Du rouge, etc.

- temps de lecture approximatif de 17 minutes 17 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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La première exposition thématique du nouvel espace d’exposition du musée des Arts Décoratifs (Paris), la Galerie d’études, présente près de 400 œuvres issues des collections du musée et sélectionnées pour leur couleur : le rouge.
Alezan, andrinople, cardinal, cerise, cramoisi, écarlate, magenta, pourpre : le rouge y est présenté dans tous ces états et à travers sa symbolique, son utilisation technique et matérielle.

Reniée ou centrale, rejetée ou vénérée, la couleur en général n’a cessé d’occuper le champ de la réflexion esthétique artistique et ce, plus encore au 20e siècle.

Aussi, cette exposition est l’occasion de déborder du cadre [rouge] et de vous proposer une sélection, assurément subjective, de références sur quelques artistes et créateurs de mode du 20e siècle qui ont placé une couleur (rouge, bleu, noir ou blanc) au coeur de leur problématique artistique et qui sont, pour la plupart, à l’honneur dans l’actualité des expositions de cette rentrée.

Plongez dans le rouge profond de Luis Barragan, le bleu outremer Klein, la blancheur d’un mur de la Villa Savoye et les plis de la petite robe noire de Chanel.

Vous reprendrez bien un peu de rouge, comme vous n’avez plus de bleu ?

§ ROUGE §

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“Aussi rouge que possible…”
Union centrale des arts décoratifs
Paris, 2008

Dans l’Antiquité, le rouge était LA couleur : employer le terme “rouge” pour désigner la couleur était alors un pléonasme. Sa suprématie dans l’art s’est alors imposée dans tout l’Occident comme en témoigne l’exposition présentée ci-dessus et intitulée « Aussi rouge que possible… ».

Le créateur Christian Lacroix a des affinités de longue date avec cette couleur. Elles remontent à son attirance pour le rouge « corrida », motif de sa région natale.
Pour cela, il a été choisi pour présenter une sélection de costumes de théâtre, d’opéra, de danse et de dessins issus des collections de la Bibliothèque nationale de France en 2006. Une exposition virtuelle en ligne rend compte du résultat final.

L’exposition « Christian Lacroix/Réattu » au Musée des Beaux Arts d’Arles jusqu’au 31 octobre

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“Musée Réattu / Christian Lacroix”
Musée Réattu, 2008

et le catalogue qui l’accompagne (disponible bientôt à la Bibliothèque de Lyon) permettent de comprendre l’univers créatif de Christian Lacroix. Le musée a laissé libre choix au créateur pour revisiter les collections du musée : une sélection d’oeuvres se mêlent aux vêtements.

Barragan : l’espace et l’ombre, le mur et la couleur par Danièle Pauly, Birkhäuser.

En architecture, Luis Barragan (1902-1988) est reconnu pour sa maîtrise de l’espace et son réinterprétation du Style International en intégrant systématiquement un jeu de couleurs vibrantes et contrastées. Les rouges y sont très présents, comme dans la Cuadra San Cristobál. Cette esthétique de la couleur, Barragan l’a puisée dans son amour pour l’architecture des ranches du Mexique populaire : « Mes souvenirs de la plus tendre enfance sont relatifs à un ranch que ma famille possédait prés du village de Mazamilla. C’était un village dans les collines formé de maisons avec des toits de tuiles rouges (…) Même la couleur de la terre était intéressante parce que c’était de la terre rouge ». Il a résisté à ce qui lui semblait être l’un des grands travers de l’architecture contemporaine : celui de l’usage quasi-systématique du verre et du noir et blanc.

La réalité de l’artiste de Mark ROTHKO, Flammarion.

En peinture, le rouge avait une place particulière dans la réflexion théorique de l’artiste américain abstrait Mark Rothko. Juxtaposée à une autre couleur, il l’utilisait rendre au mieux la qualité vibrante de la peinture. Pour l’anecdote, l’œuvre « Chambre rouge » de Matisse, découverte en 1943 par l’artiste, eut un effet décisif sur sa démarche artistique et les fondements de son abstraction.

Pour faire l’expérience de cette couleur vibrante, la Tate Modern présente une rétrospective importante à partir du 26 septembre 2008.

§ BLEU §

Le bleu est le grand absent des couleurs durant l’Antiquité. Son absence dans les textes anciens a tellement intrigué certains philologues du 19e siècle qu’ils ont cru sérieusement que les yeux des Grecs ne pouvaient le voir !

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Denim : l’épopée illustrée d’un tissu de légende, par Graham MARSH et Paul TRYNKA, Ed. du Collectionneur.
Couleur préférée des occidentaux, le bleu est aujourd’hui partout. Il s’accorde avec tout. A l’image d’un des vêtements vedette de notre garde robe contemporaine : Le jean. La teinture qui rendit célèbre ce vêtement est le « Blu di Genova ». Ce bleu de Gênes (Italie) a en effet été utilisé par un Américain, Levi, pour colorer de la toile de Nîmes employée pour confectionner des pantalons. Cette teinture donna son nom à l’objet qu’elle colore : par glissement, on a parlé de « blue jean ».

En peinture, de nombreux artistes ont fait du bleu leur motif central : Pablo Picasso et sa période bleue (1901-04) ou Wassily Kandinsky
et son groupe Der Blaue Reiter (le cavalier bleu). A noter que durant 2008-2009, une exposition itinérante « Kandinsky » circulera dans trois institutions : la Städtische Galerie Lenbachhaus à Munich, le Centre Georges Pompidou à Paris et le musée Solomon R. Guggenheim de New York. Profitant des dernières découvertes sur l’artiste, elle rendra compte notamment de l’attachement de Kandinsky à son pays, la Russie, et à sa ville natale, Moscou. Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier de Kandinsky est un texte majeur pour comprendre sa conception de la couleur.

Mais si le bleu avait un nom en peinture, ce serait IKB 46, l’International Klein Blue.
Ce bleu outremer industriel saturé a été créé et en 1957 par l’artiste français Yves Klein. Cet artiste hissait la couleur au dessus de tout et la considérait comme « la sensibilité devenue matière, la matière dans son état fondamental ». Yves Klein : corps, couleur, immatériel est le catalogue de l’exposition présentée à Paris au Centre Pompidou en 2007. Outre une riche documentation, il rassemble les dernières recherches menées sur le travail et la démarche créative de l’artiste. Sans doute une des monographies les plus complètes jamais publiées.

Comment cette couleur, désagréable et dévalorisante durant l’Antiquité, est-elle devenue la couleur préférée des occidentaux au 20e siècle ?

C’est l’histoire que l’incontournable Michel Pastoureau, LE grand historien spécialisé dans la couleur, retrace dans son ouvrage Bleu : histoire d’une couleur.
On y apprend que c’est dans l’art et dans les images que la vogue du bleu s’est fait sentir le plus précocement dès le tournant du 11e siècle, notamment avec l’attribution de cette couleur à la Vierge Marie, devenant alors symbole de la pureté divine. Cette apparition du bleu dans la peinture s’explique par un changement profond des idées religieuses. Le Dieu des chrétiens devient en effet un dieu de lumière. Et la lumière est… bleue ! Pour la première fois en Occident, on peint les ciels en bleu. Or la Vierge habite le ciel…

§ BLANC §

Le blanc, une couleur ? Pour Léonard de Vinci, oui : « La première des couleurs fondamentales est le blanc (…) On peut dire que le blanc représente la lumière sans laquelle aucune couleur n’existe. » Le traité de la peinture, 1490.

Robes de mariées par Nicole PARROT, Hatier.

En mode, le blanc est la couleur de tous les créateurs. Elle est traditionnellement la dernière couleur du défilé de mode : la robe de mariée boucle la présentation des collections. Couleur de la virginité, ce vêtement nuptial n’a pris sa couleur actuelle qu’au 18e siècle. Auparavant, elle était rouge. L’ouvrage ci-contre propose une riche iconographie, romantique à souhait.

Courrèges par Valérie GUILLAUME, Assouline.

Cependant, un créateur français usa du blanc avec plus d’insistance : André Courrèges (né 1923). On pense immédiatement à ses célébrissimes bottes en PVC brillantes, à ses mini jupes en vinyl blanches et surtout ses étonnantes lunettes eskimo photographiées par William Klein. Coupeur chez Balenciaga, il acquit une maitrise parfait de la coupe qu’il mit au profit de collections résolument futuristes pour les femmes modernes. Le choix des couleurs s’inscrivent dans cette volonté de modernité : il utilisa des pastels et surtout du blanc. Le “Women’s Wear Daily” le surnommait alors “Le Corbusier de la couture”.




Ecrits, par Kazimir MALEVITCH, Gérard Lebovici.
Dans l’histoire du blanc en peinture, 1919 est une date clé : le monde de l’art est en deuil. Kazimir Malevitch peint « Blanc sur Blanc », son monochrome blanc. Le degré zéro de la peinture.

« Je me suis transformé moi-même en une absence de forme et me suis repêché de l’équipe poubelle de l’art académique. J’ai déchiré l’abat-jour bleu des limites des couleurs et ai resurgi dans le blanc. (…) Vogue la galère ! Le blanc, gouffre libre, infini, est devant nous. » Cet écran blanc
rappelle ceux photographiés par Hiroshi Sugimoto. Illustre photographe japonais, il a photographié en plan fixe l’écran des cinémas drive in américains. Techniquement le temps d’ouverture et d’exposition furent donc d’une heure trente, pendant la projection d’un long métrage. Le résultat : un blanc constitué de milliards de photogrammes. Une rétrospective lui est consacrée au Kunstmuseum Luzern (Suisse), du 25 octobre 2008 au 25 janvier 2009.

L’art décoratif d’aujourd’hui par LE CORBUSIER, Flammarion.

En architecture, Le Corbusier prônait la disparition des couleurs pour l’avènement du blanc, symbole de pureté et de modernisme. Il écrivit au retour de l’un de ces voyages en Inde (extrait de l’ouvrage ci-contre) : « Ces soieries brillantes, ces marbres scintillantes, ces bronzes, et ors opulents… Occupons nous d’eux… C’est le moment d’une croisade pour tout badigeonner en blanc ». Une de ses oeuvres manifestes, la Villa Savoye (1928-31) est un exemple frappant de cette omniprésence du blanc éclatant. Pour admirer son travail, le Royal Institute of British Architects de Liverpool présente la première réstropective depuis 1987 de l’ensemble de son œuvre, du 2 octobre 2008 au 11 janvier 2009, puis le Royal Institute of British Architects de Londres du 12 février au 17 mai 2009 accueillera l’exposition.

§ NOIR §

« Le noir est une couleur en soi qui résume et consume toutes les autres » Henri Matisse (1869-1954)

La petite robe noire par Didier LUDOT, Assouline.


En mode, le noir est la couleur fétiche du génial créateur japonais Yohji Yamamoto et de l’illustre Gabrielle Chanel qui aimait à dire que « si vous habillez une femme en noir et que vous la mettez au milieu d’autres femmes, et bien on ne voit qu’elle » ou encore qu’« une femme qui ne porte pas de petite robe noire n’a pas d’avenir ». Elle en a fait même une tenue icône, un modèle de 1936 baptisée par Vogue la “robe Ford” : la petite robe noire, dont l’histoire en images est efficacement restituée dans l’ouvrage ci-contre.


Pierre Soulages au Musée Fabre par Vincent CUNILLERE, Intediprint.
En peinture, à choisir, le travail de Pierre Soulages semble bien représenter la force avec laquelle le noir peut imprégner une réflexion artistique.

Les noirs de Soulages peuvent être admirés (contemplés ?) au Musée Fabre, à Montpelllier dans un espace d’exposition permanente « Les Soulages du Musée Fabre » créé suite à la donation d’une trentaine d’œuvres par Colette et Pierre Soulages au musée en 2005. Cette collection est le plus grand ensemble d’œuvres peintes de l’artiste conservé par un établissement public.

Cette visite permet de patienter dans l’attente de la présentation d’une rétrospective qui lui sera consacrée 2009 au Centre Pompidou.

Pour cette rentrée, le noir est définitivement à la mode puisque c’est au tour de Michel Pastoureau de retracer son histoire dans son ouvrage « Le noir : histoire d’une couleur » à paraître en octobre aux éditions du Seuil.

Pour l’histoire de cette couleur, deux ouvrages sont remarquables.
Le noir par Gérard-Georges LEMAIRE, Hazan.

Ouvrage troublant parce qu’on réalise que le noir, dans l’art, est partout, plus que n’importe quelle autre couleur. Complexe et fascinante, son histoire est pourtant restituée avec brio par l’auteur, la progression chronologique aidant et les axes d’analyse se déployant. Le panorama impressionne, de Goya à Bacon, du Titien à Boltanski, des caravagesques aux romantiques. Le texte peut paraître abscons mais sa qualité d’érudition fait vite oublier sa densité, tant le noir ainsi dévoilé fascine. Ce bel ouvrage finit de nous séduire par l’originalité et la variété de son iconographie, parfaitement rendue.

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L’âge d’or du nocturne par Jean-Claude BOYER, Gallimard.
Pour prolonger la magie [noire] dans l’art, cet ouvrage iconographique explore le thème de la représentation de la nuit dans la peinture à partir du siècle des Lumières. Il s’agit de la première étude sur ce thème. Son point de vue original tente de faire dialoguer la peinture avec le monde du théâtre. Un beau travail dans la variété des œuvres sélectionnées.

§ HISTOIRE DES COULEURS DANS L’ART §

Couleur et culture par John GAGE, Thames & Hudson. –
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Dans le domaine de l’histoire des couleurs, l’ouvrage ci-contre a fait sensation, tant il est riche et complet. Il réunit trente années de recherche et explore la couleur aussi bien dans les domaines artistique, technique, scientifique, religieux que philosophique.

Sa grande qualité tient aussi à la finesse des reproductions, leurs dimensions et leur choix. Dense mais accessible, le texte enchante par un fourmillement de détails et de révélations surprenantes.

§A L’ARTHOTEQUE DE LA BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE DE LYON…§

L’arthothèque de la Bibliothèque municipale de Lyon possède un fonds de près de 800 photographies et estampes, c’est-à-dire d’œuvres originales à tirage multiple. Pour prolonger cette rencontre avec les artistes et leur travail sur la couleur, voici une sélection d’oeuvres empruntables et issues des collections de l’artothèque :

Estampe d’Aurélie NEMOURS
Estampe de Pierre SOULAGES
Estampe de John BALDESSARI
Estampes d’Olivier MOSSET
Estampes de Jacques MONORY
Photographies de Jean Marc CERINO

Enfin, l’artothèque possède également un fonds non empruntable d’oeuvres parmi lesquels figure une remarquable collection de livres d’artistes. Elle conserve entre autre un livre d’artiste de Robert RYMAN de 1989. Cet artiste y poursuit sa déclinaison de l’écran blanc, sous forme de monochromes blancs, tous de forme carrée. Ce livre est consultable sur rendez-vous avec la responsable de l’artothèque.

Pour une liste plus exhaustive de références en la matière, la réponse à cette question vous offre une bibliographie de base : “Couleur dans l’art, les couleurs et leurs symboles”.

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