stéphanie Labat, Jean Nouvel, Matthieu Poitevin, Philippe Prost et quelques autres… Tous développent une pensée originale sur la ville.

Consécration

Il a fallu du temps avant que l’on comprenne l’importance du passé industriel, c’est chose faite aujourd’hui comme le rappelle ce Point d’actu consacré au patrimoine industriel mis à l’honneur à l’occasion des journées du patrimoine 2007.(Avec un chapitre sur le patrimoine industriel en Rhône-Alpes).
Enfin, impossible de clore ce sujet sans évoquer ce fabuleux site internet (et qui depuis a donné naissance à un livre), et où on trouvera toute sorte de lieux improbables et oubliés : anciens asiles psychiatriques, prisons désaffectées, fort militaires, catacombes, et même une crypte de cimetière…
Le site : forbidden places
Le livre : Forbidden places : explorations insolites d’un patrimoine oublié

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